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M O N S T R E   |   LE SOMMEIL DU MONSTRE (tome 1)   Enki Bilal - 1998

Casterman - 70 pages
20/20   Chef-d'œuvre

    C'est l'histoire de trois orphelins, trois nourrissons partageant le même lit dans un hôpital de Sarajevo en 1993 durant les guerres de l'ex-Yougoslavie. Nike, Amir et Leyla sont déjà unis par le destin tandis qu'au-dessus d'eux un trou béant causé par un obus leur fait voir l'immensité cosmique et déjà la bêtise des hommes...

  2027, le monde n'a opéré aucun virage vertueux. Au contraire, il s'enfonce dans l'obscurantisme le plus profond. L'air est gris, pollué et les voitures filent dans les airs comme l'avait imaginé Jean-Claude Mézières dans la bande dessinée Valérian.
Nike, installé à New-York, est un spécialiste reconnu de la mémoire. Il travaille dessus en remontant de plus en plus loin dans ses souvenirs. Il s'est juré de protéger Amir et Leyla, les deux êtres qui l'ont accompagné dans ses premières semaines de vie.
Leyla consacre sa vie à la conquête spatiale et travaille au cœur d'un projet confidentiel dans le désert du Néfoud suite à la réception de signaux extraterrestres en provenance de la nébuleuse de l'Aigle.
Enfin, Amir vit à Moscou avec son amie Sacha. Ils semblent connaître quelques galères dans ce monde où la société est disloquée. Tous deux viennent de signer un contrat avec un mystérieux employeur...

  Ces trois protagonistes vont être projetés au cœur d'un chaos lié à l'Obscurantis Order, une branche religieuse radicale et fondamentaliste qui a pour seul objectif de détruire la pensée, la connaissance, la culture et la science.
Nike, rescapé d'un attentat, est instrumentalisé pour détruire la base de ce mouvement religieux intégriste.
Amir et Sacha découvrent que leur nouvel emploi se situe en Sibérie orientale dans un centre de préparation pour « Éradicateurs » sous l'influence de mouches œuvrant pour la gloire de l'obscurantisme.
Concernant Leyla, sa connaissance du site de l'Aigle fait d'elle un pion capital pour l'Obscurantis Order qui ne peut tolérer, par le signal venu d'ailleurs, la remise en cause de l'existence même de Dieu.

  L'histoire est en réalité rendue bien plus complexe par la présence du Dr Warhole, personnage central de la série et incarnation du mal absolu, qui manipule tout le monde à sa guise en créant des répliques et autres doubles des autres et de lui-même. Cet être machiavélique semble à lui tout seul bien plus dangereux que l'Obscurantis Order !

  Enki Bilal entame avec ce premier volume une œuvre importante dans sa vie artistique. C'est la première fois qu'il aborde de front le sujet de l'ex-Yougoslavie où il est né et a vécu enfant. Dans cette tétralogie, il a voulu exorciser les démons et non-dits qui sommeillaient en lui depuis de longues années.
L'histoire est complexe et peut être lue sous différents angles : de la pure science-fiction, même s'il s'agit davantage d'anticipation, un manifeste contre l'obscurantisme religieux ou encore une catharsis du rapport de Bilal avec la Yougoslavie éclatée par les nationalismes.
Les interrogations sur leur origine serbe, croate ou yougoslave hantent certains personnages tandis que dans un tome ultérieur, l'auteur à travers Nike posera des questions sans réponses sur la venue du président François Mitterrand à Sarajevo le 28 juin 1992 qui est la date anniversaire de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand en 1914 et donc du déclenchement de la première guerre mondiale.

  Les dessins présentent des minarets et synagogues qui témoignent toujours en 2027 de l'origine multi-ethnique et multi-religieuse d'une ville comme Sarajevo. À mes yeux, cette histoire dénonce principalement l'intégrisme religieux qui, on le sait malheureusement, est depuis revenu plus que jamais sur le devant de la scène internationale. Trois ans après la publication de ce récit allait en effet survenir l'événement du 11 septembre 2001 signant le début d'un terrorisme toujours présent.
Sacha, la compagne d'Amir, symbolise cette obéissance aveugle et cet endoctrinement total qui peuvent conduire à la folie. Là, il ne s'agit plus d'anticipation mais de la réalité.
Tout cela prend place dans une ambiance lourde, terne et moribonde. Les visages sont tristes, les villes sont polluées. Il n'y a semble-t-il plus aucun espoir...

  L'esthétisme de Bilal atteint un niveau exceptionnel.
Son dessin, reconnaissable entre tous, est sublimé par des couleurs directes faites à l'acrylique et au pastel. L'homme a modifié totalement sa façon de faire. Il mixe davantage les techniques mais la révolution est ailleurs : chaque case n'est plus créée directement dans une planche prédécoupée de façon précise mais devient une œuvre unique, un tableau qui existe avant même la notion de page de bande dessinée.
Enki Bilal travaille ainsi sur de grands formats et repousse considérablement ses limites matérielles et par extension artistiques. Il transcende le 9ème art pour en faire un art hybride avec le 3ème, celui de la peinture. C'est dans ces prises de risque et dans ces évolutions que l'on reconnaît les grands artistes.

[Critique publiée le 20/06/21]

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M O N S T R E   |   32 DÉCEMBRE (tome 2)   Enki Bilal - 2003

Casterman - 62 pages
18/20   Une réflexion sur les limites de l'art

    Sacha a été contaminée par une mouche suite à son séjour au centre des « Éradicateurs ». Amir ne peut se résigner à laisser dans cet état l'amour de sa vie et prend conseil auprès d'un médecin. Les transformations qui s'opèrent en elle, dont une peau qui noircit, sont de nature hybride et rendent perplexe le corps médical...
Nike, lui, tombe à nouveau dans un piège fomenté par Holeraw, une créature fabriquée de toutes pièces par le Dr Warhole et dont le nom en est l'anagramme. Il est invité, en compagnie de son ex-compagne Pamela, à une soirée « White colour » : chacun, vêtu de blanc, évolue dans un décor recouvert de toiles blanches ; l'œuvre consiste à faire couler le sang et l'utiliser comme un pigment de peinture. Ambiance garantie !
Quant au site de l'Aigle qui révèle des informations de nature bouleversante propres à modifier toutes les connaissances acquises sur l'histoire de l'humanité et de l'univers, il s'ouvre progressivement aux grands dignitaires de la planète invités à le découvrir.

  Le Dr Warhole, dont il ne reste plus que la tête en décomposition dans un bocal, crée aussi une nouvelle œuvre d'art morbide intitulée Compression de mort éructée. Il s'agit de la production d'un nuage pestilentiel qui provoque une pluie noire acide et prend de l'ampleur au fil de ses pérégrinations au-dessus de la planète...
Il « joue » aussi avec deux doubles de Nike qu'il a créés et qu'il envoie respectivement à la rencontre d'Amir et de Leyla. Les deux disparaîtront, l'un assassiné et l'autre volatilisé un certain 32 décembre.

  Ce second tome pose beaucoup de questions contrairement au premier qui possédait une forme d'unité intrinsèque. Il révèle des informations incroyables au sujet du site de l'Aigle sans donner suffisamment d'explications, ce qui peut frustrer le lecteur ; mais ce qui peut aussi le faire se précipiter sur la suite des aventures de Nike et ses amis.

  Les pages blanches de la soirée « White colour » se démarquent graphiquement du reste du récit toujours sombre et chargé côté pigmentation. L'art contemporain entre même en résonance avec celui des peintures rupestres.
Enki Bilal livre à travers cet album une réflexion sur l'art. Jusqu'où peut-il aller ? Quelles sont les formes encore à inventer ? L'art doit-il servir un dessein ? On dit qu'il faut tout oser dans l'art et cette liberté en est presque une définition. Mais cette liberté ne peut pas se faire au détriment de celle des autres !
L'auteur pose des questions passionnantes qui sont en lien direct avec son propre parcours composé de nombreuses évolutions graphiques et réparti entre les différents média que sont la bande dessinée, la peinture ou le cinéma.

[Critique publiée le 20/06/21]

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M O N S T R E   |   RENDEZ-VOUS À PARIS (tome 3)   Enki Bilal - 2006

Casterman - 70 pages
18/20   Mars, les mouches et le foot

    Leyla erre dans Belgrade désemparée suite à la disparition de Nike. Elle est hantée par les rêves qu'elle fait et qui la pousse à croire qu'il est toujours vivant.
Une équipe de scientifiques, travaillant sur les disparus du 32 décembre et le site de l'Aigle, lui apprend que ses songes correspondent à des images réelles qui lui parviennent de la planète Mars ! Habituée aux vols spatiaux sur Hubble 4, Leyla se porte alors volontaire pour participer à la première mission humaine sur la planète rouge.
Le Dr Warhole saisit l'occasion de ce projet d'exploration pour bâtir un nouveau plan machiavélique en utilisant une réplique de la jeune femme tandis que Holeraw, son séduisant avatar, lâche dans l'atmosphère terrestre une nouvelle œuvre conceptuelle intitulée Red Der Decompression et constituée de millions de milliards de mouches rouges génétiquement modifiées.
Nike, le vrai, est devenu l'hôte de Warhole qui tel un alien s'est greffé à son abdomen.
Enfin, Amir et Sacha se marient grâce à un homme d'affaires du monde du football ayant transformé un porte-avions poubelle israélien en camp d'entraînement sportif volant pour une équipe multiconfessionnelle ! Amir y tient le poste de remplaçant de gardien de but.

  Enki Bilal nous livre un album riche en complexité scénaristique et initiateur de nouvelles questions. Attention, il est hautement recommandé d'enchaîner la lecture des différents tomes afin d'éviter toute confusion entre les véritables personnages et leurs répliques que le Dr Warhole s'amuse à semer au fil des pages.
Le poids de la religion est présent et demeure, avec l'appartenance ethnique, le fil rouge des tensions qui hantent notre société future imaginée par l'auteur d'origine serbe.
Comme dans son travail précédent, La trilogie Nikopol, il y a des scènes totalement surréalistes et baroques tel ce porte-avion désaffecté transformé en terrain de foot ou cette nouvelle façon d'échanger la balle qui tient compte des qualités chorégraphiques des joueurs dans l'attribution des points. Enki Bilal, fan de foot, a toujours aimé représenter le sport dans son œuvre en modifiant au passage quelques règles pour rajouter du piment, de la diversité ou parfois même de la violence. Il est même à l'origine d'une nouvelle activité qui possède sa propre fédération et ses championnats du monde : le chessboxing, mélange de boxe et d'affrontement devant un jeu d'échecs, a été imaginé dans Froid Équateur !
Enfin, le thème de la science-fiction est présent à travers la conquête de Mars ou cette horrible créature introduite dans le corps de Nike qui n'est pas sans rappeler le célèbre Alien de Ridley Scott comme un clin d'œil à celui qui dit avoir été influencé par l'œuvre bilalienne pour la réalisation du mythique Blade Runner en 1982...

[Critique publiée le 20/06/21]

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M O N S T R E   |   QUATRE ? (tome 4)   Enki Bilal - 2007

Casterman - 62 pages
19/20   L'histoire d'une rédemption

    Sacha, malade après sa contamination par une mouche de l'Obscurantis Order, lutte pour guérir. Elle peut compter sur l'amour inconditionnel que lui voue Amir.
À des milliers de kilomètres de là, l'équipage en route pour Mars sombre dans l'hédonisme le plus surprenant, en décalage total avec le sérieux de la mission. Leyla est en effet sortie prématurément de l'état léthargique programmé durant les six mois de vol et a réveillé les hommes et les femmes qui l'accompagnent pour une orgie en apesanteur après un lâcher de mouches !
Quant à Nike, son cauchemar organique touche à sa fin.
Les événements semblent tous basculer dans une nouvelle direction complètement inattendue ! Warhole, sous ses différentes formes, opère de grandes mutations qui vont à nouveau bouleverser l'équilibre du monde. Fonte des glaciers, virus tueurs, trou dans la couche d'ozone sont ses nouvelles marottes. Dans un sursaut vertueux, à travers un nouveau visage et un Absolute Evil Fight, le monstre change radicalement.

  Enki Bilal clôt sa tétralogie de façon insolite mais réfléchie. Le cycle, continuellement sombre depuis les premières pages, s'ouvre à de nouveaux espoirs. Le monstrueux Warhole, incarnation du mal absolu, accepte le dialogue et rassemble même les trois orphelins lors d'un repas mémorable en lévitation au-dessus de la Tour Eiffel.
La boucle est bouclée : Leyla, Nike et Amir, malgré les complications provoquées par leurs précédents doubles ou répliques, les guerres en ex-Yougoslavie et leurs parcours si différents, peuvent à nouveau échanger un regard, se toucher, ressentir sans doute ce lien indescriptible et inconscient qui les unira continuellement.

  Bilal emmène le lecteur avec lui dans une conclusion totalement surréaliste et baroque. Mars est désormais en voie d'être colonisée tandis que Sutpo Rawhlœ, énième version d'un être étrange et indéfinissable, livre sa vision vertigineuse de l'art où l'homme dans son unité devient matière première.
Quatre ? au titre volontairement énigmatique car possédant plusieurs interprétations, donne une magistrale leçon de création artistique. L'accident est parfois ce qui pousse le plasticien à reconsidérer son point de vue, à prendre une nouvelle direction et à parfaire sa création. Une parole de feu Warhole est à ce titre très évocatrice : « La matière essentielle des créateurs est souvent accidentelle... Une couleur dévoyée, une note inepte, un mot trouble, une fêlure chromosomique, trois orphelins dans un même lit bombardé... »
Ici, la fraternité entre les hommes au sens large du terme, élément imprévu dans la matière première, a fini par orienter une construction démoniaque vers une œuvre bienfaitrice, débarrassée de toute velléité guerrière et vicieuse. La tétralogie du monstre est finalement l'histoire d'une rédemption où l'humanité est l'ingrédient salvateur. Une formidable leçon d'optimisme et une réflexion profonde sur l'art qui est ESSENTIEL.

[Critique publiée le 20/06/21]

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C I E L S   D ' O R A G E   Christophe Ono-Dit-Biot / Enki Bilal - 2011

Flammarion - 266 pages
18/20   Confessions d'une légende de la bande dessinée

    Au cœur de son atelier parisien, Enki Bilal s'est confié durant quarante-deux heures au journaliste et écrivain Christophe Ono-Dit-Biot. Dans un lieu baigné de lumière, près de l'église Saint-Eustache, parmi chevalets, toiles, pinceaux, pastels et rayonnages de livres, l'homme au regard sombre et tourmenté s'est livré au sujet de son œuvre et de son parcours. Ciels d'orage en est la restitution écrite.

  Enes, de son vrai prénom, Bilal est né en 1951 à Belgrade d'une mère tchèque et catholique et d'un père bosniaque et musulman. Seulement voilà, son pays de naissance, la Yougoslavie, n'existe plus aujourd'hui et son père l'a quitté enfant pour s'installer seul durant cinq ans à Paris. Ces deux événements sont très certainement à l'origine de ses créations torturées, engagées, parfois hermétiques mais toujours brillantes.
Le père d'Enki Bilal était le tailleur personnel du maréchal Tito à côté duquel il s'était battu durant la seconde guerre mondiale. En 1956, il quitte donc sa femme et ses deux enfants en bas âge pour Paris alors capitale de la mode. Les raisons de ce départ, sans doute d'ordre politique, resteront toujours mystérieuses...

  Dans son Belgrade natal, le jeune gamin fréquente beaucoup le parc de Kalemegdan situé juste en face de chez lui. Ancienne forteresse construite pour résister à l'envahisseur turc, le lieu abrite entre autres un musée de la guerre voulu par Tito. Durant dix ans, Enki y joue à la guerre, à cheval sur les roquettes ou hissé sur les tanks et analyse ainsi les choses : « je crois que tout mon travail est issu des souvenirs de Kalemegdan ».
Plus loin, il rajoute en parlant de l'aspect brut et ancien des portes cloutées et des murs de la vieille forteresse : « Je crois que toute ma vie je porterai le souvenir, dans mes doigts, sur la paume, de ces surfaces rugueuses, zébrées d'histoires. Mon dessin essaie de retranscrire ces textures. »

  En 1961, la petite famille rejoint le père dans la banlieue parisienne de La Garenne-Colombes ; lors de son arrivée après un voyage éreintant en train, le jeune garçon cherche désespérément des yeux la Tour Eiffel ne sachant pas que la majorité des gens vit dans des périphéries grises et non au pied de prestigieux monuments.
Les retrouvailles entre ses parents ont un parfum d'échec. Dès lors, le futur artiste trouve dans le dessin un échappatoire puissant.

  Il relate ainsi sa première rencontre avec Goscinny, grand nom de la bande dessinée, alors qu'il était encore adolescent puis plus tard l'obtention du premier prix à un concours organisé par le magazine Pilote. Là, il améliore sa technique et apprend l'art de la narration avant de rencontrer le scénariste Pierre Christin. Tous deux publieront trois albums devenus célèbres dont Le vaisseau de pierre qui inspira même au groupe Tri Yann un opéra folk-rock en 1988 !
Celui qui adore Tintin et y voit une œuvre universelle, bien au-delà d'un simple livre illustré, reconnaît ne pas aimer la ligne claire. Cela s'explique une fois de plus par son enfance dans le parc de Kalemegdan où l'irrégularité des murs de la forteresse ont forgé son esthétisme : « La ligne claire, pour moi, ne produit aucune émotion, et j'aime, moi, que la peinture dérange. »

  Plus loin au cours de l'entretien, l'auteur de bande dessinée rend également hommage à la littérature à laquelle il voue une « véritable vénération ». Cela provient de ses origines étrangères et de ce besoin de maîtriser la langue française pour gagner en autonomie et s'extraire des difficultés familiales : « J'ai beaucoup lu, beaucoup exploré, appris à apprécier des genres très différents, de la poésie de Baudelaire aux récits de Lovecraft. »

  Le journaliste aborde bien sûr l'une de ses œuvres maîtresses : La tétralogie du monstre. C'est la première fois, en 1998, que Bilal traite de son pays natal. Tourmenté par l'histoire géopolitique de l'ex-Yougoslavie qui a littéralement explosé, il raconte : « J'ai vécu et exorcisé ces angoisses à ma manière, avec Le sommeil du monstre, même si ça a été très pénible. Ces quatre albums, qui ont pris dix ans de ma vie, ont été un long cauchemar éveillé. »
Il entame également avec ce premier tome une rupture technique : les cases deviennent plus grandes, sortent du cadre de la page pour exister et se remplir de couleurs acryliques rehaussées au pastel. Les scènes sont violentes, à l'image du traumatisme de son auteur...
Les codes sont nombreux et certains sont explicités ici. Ainsi, ce trou provoqué par un obus de la guerre inspire le nom de « Warhole » pour nommer le personnage monstrueux et central de l'histoire. Tout comme le célèbre et réel Andy Warhol, Warhole use de l'art de la réplication !
Et que dire du héros, Nike Hatzfeld, nommé ainsi parce qu'il a été trouvé auprès d'un combattant mort portant des chaussures de la marque éponyme ? Enki Bilal ne s'est aperçu qu'après coup que « Nike » était l'anagramme de son propre prénom !

  Enfin, il évoque ses derniers travaux, en cours au moment de cet échange, dans lesquels il imagine une planète qui se révolte contre la présence mortifère humaine qui la fait tant souffrir. Bilal continue donc d'aborder les sujets majeurs de notre société et de dénoncer la bêtise humaine. À l'écologie, il préfère le terme « planétologie » et sur son engagement évoqué par le journaliste Christophe Ono-Dit-Biot, il répond : « Je pense même que c'est la seule véritable cause qui nous reste. Tout notre sort en dépend. »

  Marqué par une jeunesse perturbée liée à des conditions sociales difficiles, Enki Bilal a toujours conservé en lui « une sorte d'hermétisme existentiel » qui l'a fait s'éloigner de toute mode. C'est précisément là qu'est sa force. Aujourd'hui, son style est immédiatement reconnaissable dans l'univers de l'art et c'est pour cette raison en grande partie que l'homme est devenu si emblématique dans le 9ème art et bien au-delà.
Ses tableaux se vendent à plusieurs centaines de milliers d'euros, comme une pièce de la série Bleu sang partie à 177 000 euros.
Mais Bilal n'esquive pas les questions sur le sujet de l'argent. Ainsi, il s'est mis très tardivement à vendre ses toiles et ses dessins avec l'aide d'un galeriste et jamais il n'aurait imaginé avoir une telle cote. La pièce vendue à 177 000 euros avait été estimée à 35 000 euros par les experts d'Artcurial, chiffre que le dessinateur trouvait déjà extrêmement élevé...
En toute franchise, il réagit à l'évocation de ces chiffres : « Est-ce que l'art a un prix, un tel prix en tout cas ? Ce qui est certain, et fondamental, c'est que les artistes sont les vigies des époques qu'ils traversent. On doit leur permettre de continuer à exister. Il faudrait juste que la répartition soit meilleure... Mais là, on touche à la nature même de notre société. »
Et puis, tout cela est plus complexe qu'il n'y paraît. Par exemple, avant ce genre de ventes, Bilal trouvait les dessins qu'il réalisait lors de dédicaces à vendre sur eBay peu après... Par ailleurs, revoir chez lui certaines de ses créations le replonge dans de mauvais souvenirs, dans des périodes de sa vie qui l'ont fait souffrir.

  Enfin, n'oublions pas que l'homme est un artiste polymorphe. Dans l'un des derniers chapitres, Enki Bilal, cinéaste et cinéphile, parle des films qu'il a réalisés et des artistes qui l'ont marqué : Peter Watkins qu'il admire, Alain Resnais, Ridley Scott inspiré par La foire aux immortels pour Blade Runner, Michael Mann, Jean-Jacques Annaud ou encore Ettore Scola.

  Pour conclure, rappelons que le particularisme, la singularité de l'art bilalien entrent en nette opposition avec le formatage, l'appauvrissement de la culture que l'on constate de plus en plus aujourd'hui : « L'époque est à l'étiquetage rapide, au marketing directif. On ne prend plus le temps de réfléchir, on consomme. Il faut tout de suite aller vite, les artistes doivent se positionner. Se ranger dans telle catégorie. Et quand on ne veut pas se ranger dans une catégorie, d'autres le font pour vous. Ce n'est pas ma conception de la culture. »

[Critique publiée le 20/06/21]

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C O U P   D E   S A N G   |   ANIMAL'Z (tome 1)   Enki Bilal - 2009

Casterman - 100 pages
18/20   Quand notre planète se métamorphose brutalement

    Dans un futur très proche, l'environnement de l'homme se dérègle et se modifie brutalement. Le phénomène, nommé « coup de sang », bouleverse totalement la vie telle que nous la connaissons actuellement jetant les individus sur les routes, tous migrants, à la recherche d'eldorados, des lieux paraît-il encore vivables. Les transports terrestres étant rendus dangereux, quelques chanceux possédant une embarcation naviguent sur la mer à la recherche du détroit D17, l'un de ces fameux eldorados.
Trois de ces bateaux vont ainsi voir leur destin lié. Le premier est piloté par Lester Outside et son « robotdrone » en forme d'hippocampe. Le second appartient à Ana Pozzano dont le compagnon a semble-t-il été violemment tué par les caprices d'une météo devenue totalement incontrôlable. Enfin, le troisième navire est un yacht occupé par Kim et ses parents Louise et Ferdinand Owles. Ce dernier possède un pied en forme de nageoire suite à une hybridation qu'il a réalisée sur lui-même. Il est connu pour avoir mené de nombreuses expériences, plus ou moins douteuses, sur des humains devenus de véritables cobayes pour certains.
Frank Bacon est l'un de ceux-là justement ; il a la faculté de s'hybrider avec un dauphin et peut traverser les mers avec l'aisance du mammifère marin.

  Parallèlement, sur la terre ferme, dans une quête totalement surréaliste - une preuve du dérèglement des humains eux-mêmes aussi ? - deux cavaliers chevauchent leur monture en s'exprimant par le biais de citations empruntées à Flaubert, Borgès ou Moitessier et en s'affrontant dans des duels à l'arme à feu.
L'un monte un cheval à tête de zèbre et l'autre un zèbre à tête de cheval parfaitement symétrique.

  Tous ces survivants se retrouvent au niveau de la zone D17 où la radioactivité est intense et les mines explosives éparpillées en grand nombre. Là se trouve le Lounge Bar qui cache des pratiques absolument atroces témoignant une fois de plus de l'horreur de la situation.

  Enki Bilal dénonce clairement et sans ambiguïté le changement climatique actuel et ses conséquences terrifiantes que subissent déjà nombre d'humains. Il explique dans un prologue ce « coup de sang » de la planète qui, telle un animal, a décidé de se débarrasser d'un parasite devenu gênant : l'homme.
Ainsi, tout a été chamboulé et bouleversé rapidement, les repères géographiques n'existent plus. L'eau potable est devenue une ressource rare et les informations encore diffusées ne sont plus fiables.
L'auteur met également en scène les liens étroits unissant l'homme et l'animal. Ici, il pousse jusqu'à une osmose organique entre les deux et aborde ainsi les questions sensibles du transhumanisme et de la coopération entre espèces.

  L'artiste d'origine yougoslave est un homme engagé. À travers son œuvre, il a toujours dénoncé les guerres, dictatures et autres massacres. La question écologique est ici traitée de manière frontale avec une mise en scène effrayante de la conséquence des désordres induits par l'homme sur les fragiles équilibres naturels depuis une cinquantaine d'années.
L'art est fait pour questionner, interroger, réagir, alerter. Cet album atteint parfaitement cet objectif.

  Sur le plan technique, Bilal a mis de côté la peinture et la couleur ; il utilise uniquement une mine de plomb grasse rehaussée de pastel blanc ou rouge. De plus, il dessine sur un papier teinté de gris-bleu afin de renforcer encore davantage le ton sombre de son propos et le caractère maritime de son histoire.

[Critique publiée le 20/06/21]

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C O U P   D E   S A N G   |   JULIA & ROEM (tome 2)   Enki Bilal - 2011

Casterman - 90 pages
17/20   Hommage à Shakespeare

    L'histoire se situe maintenant sur la terre ferme et débute par un road-movie mettant en scène H. G. Lawrence au volant de sa Ferrari dans un décor dépouillé et angoissant.
Sur la route, il fait la connaissance de Rœm et Merkt qui marchent désespérément, sans but ni envie de continuer à vivre.

  Les trois hommes recueillent alors un milan sacré blessé par un coup de fusil provenant d'un énorme hôtel désaffecté. Là, se cachent d'autres survivants qui acceptent les premiers pour la nuit tout en leur faisant comprendre que rester davantage ne serait pas judicieux.
Les contacts sont froids, distants. Lawrence, aumônier militaire pour l'ONU, est troublé par les noms des différents protagonistes. Le sien tout d'abord, puis ceux de Rœm et Merkt. Et voilà que maintenant il se met à partager une nuit avec les dénommés Parrish, Tybb et Julia. Cela sonne étrangement comme un remake de la pièce Roméo et Juliette qui mettait en scène le frère Laurence, Roméo, Mercutio, Pâris, Tybalt et Juliette.
Là où la situation devient réellement inquiétante c'est lorsque Tybb tue Merkt et que Rœm se met à déclamer sans le vouloir des tirades de la pièce de Shakespeare !
Dès lors, découpé en trois actes comme au théâtre, le récit prend une tournure particulière et semble joué d'avance. Lawrence, se remémorant tant bien que mal la célèbre tragédie, doit absolument court-circuiter le cours des événements pour préserver les vies de Rœm et Julia : « Cette maudite histoire d'amour se devrait donc de toujours finir mal ? »
La seule certitude dans ce monde qui a perdu presque tous ses repères est que la survenue d'une telle aberration littéraire semble directement liée au bouleversement du climat et de la géographie : « Ce lieu est un micro climat qui s'exprime en Shakespeare. »

  En écho aux citations déjà présentes dans Animal'z, Enki Bilal poursuit sur cette veine en faisant d'une bande dessinée entière une seule citation. Julia & Rœm est en effet une ré-écriture de Roméo et Juliette sous forme d'hommage au grand dramaturge anglais qui a, dans son œuvre, décrit avec perfection et talent les grandes passions humaines.
L'auteur, comme la planète en recomposition elle-même, laisse penser que tout a déjà été dit. Plus largement, il renoue avec ses sujets de réflexion habituels : la répétition des drames de l'histoire et le travail de mémoire sans cesse nécessaire.
Ce tome peut aussi être décodé comme un chant d'amour à la littérature. Après ses dix années d'enfance passées en Yougoslavie, le jeune homme, perturbé par un père fuyant, a dû se construire en France et apprendre la langue de ce pays d'accueil. La littérature et la poésie ont été des socles fondateurs de ce qu'il est aujourd'hui devenu. Shakespeare, traduit dans notre langue par l'un des fils de Victor Hugo, est un auteur essentiel qu'il faut absolument lire !
Enfin, le comportement climaticide des pays dits « riches » reste pointé du doigt à travers des paysages tourmentés, instables et surtout des ciels terrifiants dont les nuages semblent annoncer des catastrophes violentes et irréversibles.
Sur le plan graphique, Bilal assombrit encore son propos en dessinant sur un papier ocre avec quelques rehauts aux pastels blanc, bleu ou bien rouge.

[Critique publiée le 20/06/21]

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C O U P   D E   S A N G   |   LA COULEUR DE L'AIR (tome 3)   Enki Bilal - 2014

Casterman - 92 pages
16/20   « Reset » de l'humanité

    Voici une nouvelle horde de survivants qui se déplace dans les airs cette fois-ci. Esther Roblès, Anders Mikkeli, Zibbar et les jumelles Louisa et Louissa sont à bord d'un zeppelin dans lequel ils sont parvenus à sauter alors que le sol se dérobait sous leurs pieds. Ils découvrent qu'ils ne sont que temporairement à l'abri car leur moyen de locomotion est en réalité un futur cercueil tant il est rempli de déchets nucléaires. De façon toujours aussi incongrue, les citations pullulent à bord à travers les voix des jumelles qui débitent du Nietzsche à tour de bras.

  Les personnages des deux tomes précédents reviennent également sur le devant de la scène.
Bacon et son dauphin accompagnés de Kim terminent leur périple maritime pour trouver un peu de calme dans une maison qui ne tarde pas à s'envoler. Ils découvrent avec stupéfaction que le ciel se remplit de mammifères marins et autres poissons eux aussi volant dans la même direction inconnue.
Pendant ce temps-là, Lawrence, Julia et Rœm voyagent à bord de leur automobile en suivant un nuage en forme de flèche. Peu à peu, la route devient impraticable tant ses métamorphoses la déforment. Leur voiture finit par être littéralement avalée. Lawrence, philosophe, déclare en parlant de notre planète : « Elle débarrasse les hommes de leurs scories... Ma petite Ferrari en était apparemment une... »
Petit à petit, ils vont à leur insu rejoindre Lester et Ana et les délivrer d'une bien mauvaise position.

  Enki Bilal fait son grand nettoyage sur la Terre. L'un de ses personnages clame d'ailleurs : « Le coup de sang, c'est la planète qui nous dit stop, qui nous dit merde... »
Tous les protagonistes de sa trilogie sont menés vers une nouvelle ère basée sur des lois saines loin du capitalisme effréné et des guerres qui n'ont apporté que malheur aux hommes et à leur unique lieu de vie. Dans un volcan en guise de sac poubelle, le dessinateur de science-fiction déverse toute la noirceur du monde matérialisée ici par les bombes, roquettes, missiles et autres armes pour lesquelles l'humanité n'a jamais manqué d'imagination. Sans oublier de mentionner une odeur indescriptible digne des pires immondices.
Parsemé de citations de Théodore Monod ou de Jean-Luc Godard, ce dernier volume s'ouvre sur une vision optimiste d'un auteur que l'on associe pourtant à tort au pessimisme le plus total depuis toujours. Oui, Bilal cultive l'espoir d'un monde meilleur dans son œuvre. La tétralogie du monstre le prouve également malgré un scénario noir et déprimant.
La lumière, la renaissance, le pardon adviennent toujours chez ses personnages dont la Terre fait ici partie. Mais la réalité sera-t-elle aussi salvatrice ? L'humanité aura-t-elle vraiment une seconde chance ? La fiction et l'art sont là pour poser la question même si les dés sont certainement déjà lancés...

[Critique publiée le 20/06/21]

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L E   S O M M E T   D E S   D I E U X   |   (tome 1)   Jirô Taniguchi / Baku Yumemakura - 2000

Kana - 335 pages
17/20   Et si un appareil photo changeait l'histoire de l'alpinisme ?

    Nous sommes le 8 juin 1924. George Mallory et Andrew Irvine, deux alpinistes anglais, entament la phase finale de l'ascension de l'Everest, le toit du monde. Leur coéquipier, resté au camp précédent, observe au loin leurs silhouettes s'éloigner dans les nuages.
Ils ne reviendront pas vivants.
Ce n'est qu'en 1953 que le néo-zélandais Edmund Hillary entrera dans la légende en compagnie du sherpa Tensing Norgay en atteignant l'altitude de 8 848 mètres.

  1993, Katmandou. Fukamachi vient de participer à une expédition japonaise sur l'Everest en tant que photographe. Traumatisé par l'échec de la tentative qui s'est soldée par la mort de deux hommes, il erre dans les rues commerçantes de la capitale du Népal.
Dans une boutique de matériel d'occasion pour les alpinistes, il tombe par hasard sur un appareil photo qui l'intrigue fortement. Il s'agit d'un ancien modèle Kodak identique à celui que Mallory avait emporté avec lui lors de sa dernière ascension et qui n'a jamais été retrouvé. Récupérer sa pellicule fait fantasmer tous les passionnés d'histoire de la montagne depuis des décennies car elle comporte peut-être une révélation inédite sur les premiers hommes à avoir foulé le sommet de l'Everest !

  Fukamachi se lance alors dans une longue enquête en faisant l'acquisition du Kodak. Malheureusement, il se le fait presque aussitôt dérober. Il apprend alors que l'appareil appartient en réalité à Habu Jôji, un alpiniste japonais légendaire possédant un caractère ombrageux. Ce dernier parvient à récupérer le bien volé et met un terme aux questions du journaliste sur sa possible appartenance au grand Mallory.
De retour au Japon, Fukamachi interroge des gens qui ont connu Habu. Petit à petit, il découvre son parcours. Ayant perdu ses parents à l'âge de six ans, l'homme a toujours voulu défier la montagne et s'est inscrit jeune dans un club d'escalade. Ses dons exceptionnels lui ont permis de gravir la plupart des parois du Japon et, en 1970, il est entré dans la légende en réalisant l'ascension hivernale du mont Oni-Sura avec son compagnon Inoue. En 1976, une expédition avec le jeune Kishi tourne malheureusement au drame dans les Alpes septentrionales japonaises.
Malgré cela, sa détermination ne faillit pas, il enchaîne pour le compte d'un grand magasin de matériel de montagne les ascensions en été.

  Parallèlement, un autre alpiniste japonais défie lui aussi les cimes et devient célèbre : Hase Tsuneo réussit à gravir en solitaire et en hiver le Matterhorn ainsi que la face nord de l'Eiger. Ayant annoncé sa décision d'affronter l'éperon Walker dans les Grandes Jorasses, il rend jaloux Habu qui s'empresse de prendre un vol vers l'Europe durant l'hiver 1979 pour être le premier à remporter ce succès.

  Jirô Taniguchi se livre ici à un travail remarquable en adaptant le roman de Baku Yumemakura.
Fidèle à son style, il dessine avec une précision extrême chaque case. La montagne est la grande héroïne évidemment avec ses sommets majestueux, ses parois vertigineuses et ses températures extrêmes. Nul besoin d'être un féru d'alpinisme pour embarquer dans cette histoire mêlant enquête de journalisme et obsession pour la grimpe. Car il s'agit vraiment de cela : le parcours de quelques hommes au regard uniquement porté vers le ciel et toujours attirés par la difficulté.
Habu, le personnage principal, défie la vie à travers la montagne. Est-ce une manière de se sentir vivant après la perte de ses parents ?
L'histoire trouve en outre un subtil équilibre en dressant le parcours de deux alpinistes japonais aux caractères et allures radicalement opposés : Habu, froid et colérique, face à Hase, lumineux et jovial. L'ombre et la lumière, le yin et le yang...

[Critique publiée le 20/06/21]

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L E   S O M M E T   D E S   D I E U X   |   (tome 2)   Jirô Taniguchi / Baku Yumemakura - 2001

Kana - 347 pages
17/20   Compétition tacite entre Habu et Hase

    Habu Jôji, cet alpiniste japonais au centre du récit, se rend dans la chaîne du Mont-Blanc afin de gravir les 1200 mètres de dénivelé de la pointe Walker au sein des fameuses Grandes Jorasses. Il veut être le premier à remporter cette victoire en solo et dans des conditions hivernales. Mais le second jour, il dévisse et fait une terrible chute de 50 mètres.
C'est en lisant le journal qu'il a tenu en pleine montagne durant sa tentative que le journaliste Fukamachi découvre cette tragédie qui a failli emporter Habu. Sans les secours avertis par son concurrent Hase sur le point de démarrer également l'ascension, le froid et ses nombreuses blessures auraient eu raison de lui.
Fukamachi a pu récupérer ce témoignage écrit auprès de la sœur de Kishi, l'ancien compagnon de Habu ayant perdu la vie dans l'épisode précédent. Obsédé par cet accident, l'escaladeur japonais avait remis son journal de bord à cette femme, se sentant à jamais responsable du malheur qui l'accable jour après jour. Ils avaient également vécu une relation amoureuse durant six ans.
Aujourd'hui, la sœur de Kishi ayant brutalement perdu de vue Habu Jôji après qu'il eut quitté le Japon sans laisser d'adresse, recherche elle aussi cet homme et veut apporter son aide à son compatriote journaliste.

  Le récit raconte également la difficile histoire d'amour entre Fukamachi et Kayoko. Peu de temps avant, l'un de ses amis avait fini par séduire la femme de sa vie et projeté de se marier avec. Cela avait plongé le journaliste dans la dépression qui, pour faire face, avait trouvé refuge dans sa passion pour la montagne renforcée par la découverte de cet appareil photo déniché par hasard dans une boutique de Katmandou.

  Les épisodes se succèdent en habiles flash-back autour des différents protagonistes.
Ainsi, en 1985, Habu Jôji avait participé à une expédition avec les meilleurs grimpeurs de l'époque, dont son rival Hase Tsuneo. L'objectif visé était d'atteindre le sommet de l'Everest par la face sud-ouest. Mais le mauvais caractère de Habu l'éloigna de la victoire et l'isola encore davantage du milieu de l'alpinisme.
Puis est arrivée la disparition brutale de Hase en 1991 lors de l'ascension du K2 au Pakistan, le second sommet du monde, qui s'élève à 8611 mètres.
Au cours de son enquête, Fukamachi devient convaincu que Hase a tenté cet exploit en solitaire et sans oxygène pour relever un défi lancé par Habu. Il décide de retourner au Népal pour trouver les preuves d'une rencontre entre les deux hommes.
De son côté, Habu se trouve au Népal et prépare un grand coup : il projette d'atteindre en hiver, en solitaire et sans oxygène le sommet de l'Everest en passant par la face sud-ouest.

  Jirô Taniguchi poursuit son histoire par de nombreux épisodes et de magnifiques dessins pleine page en noir et blanc. Les décors sont étonnants par la densité des détails et la minutie du trait dans les arrière-plans.
Comme dans le premier tome, les auteurs délivrent leurs connaissances sur le milieu de l'alpinisme. Ici est notamment présenté le titre de « Tigre » qui était donné aux sherpas accompagnant les alpinistes chevronnés.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L E   S O M M E T   D E S   D I E U X   |   (tome 3)   Jirô Taniguchi / Baku Yumemakura - 2002

Kana - 337 pages
16/20   Ryôko prise en otage

    L'Empire Britannique a lancé sa première expédition de reconnaissance de l'Everest en 1921. Plusieurs autres missions ont suivi pour tenter d'accéder au sommet mythique. Celle de 1924, au cœur de ce récit, a vu la disparition de Mallory et Irvine. Ce n'est que bien plus tard, en 1953, que l'Histoire s'est écrite avec l'exploit d'Edmund Hillary et de son sherpa Tenzing Norgay.

  Fukamachi, de retour au Népal, poursuit sa quête de l'appareil photo de Mallory dont la pellicule pourrait révéler bien des secrets. Mais l'appareil suscite les convoitises et conduit au kidnapping de Ryôko, la sœur du malheureux Kishi, venu rejoindre le journaliste japonais. La jeune femme veut en effet elle aussi retrouver Habu Jôji car ce dernier l'a quittée subitement après avoir pourtant partagé une liaison amoureuse avec elle.
Fukamachi trouve de l'aide auprès de Naradar Rasendra, un « Gurkha » à la retraite, qui dit agir dans son propre intérêt. Le titre de Gurkha fait référence au régiment de soldats népalais qui œuvraient au sein de l'armée britannique. Et Naradar sait faire parler un homme, quitte à employer la torture... Il découvre ainsi le lieu de séquestration de Ryôko.
Une course-poursuite sur les routes sinueuses du Népal s'ensuit jusqu'à la chute dans un ravin de la voiture conduite par les malfrats et leur otage. Habu, très attachée à la jeune femme, parvient à la sauver in extremis grâce à sa force herculéenne.

  À nouveau, chacun est fasciné par cet alpiniste au caractère déterminé, à la puissance musculaire hors norme et aux secrets enfouis au plus profond de lui-même.
Distant et froid lorsque Fukamachi lui pose des questions, fuyant lorsque Ryôko veut partager à nouveau une nuit avec lui, Habu repart dans son village sur les hauteurs népalaises.
Il finit par avouer son objectif pour lequel il se prépare discrètement depuis des années en se faisant passer pour un sherpa : gravir l'Everest par le versant sud-ouest, en solitaire, durant l'hiver et sans oxygène. Une première dans l'histoire de l'alpinisme !
Il présente aussi à ses compatriotes japonais, Fukamachi et Ryôko, sa femme et ses deux enfants. Ryôko comprend alors que leur relation est définitivement rompue et rentre au Japon tandis que le journaliste s'entête de son côté, pour combattre ses propres démons, à suivre Habu.

  Dans cet album, Taniguchi et Yumemakura font avancer l'intrigue. L'étau se resserre petit à petit et le lecteur a enfin la confirmation que Habu est le détenteur du fameux appareil photo.
Cet épisode est davantage violent par la scène de torture qu'il dépeint et proche du thriller lorsque Ryôko est capturée en échange d'une rançon.
Quelques pages plus didactiques viennent éclaircir le lecteur sur des sujets propres à ces lointaines contrées et à leur histoire : les réfugiés du Bouthan au Népal pour avoir critiqué le système monarchique, l'ordre des Gurkhas ou encore les villages de sherpas qui constituent de véritables carrefours commerciaux sur la route des sommets de plus de 8000 mètres.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L E   S O M M E T   D E S   D I E U X   |   (tome 4)   Jirô Taniguchi / Baku Yumemakura - 2003

Kana - 313 pages
18/20   En route pour le toit du monde

    L'appareil photo de George Mallory provoque à nouveau une situation conflictuelle. Mohan est en effet parvenu à s'échapper des griffes de Naradar Rasendra et à rejoindre la demeure de Habu Jôji sur les hauteurs népalaises. Il kidnappe cette fois-ci l'enfant de l'alpiniste et menace de le tuer si la relique ne lui est pas remise.
Fukamachi, accompagné de Rasendra, réussit à sauver l'enfant. Déterminé à accompagner Habu, il rejoint alors le camp de base situé à 5400 mètres d'altitude et se met à l'attendre. Ce dernier, en remerciement de sa bravoure, lui offre le fameux Kodak et l'autorise à le photographier lors de son ascension. La seule condition à respecter par le journaliste est l'absence d'entraide entre les deux hommes en cas de difficulté...

  Habu Jôji avait déjà gravi l'Everest sans oxygène par la voie normale. C'est en redescendant de cette mission de reconnaissance que, pris dans une tempête de neige, il avait dévié et découvert le corps de Mallory figé dans la glace depuis 1924.
Depuis huit ans il mûrit son projet d'ascension par la face sud-ouest : « Ce que Habu Jôji s'apprêtait à faire appartenait au domaine de ces divinités. C'était quitter la terre et pénétrer dans l'univers des dieux. »
En 1969 déjà, une expédition japonaise avait relevé le défi. Puis en 1975, une équipe britannique avait fait de même en trente-trois jours. Habu, allégé du matériel dense propre aux grandes cordées et n'ayant pas de route à sécuriser pour un quelconque compagnon, projette de monter et revenir en trois nuits et quatre jours en partant du camp de base. Son ennemi numéro 1 n'est pas le froid extrême mais le vent. Dans les conditions qu'il s'impose, la vitesse d'ascension est l'élément clé de la réussite.

  Après avoir attendu une météo clémente durant une douzaine de jours, l'alpiniste suivi du journaliste se lance à la conquête du toit du monde.
Fukamachi n'ayant ni l'entrainement ni la condition physique de son ami, le retard entre les deux sportifs augmente assez rapidement. Peu à peu, le premier s'élève vers les cimes tandis que le second doit faire face au manque d'oxygène et aux angoisses liées à la solitude extrême : « Dans ce paysage aux dimensions titanesques, Fukamachi prenait conscience de sa propre existence. »

  Cet avant-dernier tome de la série fait voyager le lecteur très loin.
Le mental et le physique des deux alpinistes sont soumis à rude épreuve. Fukamachi, distancé par Habu, ressent un mal de tête permanent lié à l'altitude, une perte d'appétit et une peur constante de mourir sous une avalanche ou la chute d'une pierre.
Les vues dessinées par Taniguchi sont renversantes, les images de la cascade de glace sont impressionnantes. Nos héros sont, dans certaines cases, tels des fourmis progressant très lentement dans des décors dantesques qui ne correspondent plus à une échelle humaine.
Il faut certainement avoir de la patience et une volonté de fer pour représenter durant des centaines de pages l'univers de la montagne avec ses roches, crevasses, falaises, blocs de glace, pitons et autres cailloux à perte de vue ! Le dessinateur japonais réussit lui aussi un exploit sur le blanc de ses pages !

[Critique publiée le 20/06/21]

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L E   S O M M E T   D E S   D I E U X   |   (tome 5)   Jirô Taniguchi / Baku Yumemakura - 2003

Kana - 305 pages
17/20   L'accomplissement de Fukamachi

    Habu Jôji poursuit son ascension de la face sud-ouest de l'Everest, seul et sans oxygène.
L'hiver, les conditions sont extrêmement rudes. Le palier des 8000 mètres est critique ; sans apport d'oxygène il faut y séjourner le moins longtemps possible. À cette altitude en effet, la densité de la précieuse molécule est trois fois moindre qu'au niveau de la mer. Le cerveau du grimpeur étant moins alimenté, sa concentration diminue fortement et sa vision s'obscurcit. Le risque de chute devient alors très élevé.
Fukamachi, qui suivait Habu, a échappé à la mort. Il a décidé d'abandonner et de redescendre tout en bifurquant afin de se placer face à la pointe de l'Everest et pouvoir observer au téléobjectif les derniers pas de son ami vers l'objectif final.
Il poursuit ensuite jusqu'au camp de base où l'attend le sherpa Ang Tshering. Tous les deux se mettent alors à guetter le retour de leur compagnon. En vain...

  Rentré au Japon, Fukamachi parvient à écrire son article de presse pour son magazine de montagne. Il a à cœur de livrer toute la vérité afin de combattre les préjugés déshonorants qui entourent l'alpiniste Habu Jôji. Mais rapidement, l'absence de la montagne le fait souffrir. En novembre 1995, il retourne dans l'Himalaya pour s'attaquer seul à l'Everest en suivant l'itinéraire emprunté par Mallory et Irvine.

  Ce dernier tome conclut la série en livrant le secret de l'ascension de Mallory en 1924. Évidemment, à ce jour, cela reste une interprétation car la véritable histoire demeure inconnue malgré les nombreuses expéditions à avoir effectué des recherches.
Ici encore, les auteurs nous démontrent que la montagne conduit au-delà du simple exploit sportif en ouvrant l'âme sur le plan métaphysique. Devant les vues vertigineuses offertes au regard du grimpeur ou les ciels étoilés absolument féériques en ces lieux épargnés de toute pollution lumineuse, la question du sens de la vie se pose naturellement. La nature possède cette vertu de remettre en perspective les priorités de chacun à une époque où la société tend à s'affranchir définitivement d'elle au nom d'un modèle libéral devenu fou.

  Le sommet des Dieux est un hymne aux grands espaces, à la simplicité et à l'humilité. Et au sommet de l'Everest comme dans les difficultés de la vie, retenons ces paroles du personnage Habu Jôji : «Continue d'avancer avec tout ton cœur. »
La montagne comme métaphore de la vie...

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   L'HÉRITIER (tome 1)   /   LE GROUPE W (tome 2)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 1990 / 1991

Dupuis - 96 pages
19/20   Les fondations d'une grande série

    Nerio Winch, le président du groupe éponyme, est assassiné. Jeté vivant depuis le dernier étage de la tour renfermant le siège de sa société à New York, son cadavre gît sur le trottoir.
Il avait heureusement pris les devants en préparant sa succession : vingt-cinq ans auparavant, il s'était rendu dans son Monténégro natal pour y rechercher d'éventuels membres de sa famille. Il avait alors adopté le tout jeune Largo Winczlav et lui avait offert des études à Londres et en France en lui disant : « Tu ne t'appartiens pas, Largo. Tu appartiens à l'avenir que j'ai tracé pour toi. »

  Âgé de vingt-six ans au moment du meurtre de Nerio, Largo se retrouve donc propulsé à la tête du Groupe Winch qui vaut 10 milliards de dollars sur le marché financier.
Mais la place attise les convoitises et la succession demande de suivre des démarches que d'autres voudraient bien mener à la place de l'héritier légitime.

  Avant même d'être prévenu de la mort de son père adoptif, Largo tombe dans un piège et se retrouve injustement accusé du meurtre d'un touriste en Turquie. Emprisonné à Selimiye, il fait la connaissance de Simon et organise une évasion musclée.
Voyant l'arrestation du futur président du Groupe Winch comme une terrible erreur, le gouvernement turque panique et fait intervenir la mortifère Section K afin d'étouffer définitivement et radicalement cette affaire.
Évidemment, Largo et son ami Simon s'en tirent. Le futur milliardaire se rend alors à New York afin de rencontrer le conseil d'administration du Groupe Winch. Il est promu à un avenir plein de responsabilités en étant à la tête de 400 000 salariés répartis dans 57 pays, de 562 sociétés et filiales générant un chiffre d'affaires consolidé de 44 milliards de dollars !

  Seul Largo sait où sont cachés les dossiers de la succession ainsi que les dix parts à récupérer pour disposer de l'empire Winch. Nerio avait en effet tout anticipé et réalisé un montage financier parfaitement optimisé en passant par une société de holding établie au Liechtenstein.
Tout l'enjeu est désormais de récupérer au plus vite les parts, d'éviter le ou les adversaires avides du trésor et d'identifier le coupable du meurtre de Nerio !

  D'abord publié sous forme de romans par Jean Van Hamme, Largo Winch devient une bande dessinée en 1990 et prend vie sous la main habile du dessinateur belge Philippe Francq.
Le succès est rapide et la série s'installe comme une valeur sûre du 9ème art jusqu'à devenir aujourd'hui incontournable. Fait notable, chaque histoire est indépendante et se déroule sur deux albums. Cela permet ainsi le développement d'un scénario complexe et riche sur près de cent pages. Evidemment, au fil des diptyques, les personnages évoluent, s'étoffent et progressent dans leurs relations.

  L'héritier et Le Groupe W introduisent le lecteur dans l'univers de Largo Winch. Mais là où certains auteurs se contenteraient de cette seule tâche, Van Hamme et Francq livrent un scénario palpitant et extrêmement bien ficelé de la première à la dernière case.
Quelle réussite ! Quel découpage judicieux mêlant aspects financiers, scènes d'action, moments d'émotion et flashbacks explicatifs.

  Quant à Philippe Francq, même si les traits de Largo ne sont pas encore tout à fait définitifs comme dans toute première œuvre, il éblouit déjà par sa maîtrise du mouvement et des paysages. Je pense notamment à la course-poursuite en Turquie constituée de dessins seuls : les cadrages du pont sur le Bosphore sont superbes, le mouvement et la vitesse parfaitement rendus. C'est la preuve que la BD n'a rien à envier au cinéma.
Ce dessinateur pose ainsi d'emblée sa « patte » sur la série Largo Winch et offre dès le début un travail de grande qualité picturale. Il suffit de jeter un œil sur les scènes montagnardes aux abords du chalet alpin de l'oncle Ernst ou de plonger dans les cases révélant l'extraordinaire décor de l'île Sarjevane isolée au milieu de la mer Adriatique pour succomber définitivement au charme !

[Critique publiée le 10/05/20]

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L A R G O   W I N C H   |   O.P.A (tome 3)   /   BUSINESS BLUES (tome 4)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 1992 / 1993

Dupuis - 96 pages
16/20   Le monde complexe de la finance décrypté par Van Hamme

    Une nouvelle menace pèse sur le Groupe Winch à travers la Fenico (Fenimore Insurance Company) qui projette le rachat de toutes les actions disponibles. Cet acte financier agressif n'est peut-être pas étranger au fait que Robert Cotton, ancien directeur de la branche Pétrole du Groupe Winch, travaille maintenant au sein de la Fenico.
Largo Winch rencontre d'ailleurs Gus Fenimore, le patron de cette compagnie, lors d'une réception mondaine pendant laquelle il tombe aussi sous le charme d'une certaine Mélanie Wagner et retrouve un ancien condisciple de l'INSEAD nommé Hakim.
Au cours de cette soirée, Matt Northridge, gros actionnaire de la Fenico, est assassiné par le mystérieux « archer vert » qui a pour objectif l'élimination des gros pontes responsables des grands désastres écologiques.
Suite à ce crime affaiblissant son nouvel ennemi, le Groupe Winch décide de répliquer en lançant une contre-OPA.

  Parallèlement, le héros milliardaire reçoit la visite de l'IRS, le fisc américain, qui lui réclame plus de 1 milliard de dollars en droit de succession suite à son héritage après la disparition de Nerio Winch. Enfin, pour couronner ces ennuis, Lizza-Lu, une rombière qui vit des pensions alimentaires d'industriels fortunés, annonce son mariage avec Largo après l'avoir drogué et photographié dans son lit à son insu.

  Menacé de toute part, Largo Winch reste fidèle à lui-même et à son anticonformisme dans ce milieu financier très codifié. Dès l'annonce de la contre-OPA par ses administrateurs, son instinct lui indique un danger. Et effectivement, malgré un montage financier parfaitement verrouillé et semblant à l'abri de tout risque, l'opération ne se passe pas comme prévu. John Sullivan, numéro deux du Groupe Winch, fait une tentative de suicide sous la pression.
Tout cela s'inscrit en réalité dans un plan diabolique bien plus vaste de guerre économique entre les États-Unis et les pays arabes. Le libyen Hakim tire les ficelles d'un complot ayant pour objectif d'affaiblir l'économie américaine en prenant la main sur un grand nombre de sociétés dont celles du Groupe Winch et de la Fenico. Mais le FBI et le Mossad, le service secret israélien, ont également placé leurs pions, des soldats, sur cet échiquier complexe et dangereux...

  Voilà une histoire axée sur la finance et l'univers des OPA. Les explications, à visée didactique, sont nombreuses et de multiples scènes se passent en intérieur dans des bureaux de buildings. Malgré tout, ce jargon bancaire demeure pour moi un univers hermétique.
Heureusement que cette complexité est allégée par des vues incroyables de Central Park ou des rues de New-York. Comment Philippe Francq fait-il pour détailler autant ses illustrations ? Quant à son art du découpage, des cadrages et de la mise en scène de l'action, il excelle une fois encore faisant de Largo Winch une valeur sûre pour se détendre et s'évader royalement.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   H (tome 5)   /   DUTCH CONNECTION (tome 6)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 1994 / 1995

Dupuis - 96 pages
18/20   Largo accusé de produire de l'héroïne

    Cette nouvelle aventure de Largo Winch nous entraîne dans les méandres complexes du trafic de drogue.
Le Groupe Winch est en effet soupçonné de cacher de l'héroïne à bord des avions de sa filiale aéronautique, la Winchair Airlines, faisant la liaison entre l'Europe et les États-Unis. L'enquête est menée par la DEA (Drug Enforcement Administration) ainsi que la police néerlandaise et Scotland Yard.
James Donahue, de la DEA, est intimement convaincu que Largo en personne est à la tête de cette organisation extrêmement lucrative après en avoir hérité de son père adoptif Nerio Winch.
Parallèlement, le numéro 1 du Groupe Winch tombe dans un terrible traquenard en étant accusé du meurtre de deux policiers en plein centre de Paris.
Recherché, le milliardaire réussit malgré tout à s'enfuir vers les Pays-Bas à bord d'un yacht en compagnie de la mystérieuse baronne Vandenberg. Mais la route est semée d'embûches et ses amis, sans nouvelles, commencent à s'inquiéter.
Tandis que Cochrane, administrateur et numéro 2, s'apprête à prendre la tête du groupe, Largo poursuit l'enquête qu'il a débutée bien avant celle de la police. Entravé dans sa quête, il opère depuis sa cachette dans une péniche néerlandaise. Pour identifier le véritable responsable du réseau de trafiquants, il peut heureusement compter sur l'aide du fidèle Simon Ovronnaz, nommé à dessein directeur de la Winchair Airlines.

  Entre l'enquête officielle de la police et les violentes attaques commanditées par la tête dirigeante du réseau, Largo Winch et ses fidèles amis vont devoir élaborer un plan diablement efficace pour sauver leur honneur, rétablir la vérité et démanteler l'ensemble de l'organisation.
L'action fuse et envoie le lecteur en France, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Écosse et en Asie du sud-est. Tueurs professionnels, femmes fatales, traîtres ou espions sont les ingrédients de ce diptyque faisant inévitablement penser à ceux présents dans l'univers de James Bond.

  Le récit de Jean Van Hamme est soigné et très documenté. La fabrication de l'héroïne depuis la récolte du pavot y est ainsi longuement renseignée.
Le rythme et le découpage du scénario permettent de captiver le lecteur et la construction de l'intrigue est bien pensée jusqu'aux dernières pages.
Quant au dessin de Philippe Francq, il est incroyable. Les décors, architecturaux ou naturels, sont d'un réalisme impressionnant. Les Pays-Bas sont dessinés avec rigueur, précision et le lecteur s'y croit totalement. Cette mise en immersion voulue par le dessinateur est l'un des atouts énormes de la série Largo Winch.
Francq se rend ainsi dans les pays visités par son héros pour faire ses repérages munis d'un appareil photo. Ses reconstitutions ainsi que ses angles de vue sont très réussis, sans compter les visages de ses personnages. Bravo l'artiste !

[Critique publiée le 10/05/20]

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L A R G O   W I N C H   |   LA FORTERESSE DE MAKILING (tome 7)   /   L'HEURE DU TIGRE (tome 8)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 1996 / 1997

Dupuis - 96 pages
18/20   Aventures dans la jungle birmane

    Simon Ovronnaz, le grand ami de Largo Winch, est en vacances en Union de Myanmar (ex-République de Birmanie) avec sa dernière conquête Marjan Texel.
De retour d'une visite touristique, le couple est accosté par la police politique birmane pour une simple formalité administrative. Malheureusement, Marjan est agressée par l'un des fonctionnaires de police qui tente d'abuser d'elle. Fou de rage, Simon sort les poings et frappe violemment un capitaine. Celui-ci est déclaré mort et le couple jugé par la cour birmane : Marjan est libérée tandis que Simon est accusé de meurtre et condamné à rejoindre le fort de Makiling pour y être pendu !

  Au même moment, Largo pratique assidument le ski dans de somptueux décors alpins en compagnie d'une monitrice terriblement ravissante. Le milliardaire termine paisiblement ses vacances loin de toute réunion administrative, OPA ou autre vicissitude.
L'arrivée brutale de Marjan dans son quotidien, totalement affolée, signe la fin de la routine. Elle lui annonce que Simon sera exécuté dans quelques jours.
Aussitôt, Largo réagit en tentant de faire jouer ses relations diplomatiques, sans résultat.
Surgit alors, bien vivant, le capitaine déclaré mort en Birmanie qui souhaite, contre un million de dollars, témoigner en faveur de Simon en dénonçant le coup monté par la police politique de son pays. Mais il est éliminé par cette dernière avant même d'avoir pu parler et prouver l'innocence du présumé coupable.

  Conduit par son pilote personnel, Freddy Kaplan, Largo se rend alors à bord de son avion privé en Thaïlande afin de rentrer clandestinement en Birmanie. Dès l'atterrissage, il est arrêté par les autorités thaïlandaises et remis entre les mains de l'ambassade américaine qui ne souhaite pas le voir mettre le nez dans ses affaires.
Les États-Unis soutiennent en effet le gouvernement birman contre les rebelles communistes du Triangle d'Or et veulent mater toute velléité révolutionnaire dans cette zone du sud-est asiatique. Or, Largo a beaucoup voyagé dans ces territoires avant d'hériter de la fortune de Nerio Winch et y a développé des amitiés très fortes avec les Mhongs du pays Shan.

  Comme toujours dans cette excellente série de bande dessinée, l'intrigue comporte différentes profondeurs. Ici, derrière l'ingérence américaine se cache un piège monté par le général Mah Win, patron des services de renseignement et de la police politique, et l'ambassadeur américain Ralph Anderson. Largo est au cœur d'un complot visant leur enrichissement personnel au détriment des populations paysannes de leur pays.
Tandis que les dernières heures de Simon s'égrènent, son ami monte une expédition musclée pour le sortir de la forteresse, dite imprenable, de Makiling. Il quémande pour cela l'aide des triades chinoises en utilisant le signal de détresse secret des « trois yeux des gardiens du Tao ».
Dans la prison birmane, il retrouve ses anciens amis Chans également enfermés et fait la connaissance de Malunaï, la magnifique nièce de son grand ami Paï-Tang. Cette dernière entretient la légende de son père, surnommé « le Tigre des hauts plateaux », afin d'unir les peuples Chans et Karens dans la lutte contre la dictature de leur pays.

  Ce diptyque nous emmène très loin, aux confins de l'Asie, pour vivre des aventures extraordinaires où les attaques, courses-poursuites, évasions et scènes d'amour sont au rendez-vous. Du grand Largo Winch avec toujours un contexte géopolitique solide et éducatif.
Voilà une BD populaire sachant divertir tout en ouvrant intelligemment le point de vue du lecteur sur des problématiques internationales bien lointaines de son quotidien.
Jean Van Hamme poursuit la construction d'un héros digne qui reste à l'écart des palais et des pouvoirs pour défendre les opprimés et combattre les injustices.
Quant à Philippe Francq, sa maîtrise graphique est toujours admirable. L'élève de l'Institut Saint-Luc de Bruxelles excelle dans ses dessins d'hélicoptères ou de paysages. Il a également imaginé la forteresse de Makiling posée sur un éperon rocheux dont les abords vertigineux offrent des perspectives plongeantes vraiment dignes d'intérêt.
Ouvrez un album de Largo Winch et admirez les dessins, les couleurs, les cadrages ! Très rares sont les auteurs de bande dessinée qui maîtrisent autant la technique. C'est simplement superbe.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   VOIR VENISE... (tome 9)   /   ... ET MOURIR (tome 10)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 1998 / 1999

Dupuis - 96 pages
17/20   Double conspiration vénitienne

    L'histoire s'ouvre par une course-poursuite fatale dans les ruelles sombres de Venise. Une bande de tueurs traque un homme en fuite qui, avant de se faire froidement assassiner, a le temps de briser la vitrine d'une agence de voyages pour y utiliser le fax et envoyer l'énigmatique message « Prenez garde au doge » à Largo Winch.

  Pendant ce temps, Largo fait du tourisme à Paris en compagnie de la charmante Charity Atkinson. Ils se quittent malgré l'insistance de la jeune femme pour poursuivre leur séjour à Venise chez une amie sculptrice.
Le milliardaire est attendu à New-York pour des affaires concernant la division Pétrole du groupe Winch : la Woilco doit absolument trouver une nouvelle source d'approvisionnement pour survivre sur le plan économique. Un marché avec l'Indonésie est sur le point d'être conclu mais nécessite de transgresser la règle imposée par la CASPE (Cartel Agreement Secret Protection Entity) qui verrouille de manière drastique le marché mondial du pétrole.
Mais la monotonie des réunions financières est vite troublée par l'agitation d'un employé qui n'hésite pas à tuer deux femmes pour récupérer le fax envoyé depuis Venise. Winch le poursuit dans le gratte-ciel du groupe et se risque à escalader à plusieurs centaines de mètres d'altitude la façade extérieure par une échelle de secours !

  Charity est en route pour Venise. Avant son arrivée, son amie sculptrice Domenica Leone est agressée par deux hommes armés en fuite après l'assassinat d'un banquier et se revendiquant des Cellules Combattantes Révolutionnaires.
Flairant des ennuis à venir pour Charity, Largo décide de se rendre dans la cité italienne.
À peine est-il arrivé sur la célèbre place Saint Marc qu'il apprend la disparition de la jeune femme enlevée de manière spectaculaire par hélicoptère alors qu'elle dégustait une boisson dans le mythique Café Florian avec son amie Domenica qui a reconnu ses propres agresseurs.

  Informé par le commissaire local, inquiet de toute cette agitation nuisant au tourisme, Largo Winch apprend que celui que l'on nomme le doge est le Duc Francesco II Leridan et qu'il prépare un bal masqué dans son luxueux palais afin de récolter des fonds pour subvenir aux besoins de son association Sauver Venise.
Subtilisant par un habile jeu de séduction l'invitation d'un riche baron, le milliardaire se rend à la fête costumée avec la complicité de la belle Domenica Leone. Le fax disait-il vrai ?

  Venise est restituée ici dans toute sa splendeur. Les dessins de la ville italienne sont superbes. Ces deux albums font donc aussi office de guide de voyage ! Les deux auteurs se sont d'ailleurs rendus sur place en compagnie de leur épouse respective. Philippe Francq a, comme à son habitude, mitraillé la Sérénissime sous tous les angles. Tout dessinateur sait que c'est là un vrai travail de repérage et l'auteur belge est rentré fatigué de cette escapade durant laquelle il a exploré la moindre ruelle.
Jean Van Hamme adapte pour la bande dessinée Largo Winch et le dernier des Doges, le roman qu'il avait initialement publié en 1978 au Mercure de France. Le scénario est complexe et les pièces du puzzle ne se rejoignent qu'au milieu du second tome. Il y a donc beaucoup d'éléments qui surviennent jusque-là, ce qui peut légèrement noyer le lecteur. La conspiration à l'encontre de Winch est double rendant le récit particulièrement intense et cérébral.
L'humour est aussi toujours présent permettant des respirations sur quelques pages. L'érotisme est plus osé que dans les opus précédents ; il reste toutefois habilement suggéré car la série est à destination d'un public large et populaire !
Bref, l'équilibre est parfaitement trouvé par les deux auteurs qui réussissent à doser chaque ingrédient avec justesse pour réaliser un plat dessinée délicieux.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   GOLDEN GATE (tome 11)   /   SHADOW (tome 12)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 2000 / 2002

Dupuis - 96 pages
17/20   Montage financier retors sous le soleil de Californie

    Simon Ovronnaz, le grand ami de Largo Winch, est aux anges : il a été propulsé vedette de télévision du jour au lendemain.
Engagé par la ténébreuse Flor de la Cruz, travaillant pour la société de production Candid Films, il est en plein tournage d'une série en vingt-six épisodes dans le San Francisco des années 30.
Au sein du groupe Winch, cette réalisation de piètre qualité intrigue particulièrement Dwight Cochrane qui s'inquiète d'un montage financier louche faisant transiter de l'argent sur un compte anonyme d'une banque des îles Caïmans. De plus, la contrôleuse des finances envoyée sur place pour vérifier la comptabilité a disparu depuis plusieurs jours.
Largo Winch est alerté de la situation. Il découvre que la série dans laquelle tourne son ami Simon a été montée pour redresser les finances de la chaîne de télévision W9 dont il est actionnaire majoritaire. Le reste des actions est détenu par Ned Baker, le patron de la chaîne de télévision concurrente en Californie, qui persiste à vouloir détenir entièrement W9 malgré les refus persistants de Nerio Winch dans le passé.

  Lorsque Largo arrive en Californie, il doit faire face à un Simon naïf et sous l'emprise du pouvoir et du luxe qu'offre l'argent. De plus, il apprend qu'un avenant a été signé en catimini par le nouveau patron de W9 qui stipule qu'en cas d'arrêt du tournage la chaîne devra rembourser la totalité du financement prévu à Candid Films ainsi qu'un dédit de 50 millions de dollars.
Notre héros, ayant compris le piège qui s'ouvre devant lui, se rend en compagnie de Flor de la Cruz à Reno dans le Nevada afin de se confronter au puissant directeur de Candid Films, Candido Panatella, à la tête d'un luxueux casino. Il y fait la connaissance d'une jeune fille prénommée Juliet qui lui révèle que l'établissement n'est qu'une façade cachant un réseau de prostitution et de production de films X.
Alors que Cochrane, le numéro 2 du groupe Winch, est arrêté par le fisc américain et que Largo est accusé de viol, Simon décide d'agir en compagnie de la très surprenante secrétaire Miss Pennywinkle.

  Voici à nouveau un complot bien tordu que Largo et ses amis vont devoir déjouer. Le premier épisode se termine d'ailleurs par une situation particulièrement compliquée avec l'incarcération des deux acteurs principaux du groupe Winch !
À la grande surprise du lecteur, Miss Pennywinkle sort de son rôle de secrétaire acariâtre pour entrer dans l'action et mettre son grain de sel. Même Simon tombe sous le charme !
Jean Van Hamme aborde l'univers sordide qui peut se cacher dans les milieux brassant beaucoup d'argent comme les casinos ou le cinéma. Juliet, jeune fille manipulée et abusée, est le personnage clé qui relate à Largo la face sombre de Candid Films.
Quelques scènes plus violentes que dans certains précédents épisodes sont aussi montrées : le sort réservé à Flor de la Cruz, la torture infligée à Largo dans le désert ou encore ce studio souterrain où des « snuff movies » sont tournés.

  L'action se situe sur la côte ouest américaine. Philippe Francq restitue avec son goût du cadrage la très cinématographique ville de San Francisco connue pour ses célèbres rues en pente déjà célébrées dans les films Bullitt ou Vertigo pour ne citer qu'eux.
Le désert du Nevada et ses canyons sont aussi des sources de vues époustouflantes dont le dessinateur a le secret.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   LE PRIX DE L'ARGENT (tome 13)   /   LA LOI DU DOLLAR (tome 14)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 2004 / 2005

Dupuis - 96 pages
19/20   Une histoire très bien ficelée au cœur des neiges du Montana

    Largo Winch est invité en direct sur la chaîne de télévision ABS dans l'émission Le prix de l'argent. Les questions sur sa vision de l'économie à l'époque de la mondialisation sont suivies par la présence sur le plateau d'un invité surprise. Dennis Tarrent, ancien responsable d'une manufacture de skis dans le Montana, apparaît sur le plateau et après quelques mots à l'attention du patron du groupe Winch sort un pistolet, le porte à sa tempe et se suicide devant les caméras !
Choqué, Largo se rapproche aussitôt de Nelson Bruneau qui est le directeur de la division Fenico. Ce holding détient en effet la société Speed One dont la malheureuse victime était salariée. Nelson Bruneau explique que les résultats de cette entreprise spécialisée en équipements sportifs étaient très mauvais et ont justifié le licenciement de quelques 2500 employés.
Largo, malgré les avertissements de son entourage professionnel, décide de se rendre discrètement à Deer Point, dans le Montana, pour assister aux funérailles du regretté Dennis Tarrent. La petite ville montagnarde est très affectée par le suicide du responsable local et la fermeture de son usine de fabrication de skis et snowboards. En voulant rendre visite à June, la fille unique de la victime aveugle de naissance et désormais orpheline, le héros milliardaire est pris à partie par des habitants et roué de coups.
Isolé car lâché par ses amis Simon et Freddy suite au drame télévisé, Largo Winch sombre un premier temps dans le désespoir avant de comprendre que la comptabilité du site de production de Speed One a été trafiquée par le chef comptable monté en grade depuis au sein de la maison mère. La chose se corse lorsqu'il souhaite obtenir le témoignage précieux de la secrétaire de ce chef comptable : celle-ci est en effet froidement assassinée.
Arrivé sur les lieux quelques instants après le meurtre, Largo est accusé et embarqué par la police locale...

  Ce diptyque est excellent. L'histoire, bien que complexe, est très claire et habilement construite. Jean Van Hamme est un grand raconteur et un scénariste mythique de la bande dessinée. Tout son talent est ici visible. Il parvient, dans un rythme parfait, à dénoncer la casse sociale due aux pratiques douteuses entourant les stock-options, à montrer du doigt l'avidité de certains avocats profitant de la détresse des plus faibles, à raconter l'histoire d'amour naissante entre June et Freddy, à relater le passé de ce dernier et l'origine de sa terrible cicatrice et enfin à introduire Silky Song, nouveau personnage haut en couleur qui sauve Largo d'une mort certaine dans les chutes glacées du Montana !
En outre, n'oublions pas de rappeler que chaque second tome d'une histoire de la série Largo Winch débute toujours par un résumé de l'épisode précédent. Ce soin apporté à la réalisation et au confort de lecture doit être souligné car il fait partie des raisons pour lesquelles cette œuvre plaît tant et dure autant dans le temps.

  Côté dessin, la qualité est continuellement au rendez-vous. Philippe Francq poursuit son travail minutieux et solitaire d'artisan de la bande dessinée. Il a créé une œuvre populaire mais n'a jamais cédé à la facilité. Son dessin est précis, travaillé, documenté. Rien n'est laissé au hasard ou à des approximations. Ses choix dans les angles de vue sont toujours extrêmement bien pensés. Ici, les décors de neige dans la montagne donnent du souffle à l'aventure et font rêver. Quant aux scènes cosies d'intérieur, elles sont aussi impressionnantes de détails et de réalité.

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   LES TROIS YEUX DES GARDIENS DU TAO (tome 15)   /   LA VOIE ET LA VERTU (tome 16)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 2007 / 2008

Dupuis - 100 pages
19/20   Place à l'action dans des décors urbains incroyables

    André Bellecourt, responsable de la division aéronautique du Groupe Winch, a négocié un intéressant contrat avec la Tsai Industries Corporation. Afin d'apposer sa signature, Largo Winch est attendu à Hong Kong. La proposition de ce puissant groupe chinois tombe à pic dans un contexte économique difficile pour la filière aéronautique du groupe américain.

  Réfugié sur son île secrète de Sarjevane, Largo reçoit au même moment par pigeon voyageur un message lui rappelant la dette qu'il avait contractée en Birmanie lorsqu'il avait sollicité l'aide de chinois pour faire évader son ami Simon de la forteresse de Makiling : « Je cherche à Hong Kong ce que voient les trois yeux des gardiens du Tao. ».
Alerté par cette phrase secrète émanant d'une triade chinoise, la Société des Trois Harmonies, il rejoint immédiatement Simon qui profite du soleil de Saint-Tropez sur la côte méditerranéenne. Les deux hommes partent alors pour Hong Kong à bord de leur jet privé piloté par la ténébreuse Silky Song.
Là-bas, le milliardaire découvre la mission qu'il devra accomplir : voler le précieux manuscrit original du « Dao de Jing », le livre de la voie et de la vertu, qui aurait été écrit par Lao Tseu il y a vingt-six siècles. S'il n'y parvient pas sous deux jours, son ami chinois Tan Ming T'sien qu'il avait aidé à franchir l'Himalaya après leur fuite d'une geôle tibétaine sera exécuté.
Il s'avère que ce trésor appartient justement au président de la Tsai Industries Corporation qui le garde précieusement à l'intérieur de sa magnifique résidence d'été sise sur une île privée au large de la péninsule de Sai Kung.
Largo, invité dans la villa en question, pourra donc honorer la promesse faite à la triade chinoise en s'emparant de la relique. Malheureusement, ce qui s'avère être un piège se retourne violemment contre lui tandis que ses amis et collègues, dont Cochrane et Sullivan, deviennent de plus en plus inquiets.

  Cette histoire baignée de taoïsme fait référence au quatrième diptyque de la série qui se déroulait en Birmanie. La dette à payer, comme cela devait se produire tôt ou tard, est maintenant à honorer. Et comme le savait Largo Winch depuis le début, il est hors de question de fuir une triade chinoise capable de retrouver n'importe qui n'importe où dans le monde...
Le scénario ne se focalise cette fois-ci pas sur l'aspect financier du piège fomenté par les chinois mais laisse la place belle à l'aventure et à l'action.

  Philippe Francq a dû certainement transpirer pour représenter certaines scènes incroyables. Il excelle autant dans les décors urbains où des gratte-ciels s'étendent par dizaines que dans les vues paradisiaques de mers turquoises bordées de montagnes à la végétation luxuriante.
La valeur ajoutée de ce dessinateur est sa capacité à exploiter l'espace dans une case. Il est capable d'y apporter de la profondeur, de la perspective et même de carrément donner le vertige à son lecteur. Je pense en particulier au saut dans le vide de Largo depuis le sommet d'un immeuble de Hong Kong. Renversant ! Hergé, que Francq admire, avait en son temps défriché les codes graphiques de la perspective en bande dessinée lorsque Tintin escalade aussi un immeuble dans Tintin en Amérique.
Parapente, ULM, hydravion, hélicoptère, l'illustrateur belge, lui-même pilote, sort le grand jeu pour mettre en scène les aventures de son héros. Sans compter ces cases de course-poursuite au cœur de Saint-Tropez où le dessin, magnifiquement cadré et mis en couleur, se suffit à lui seul.
Du grand art, plus que jamais, élevé par cette exigence du détail et de la précision permanente !

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   MER NOIRE (tome 17)   /   COLÈRE ROUGE (tome 18)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 2010 / 2012

Dupuis - 96 pages
19/20   Trafic maritime entre la Géorgie et la Méditerranée

    En Suisse, à Lucerne, une mystérieuse inconnue oblige le directeur de la banque qui gère la fortune de Largo Winch à détourner une importante somme d'argent. L'homme s'exécute lorsqu'il apprend que sa fille a été kidnappée.
Pendant ce temps-là, Largo est à Deer Point dans le Montana où il célèbre, en compagnie de ses amis, le mariage de son ancien pilote Freddy Kaplan et de June Tarrant dont il a sauvé l'usine familiale de fabrication de skis dans le diptyque Le prix de l'argent / La loi du dollar. Mais il profite à peine de la réception pour rejoindre New-York à bord de son jet piloté par Silky Song et assister au pot d'adieu de Sir Basil Williams. L'homme, qui a mené une longue carrière à la tête de la flotte marchande du groupe Winch, prend sa retraite.

  Alors qu'il vient de présenter à Largo Winch son élégante assistante, Sybil Lockwood, Sir Basil Williams est froidement assassiné par l'un des serveurs de la cérémonie. Par chance, Gus Fenimore parvient à immobiliser le tueur et éviter un autre coup de feu.
La police découvre rapidement que le coupable est un modeste pêcheur turc originaire de Trabzon au bord de la mer Noire.
La situation prend une tournure délicate pour Largo lorsque deux agents du FBI viennent l'accuser d'avoir commandité le meurtre de Williams ; d'après eux, ce dernier avait découvert le lien entre son patron et un trafiquant d'armes géorgien du nom de Iorg Yvatchvili suite à l'important transfert d'argent réalisé sur le compte de ce dernier.

  Largo Winch et Silky Song filent en Turquie à Trabzon afin de démêler les fils de ce nouveau piège. Ils découvrent que le fils du pêcheur meurtrier était inspecteur des douanes et avait rédigé un rapport sur le transport illicite d'armes entre la mer Noire, la Méditerranée et l'Afrique avant de mourir dans un prétendu tragique accident. Largo monte clandestinement à bord du cargo Mataya afin de récupérer le fameux document qui permettra peut-être d'élucider toute l'affaire et prouver son innocence...

  Voilà encore une histoire menée de main de maître par Jean Van Hamme qui apparaît d'ailleurs dans quelques cases en tant qu'avocat du héros qu'il a créé. Le scénario est limpide, très bien construit et riche en rebondissements et en révélations.
Le passé de Nerio est abordé à travers une relation troublante qui interroge sur sa filiation...
Des personnages vus dans les épisodes précédents sont de retour comme le docteur Strœgl ou la ravissante Christel qui fait oublier à son amour de jeunesse, le temps d'une nuit, ses nouvelles vicissitudes.
Tout cela est parfaitement orchestré dans un rythme général qui ne laisse aucune place à l'ennui ou au remplissage.
Des méchants plus vrais que nature, de l'action dosée avec justesse, un peu de piment apporté par quelques notes d'érotisme et de l'humour grâce aux galères amoureuses de Simon : les « codes » de la série, comme dans James Bond, sont bien présents et garants de cette qualité restée infaillible depuis le premier tome sorti en 1990.
La documentation est également soignée à travers cette lettre d'introduction de Largo Winch expliquant à ses cinq cent mille employés les mécanismes de la crise de 2008 liée aux subprimes et les moyens mis en œuvre axés sur la solidarité pour y faire face ou cette interview très réaliste dans le magazine Newsweek. On s'y croit vraiment !

  De son côté, Philippe Francq nous régale de ses dessins parfaits, de ses angles de vue incroyables, de ses décors grandioses urbains ou montagnards. Il n'y a rien à ajouter.
Son héros s'enfuit à moto, prend les commandes d'un hélicoptère, plonge dans l'océan depuis le pont d'un cargo, visite une base sous-marine secrète et finit par inaugurer un nouveau gratte-ciel, la Winch Tower Mansion, pour abriter son siège désormais à Chicago.
Un superbe diptyque qui, en abordant l'univers de la marine marchande, n'est pas sans rappeler une autre sympathique série de bande dessinée, Tramp bien sûr !

[Critique publiée le 20/06/21]

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L A R G O   W I N C H   |   CHASSÉ-CROISÉ (tome 19)   /   20 SECONDES (tome 20)   Philippe Francq / Jean Van Hamme - 2014 / 2015

Dupuis - 96 pages
18/20   Largo raide dingue d'une terroriste !

    Une réunion réunissant Largo Winch et l'ensemble des présidents des filiales de son groupe est prévue à Londres.
Au même moment, une jeune et magnifique femme originaire du Liban fait la connaissance de la sculptrice italienne Domenica Leone. Toutes les deux prennent place à bord du même avion pour Londres.
Domenica Leone, amie intime du milliardaire Largo Winch dont elle avait fait la connaissance par l'intermédiaire de Charity dans le diptyque Voir Venise... / ... Et mourir, se rend dans la capitale britannique afin d'exposer ses nouvelles créations artistiques. Saïdée, la jolie libanaise, raconte quant à elle venir en Angleterre pour se perfectionner après ses études.
Logée chez un couple de retraités, elle découvre à son arrivée que ceux-ci ont péri dans l'explosion de leur demeure. Domenica Leone l'invite alors à partager sa suite à l'hôtel Royal Sword. Le hasard faisant bien les choses, c'est dans ce même palace que seront logés les grands pontes du Groupe Winch durant leur importante réunion.

  Le vernissage de l'italienne est l'endroit parfait pour rassembler Largo et Saïdée ainsi qu'allumer une étincelle amoureuse entre les deux tourtereaux. Malheureusement, tout n'est pas aussi simple dans ce cadre idyllique... Car Saïdée n'est pas la jeune innocente amoureuse que tout le monde imagine ; elle est à la solde de l'imam salafiste Abdul Ahmad dont l'objectif est de commettre un attentat contre Largo Winch et son conseil d'administration. Et quand bien même je semblerais avoir dévoilé le cœur de l'intrigue, la situation est en réalité encore bien plus complexe que cela ! D'autres personnages, d'autres passions, d'autres trahisons tirent les ficelles de cette intrigue.

  Dans ces deux albums, le lecteur est face à un festival de relations amoureuses : la très stricte Miss Pennywinkle y apparaît survoltée par un amour de jeunesse, l'impassible Dwight Cochrane baisse la garde et finit par coucher avec une superbe soi-disant stagiaire de l'entreprise tandis que Largo se fait mener par le bout du nez tant il tombe raide dingue de Saïdée.
Tandis que chacun vaque à remplir sa vie sentimentale, des forces de l'ombre autant chinoises que russes espèrent bien réussir leur coup...

  Pour sa dernière histoire, le scénariste ayant décidé d'arrêter après vingt-cinq années de bons et loyaux services, Jean Van Hamme a réussi une fois de plus un coup de maître. Chapeau l'artiste ! Quelle fluidité, quelle lisibilité, quelle clarté ! Les différentes pièces du puzzle s'imbriquent avec maestria et font une fois de plus rimer popularité et qualité.
Philippe Francq poursuit quant à lui son œuvre avec le même brio. Les dessins, les cadrages, le découpage, le mouvement n'ont rien à envier à un film de cinéma. On s'y croit totalement.
Je le dis et redis à chaque fois : Largo Winch ne révolutionne sans doute pas l'art de la bande dessinée mais cette série fait pourtant partie des meilleures créations du 9ème art.
Bravo et merci messieurs Francq et Van Hamme.

[Critique publiée le 10/03/23]

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D A N S   L A   C O M B I   D E   T H O M A S   P E S Q U E T   Marion Montaigne - 2017

Dargaud - 205 pages
18/20   Un ouvrage didactique, précis et plein d'humour

    Thomas Pesquet, né en 1978, est un spationaute français de l'Agence Spatiale Européenne (ESA). À la suite d'une formation en aéronautique, il est devenu pilote de ligne chez Air France.
En 2009, il est sélectionné par l'ESA. Après sept années d'entraînement intensif dans le monde entier, il décolle de Baïkonour le 17 novembre 2016 à bord de la fusée Soyouz pour rejoindre la Station spatiale internationale (ISS) où il séjournera plus de six mois.

  Marion Montaigne a conçu l'histoire et réalisé les dessins de cet album qui constitue un reportage passionnant et extrêmement dense sur cette formidable aventure. Chaque page est constituée de petits dessins en couleur, au ton bien souvent humoristique, et de dialogues et commentaires toujours pertinents. Dans la combi de Thomas Pesquet ressemble ainsi à une petite encyclopédie ludique sur la vie avant et dans l'ISS.

  Dès les premières pages, le lecteur fait la connaissance de Thomas Pesquet qui nous raconte son long parcours pour obtenir le graal : un ticket pour s'envoler en orbite autour de la Terre.
La sélection est extrêmement difficile. Physiquement et mentalement il faut être le meilleur et seuls ceux qui adorent l'esprit de compétition peuvent s'épanouir dans un tel milieu. Marion Montaigne donne d'ailleurs plusieurs exemples de tests à résoudre. Et c'est le cas tout au long du récit : en représentant concrètement des concepts complexes, en faisant des analogies parlantes, l'auteur nous fait mieux palper la réalité de l'homme dans l'espace.

  Une fois la première étape validée, un long entraînement débute à partir de 2009 pour Pesquet. Son temps se partage alors entre le Centre européen des astronautes de Cologne en Allemagne, la Cité des étoiles près de Moscou et le Centre spatial de Houston au Texas. Des doubles-pages nous montrent avec humour l'organisation et l'architecture de ces lieux mystérieux pour le commun des mortels.
La caricature est utilisée à bon escient et permet de marquer les différences de culture entre spationautes, astronautes et cosmonautes.
Bref, le futur navigant de l'espace doit apprendre les techniques de survie en cas d'atterrissage hors du périmètre prévu lors du retour sur Terre, connaître le pilotage du module Soyouz, supporter des accélérations de 9g, réparer les éventuelles avaries à bord de la Station spatiale internationale, maîtriser toutes les étapes d'une EVA (« Extra-Vehicular Activity »), ... Il doit en outre apprendre le russe, savoir comment se mouvoir en impesanteur, manger, dormir, faire du sport, aller aux toilettes. Cette dernière activité est expliquée avec tous les détails nécessaires.
Avec humour et en traitant de tous les sujets théoriques et pratiques, Marion Montaigne contribue ainsi à désacraliser le métier de spationaute tout en conservant l'aura dont il est porteur et le rêve qu'il offre aux terriens. Gentiment, elle humanise aussi Thomas Pesquet qui, par son physique et sa maîtrise d'une communication bien calibrée, a parfois été taxé d'individu trop parfait.

  J'ai également aimé la place faite à la coéquipière du dixième français dans l'espace. Peggy Whitson est une légende de la NASA avec de nombreuses sorties extravéhiculaires, un record du nombre de jours cumulés dans l'espace et le privilège d'avoir été la première femme à commander un équipage spatial.
Le légendaire Buzz Aldrin, qui a posé le pied sur la Lune aux côtés de Neil Armstrong lors du vol Apollo 11, est aussi un personnage récurrent. Son caractère fort et extraverti permet d'intercaler de nombreux commentaires et de rappeler qu'il y a aussi eu une conquête spatiale humaine hors de l'orbite terrestre !

  Cette bande dessinée est à la portée de tous et explique avec légèreté mais précision un environnement pointu et complexe. Inutile d'être féru de l'espace pour se laisser entraîner dans le voyage.
Pour ma part, ce livre m'a ramené à mon intérêt pour ce sujet et m'a rappelé certains souvenirs anciens mais inoubliables : ma visite de la Cité des étoiles en Russie en 1992 et la chance de manger régulièrement dans la même cantine (sur la table voisine) que Jean-Loup Chrétien au début des années 2000... Jean-Loup Chrétien est une légende car il fût le premier français à voler dans l'espace en 1982 !

[Critique publiée le 19/04/19]

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B O R G I A   |   DU SANG POUR LE PAPE (tome 1)   Milo Manara / Alejandro Jodorowsky - 2004

Glénat - 54 pages
20/20   L'ascension du cardinal Rodrigo Borgia

    L'intrigue se déroule à Rome à la fin du XVe siècle. La cité est ravagée par la luxure, les pillages et la peste.
Le cardinal Rodrigo Borgia est au chevet du pape Innocent VIII dont les jours sont comptés. Il espère profondément devenir le prochain pape et n'hésite point, pour cela, à fomenter des complots et même éliminer sans pitié ses adversaires.
Devant les dangers d'empoisonnement et autres pièges qui menacent aussi sa famille, il envoie ses quatre enfants loin de Rome afin de les protéger : Joffre est ainsi confié à une cousine, Lucrèce est menée au couvent de Saint-Sixte pour étudier, Giovanni est voué à une éducation militaire tandis que César part pour l'université de Pise faire de la théologie.
Rodrigo Borgia va alors manœuvrer sans foi ni loi pour obtenir le titre de chef de l'église catholique.

  Ce premier tome se lit rapidement, l'intrigue est facile à comprendre car le scénario de Jodorowsky est concis et limpide. Cela permet une bonne initiation à l'histoire des Borgia pour ceux qui, comme moi, en ont seulement entendu parler. Je ne ferai donc aucun commentaire sur la véracité des faits car je n'ai pas les connaissances requises.
Quoi qu'il en soit, l'histoire contée constitue un excellent canevas pour poser les somptueux dessins du maître italien Milo Manara. C'est tout simplement éblouissant. Les aquarelles sont colorées, lumineuses, restituées dans de grandes cases propices à la rêverie. Et le dessin est du même acabit : brillant.
Manara, en véritable descendant des grands peintres italiens de la Renaissance, dessine ses personnages comme peu d'auteurs savent le faire. Les visages, pourtant faits de quelques traits, sont terriblement réalistes et l'art de la composition est parfaitement maîtrisé.
Le lecteur averti retrouvera bien évidemment dans ce volume, contexte historique oblige, de magnifiques femmes aux corps dénudés sujets aux vices les plus inavouables. Manara a donné ses lettres de noblesse à l'érotisme au sein du 9ème art et il le prouve ici une fois de plus.

[Critique publiée le 10/03/23]

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L E   C A R A V A G E   |   LA PALETTE ET L'ÉPÉE (tome 1)   Milo Manara - 2015

Glénat - 60 pages
17/20   Deux maîtres pour le prix d'un !

    Milo Manara raconte dans sa nouvelle œuvre la vie sulfureuse du talentueux Caravage.
Michelangelo da Caravaggio est né à Milan en 1571. En 1592, il s'installe à Rome afin de lancer sa carrière de peintre.
Les débuts sont assez chaotiques. Le Caravage côtoie des cardinaux et aristocrates mais aussi des bandits et prostituées. Rome est une ville où tout peut arriver et l'homme en fait l'expérience à travers les relations qu'il entame.
Ce premier tome décrit son ascension dans l'univers des ateliers de peinture où élèves et maîtres travaillent durement sur la représentation de scènes vivantes et réalistes. Le Caravage est vite remarqué pour son talent et son aisance picturale. Mais son caractère ténébreux et bagarreur lui fait parfois délaisser les pinceaux pour manier l'épée et mener des combats dans les quartiers sordides de la ville pontificale.

  La vie de l'italien, à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles, contient évidemment de nombreuses zones d'ombre. Manara rapporte ici certains faits historiques véridiques mais se glisse également dans les interstices de la biographie officielle pour romancer les aventures du célèbre peintre.
Les modèles artistiques et les prostituées sont bien sûr l'occasion pour l'auteur italien de dessiner des femmes plus ou moins dénudées. Honorablement, cela reste au service de l'histoire et ne fait pas office d'alibi pour sombrer dans un érotisme vulgaire. Par ailleurs, le nu est revenu en force à la Renaissance. L'attrait pour la culture antique et la beauté des corps ainsi que le désir d'exercer ses talents en représentant la morphologie humaine, sujet sans doute le plus difficile, sont les principales raisons qui expliquent la profusion de personnages dévêtus.
De ce point de vue, Manara ne pouvait manquer de rendre hommage à cet univers ! Le maître italien de l'érotisme dessine à merveille ses personnages. Son aisance au crayon n'est plus à démontrer depuis bien longtemps. Néanmoins, chacune de ses créations continue de fasciner le lecteur.
Osons le dire : Manara, à travers le 9ème art, poursuit le travail des grands peintres italiens. Et Dieu sait si l'Italie en était pourvue...

  Le seul gros bémol concerne la mise en couleur.
L'auteur de bande dessinée a délaissé l'aquarelle pour composer avec des teintes numériques. Cela se ressent fortement dans les premières pages où les ciels renvoient une froideur métallique. Les visages manquent aussi de profondeur. Les ambiances plus sombres dans la suite de l'album permettent d'atténuer ce désagrément.
Mais je ne comprends pas qu'une souris informatique puisse remplacer la douceur d'un poil de martre équipant un pinceau pour lavis. Surtout lorsque l'on se réfère à l'art du Caravage !

[Critique publiée le 03/09/17]

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L A   L I G N E   D E   F U I T E   Benjamin Flao / Christophe Dabitch - 2007

Futuropolis - 115 pages
17/20   Voyage en Afrique sur les traces de Rimbaud

    En 1888, la revue littéraire Le Décadent publie cinq faux poèmes de Rimbaud. L'homme a disparu depuis plusieurs années et le journal parisien souhaite faire un coup d'éclat en laissant croire qu'il possède des textes inédits de l'auteur du Bateau ivre.
En réalité, ces textes ont été écrits par un jeune admirateur de Rimbaud nommé Adrien. Verlaine, l'amant de Rimbaud, est furieux de cette tromperie et la dénonce avec véhémence.
Adrien, vu comme un usurpateur, devient la risée du milieu intellectuel parisien. Il décide alors de fuir en partant sur les traces de Rimbaud qu'il admire par-dessus tout. Grâce à Anatole Baju, rédacteur en chef de la revue Le Décadent, il apprend que le poète maudit est parti à Aden au Yémen.
Après être passé par Charleville pour y rencontrer la famille du poète, Adrien prend la direction de Marseille afin d'embarquer vers la péninsule arabique.

  Sur l'ensemble de l'album, le dessin de Benjamin Flao se partage donc entre la grisaille, associée aux désillusions rencontrées dans les villes de Paris ou Charleville, et l'intense lumière, symbolisant l'espoir et la quête, de l'Afrique.
Ce dessinateur, rompu aux techniques du carnet de voyage, montre un talent considérable à travers ses dessins mêlant graphite, encre et aquarelle. La couverture à elle seule attire l'œil par sa puissance créatrice et montre déjà la maîtrise de Flao.
En s'arrêtant sur certaines cases, on constate souvent des sortes de gribouillis à la mine graphite. Ces traits, effacés ensuite par beaucoup de dessinateurs, sont volontairement conservés ici. Ils rajoutent du caractère à la composition et font partie intégrante du style vif et acéré de l'auteur.
Lorsque le voyage d'Adrien débute en Afrique, la palette des couleurs explose. Benjamin Flao maîtrise superbement la technique de l'aquarelle et ses quelques cases représentant la mer, sujet ô combien difficile, sont renversantes dans le rendu !

  Le scénario, quant à lui, traite, à travers quelques digressions oniriques, la quête personnelle d'Adrien. Il fait appel à l'imagination du lecteur par le biais des différentes interprétations qu'il peut offrir.

[Critique publiée le 03/09/17]

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L E   L O U P   D E S   M E R S   Riff Reb's - 2012

Soleil Productions - 119 pages
13/20   Joutes physiques et oratoires en pleine mer

    Cette histoire débute par une traversée maritime dans la baie de San Francisco par un dandy, critique littéraire, prénommé Humphrey Van Weyden. Ce dernier prend le ferry pour rejoindre un ami afin de tenir quelques discussions intellectuelles entre philosophie et littérature.
Malheureusement, cette navigation qui aurait dû se révéler tranquille et routinière va prendre une tournure dramatique à cause d'un brouillard à couper au couteau. Suite à une collision avec un second navire, le ferry sombre en laissant ses passagers confrontés à leur propre sort.
Humphrey est projeté dans l'eau froide et retrouve ses esprits alors qu'il est à bord du Fantôme, une goélette pratiquant la pêche au phoque. À peine remis de ses émotions, l'homme de lettres apprend avec horreur qu'il est hors de question de faire demi-tour pour le débarquer. Il fait désormais partie de l'équipage en route pour les riches eaux du Japon !

  À mille lieues des échanges intellectuels dans les salons feutrés de la bonne société, Humphrey est brutalement projeté dans un monde totalement nouveau ; un univers âpre et rude où la survie est le seul objectif à court terme.
Il fait connaissance avec chaque personnalité de l'équipage, découvre les tensions entre les marins, devine qui sont les faibles et les forts, lesquels mentent pour amadouer l'ennemi et surtout se retrouve confronté au capitaine Loup Larsen. Ce dernier possède un physique hors norme : « La tête d'un roi babylonien sur un corps de titan. »
En outre, il est extrêmement cultivé mais possède une morale détestable.

  Humphrey prend ses marques dans ce microcosme très rude et devient second sur le navire. Sa relation houleuse avec Loup Larsen constitue l'essence même du récit. Leurs joutes sont partagées entre des échanges intellectuels sur les traités qu'ils ont tous les deux lus et les accès de violence physique, exacerbés par de terribles migraines, du capitaine.

  Cette bande dessinée est adaptée du roman éponyme de Jack London publié aux États-Unis en 1904.
Riff Reb's a très bien apprivoisé l'univers de London en dessinant de vraies gueules de marins et en retranscrivant fidèlement la dureté de l'univers maritime. L'atmosphère est continuellement tendue ; la violence est tapie dans chaque page, prête à bondir.
Ma réticence concerne la mise en couleur de l'album. Le dessin aurait gagné à être accompagné d'une mise en couleur directe (aquarelle, gouache, ...) ou à carrément rester en noir et blanc avec un travail au fusain sur les ombres et les lumières.
Au lieu de cela, le lecteur se retrouve face à une couleur « froide » car numérique. Dommage car cela retentit fortement sur la qualité finale de l'œuvre !

[Critique publiée le 19/11/16]

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L E S   C I T É S   O B S C U R E S   |   SOUVENIRS DE L'ÉTERNEL PRÉSENT (tome 12)   François Schuiten / Benoît Peeters - 2009

Casterman - 77 pages
14/20   Le monde onirique de Taxandria

    Un jeune garçon, entièrement chauve, quitte sa maison pour se rendre à son école. Durant sa marche, il traverse les étranges rues de la ville où il réside : Taxandria. Il ne rencontre que des hommes qui semblent pressés tandis que les femmes demeurent toutes dans un étrange lieu nommé le « Jardin des Délices ».
Dans les décombres omniprésents à Taxandria, l'enfant tombe sur un livre relatant l'apocalypse qui a frappé la cité. Il lit l'ouvrage et découvre, dans ce monde où toute référence au passé est bannie, les raisons du désastre.
Poussé par la curiosité, et défiant son instituteur, notre personnage se rend au palais des princes pour poser les nombreuses questions qui le taraudent. Bouleversé par ce qu'il découvre, il décide finalement de se rendre aux confins du monde qu'il connaît : Marinum.

  Initialement, cette histoire est née de l'imagination du réalisateur belge Raoul Servais au début des années 80.
Aidé par François Schuiten au dessin, Servais souhaitait créer une œuvre surréaliste utilisant une méthode artisanale d'incrustation de personnages filmés en images réelles dans des décors dessinés. Malheureusement, ce projet très ambitieux et dépassé lors de l'explosion du numérique s'éternisa jusqu'en 1994, année de sortie d'une version inachevée.
Désirant exploiter le travail de conception graphique engagé dans ce projet, François Schuiten a souhaité avec son compère Benoît Peeters créer une bande dessinée s'intégrant dans le célèbre univers des Cités obscures.

  Rebaptisé et construit sur une histoire un peu différente de celle du projet cinématographique, Souvenirs de l'Éternel Présent plonge le lecteur dans un monde onirique, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Le dessinateur belge excelle, comme toujours, dans les perspectives, lignes de fuite et autre architectures baroques. L'intérêt majeur de cette bande dessinée réside donc dans son graphisme car du côté du scénario beaucoup de questions restent en suspens à l'issue de la lecture...
Le message principal est cependant clair : une dictature, celle vouant un culte au présent et bannissant toute trace du passé ici, est reconnaissable par l'éradication qu'elle mène à l'encontre de la culture. Le livre, objet ô combien subversif pour les despotes, amène la réflexion, interroge, interpelle, développe l'esprit critique de son lecteur. Notre héros dépasse les limites du monde préconçu dans lequel il vit grâce au livre qu'il découvre.
Souvenirs de l'Éternel Présent est donc une ode à la culture et une critique acerbe de tout gouvernement qui cherche à en museler les formes d'expression.

  Enfin, n'oublions pas de signaler que l'autre grand thème évoqué est celui des savants fous. Le cataclysme décrit dans ce récit est la conséquence de la confiance aveugle de quelques scientifiques dans leurs théories et expériences.
Obnubilés par leurs découvertes, ils ne mettent aucun garde-fou dans leur course folle vers le nouveau monde qu'ils veulent créer. Le résultat est sans appel et irréversible.
Toute science doit être accompagnée de questions éthiques et cadrée afin d'éviter de telles dérives...

[Critique publiée le 19/11/16]

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A I R B O R N E   4 4   |   LÀ OÙ TOMBENT LES HOMMES (tome 1)   /   DEMAIN SERA SANS NOUS (tome 2)   Philippe Jarbinet - 2009

Casterman - 96 pages
18/20   Des aquarelles à couper le souffle

    Nous sommes en décembre 1944. La seconde guerre mondiale touche à sa fin mais fait encore rage. Preuve en est avec la terrible bataille des Ardennes qui vient de débuter : Hitler lance une offensive gigantesque pour percer le front occidental des alliés et reconquérir le port stratégique d'Anvers.
Les combats se déroulent dans des conditions exécrables. Le relief des montagnes, le froid, la boue et la neige constituent un véritable cauchemar pour les allemands et leurs ennemis.

  Le personnage principal de ce diptyque, Luther Yepsen, est un GI d'origine allemande. Lui et ses compagnons recueillent deux enfants juifs partis à la recherche de leurs parents qu'ils croient encore vivants...
Parallèlement, à quelques encablures de là, des SS sont chargés d'une mission par Himmler en personne. Ils doivent capturer Egon Kellerman, un déserteur qui détient de précieuses informations pour les alliés quant à la tragédie qui se joue pour les juifs.
Le destin va se faire croiser l'allemand Kellerman et l'américain Yepsen dans la ferme réconfortante de Gabrielle qui vit seule avec ses chevaux après avoir tout perdu durant de longues années de guerre.

  La découverte de l'extermination des juifs, le retour d'un mari considéré comme mort, la détresse de deux jeunes enfants innocents, la naissance d'une histoire d'amour impossible entre Luther et Gabrielle, l'âpreté des combats dans la neige, l'absurdité de la guerre et la folie destructrice des SS sont quelques-uns des thèmes déroulés avec brio dans ces quatre-vingt-seize pages de récit.

  Philippe Jarbinet a construit un scénario très solide et parfaitement documenté. Soucieux de coller au plus près la réalité historique, ce professeur de dessin en Belgique a mené de nombreuses recherches afin d'approfondir ses connaissances et ne pas trahir la grande Histoire.
Seul aux manettes, il est aussi le dessinateur et le peintre de cette bande dessinée. J'utilise volontairement le mot « peintre » car la mise en couleur est faite intégralement à l'aquarelle et le travail est considérable. On pense volontiers à l'univers de Gibrat...
Jarbinet utilise les deux techniques en aquarelle : le sec et le mouillé. Ainsi, quasiment tous les ciels sont représentés dans le mouillé. Cela signifie que l'auteur laisse l'eau diffuser les pigments des gris de Payne et autres teintes habituellement utilisées pour les ciels gris et bas d'hiver. Pour le reste (personnages, véhicules, bâtiments, ...), le sec est privilégié.
Quelle gageure de s'être lancé dans la représentation de cette période qui se déroule en hiver et donc dans la neige !
Le blanc en aquarelle est particulier à saisir car c'est celui du papier qui doit être conservé dès le début de la mise en couleur (même si une gomme de masquage peut être utilisée). Seuls quelques rehauts à la gouache blanche sont encore possibles pour des finitions sur de toutes petites surfaces (l'écume de la mer par exemple).
Pour les Ardennes, l'auteur a donc réalisé un travail magnifique, un labeur minutieux d'authentique artisan de la bande dessinée. Le 9ème art prend ici tout son sens et ce genre d'œuvre sort nettement du lot des titres de piètre qualité qui envahissent la production éditoriale dans l'univers de la bande dessinée.
Enfin, il est intéressant de suivre l'évolution de la mise en couleur entre le début et la fin de l'album. La même scène y est représentée et le traitement de la neige a changé. Dans la première, l'épaisseur de la neige est alourdie par le trait noir de l'encre ; dans la seconde, le trait n'y figure plus, allégeant et aérant ainsi considérablement la représentation de la neige.

[Critique publiée le 27/10/15]

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A I R B O R N E   4 4   |   OMAHA BEACH (tome 3)   /   DESTINS CROISÉS (tome 4)   Philippe Jarbinet - 2011 / 2012

Casterman - 96 pages
17/20   Magnifique diptyque centré sur le 6 juin 1944

    Gavin, dix-sept ans, est en vacances avec ses parents sur les plages de Normandie. Nous sommes en 1938 et cette famille américaine est venue dans ce lieu précis car la maman en est originaire.
Le jeune homme en profite pour découvrir la superbe région normande et faire quelques balades bucoliques au bord de la mer. Il y rencontre une jeune fille, de quelques années son aînée, avec qui il noue une forte relation amoureuse.
Joanne, qui vit dans le coin, fait découvrir à son américain sa Normandie faite de petits chemins creux, de virées à bicyclette, de beaux manoirs et de bocages ensoleillés...

  Après cet été inoubliable, Gavin continue de correspondre avec son amie depuis l'Amérique. La seconde guerre mondiale a éclaté et conduit les américains à entrer dans le conflit ; Gavin est contraint de participer au débarquement du 6 juin 1944.
C'est au cœur même de cette Normandie si apaisante autrefois qu'il va devoir combattre et faire face à la folie d'Hitler. Affrontant le tir nourri des batteries allemandes, Gavin se lance sur Omaha Beach, avec l'espoir fugace de revoir Joanne et la crainte permanente de prendre une balle ennemie en plein crâne...

  À nouveau, Philippe Jarbinet tisse un récit sensible et haletant mêlant habilement la grande Histoire aux récits de vie intimes de quelques personnages ordinaires.
Le dessinateur ne s'est pas facilité la tâche en prenant pour cadre le débarquement de Normandie. Il s'en sort bien et a su représenter avec précision et efficacité cet épisode tragique et salvateur de la seconde guerre mondiale.
Mais à travers la bande dessinée, le cinéma ou la littérature, peut-on faire véritablement revivre cette journée cataclysmique avec vérité et authenticité ? L'art peut-il représenter un événement qui n'aura trouvé sa seule intensité que dans l'instant présent ?
Comme tous les artistes qui ont voulu, par devoir de mémoire avant tout, raconter cette journée depuis plus de soixante-dix ans, Jarbinet tente de restituer « au mieux » l'horreur, la peur, le bruit, le froid, la mort omniprésente.
Il dénonce également à travers son travail l'absurdité de la guerre : américains, anglais ou allemands, beaucoup étaient des gamins avec les mêmes rêves éloignés de toute velléité. Sans la folie de quelques leaders et autres généraux, ils n'auraient jamais osé porter une arme et la pointer sur un type de leur âge.

  Ce second diptyque est relié de façon intelligente et habile au premier via les personnages de Joanne et Luther...
Même si les similitudes avec l'univers de l'auteur de bande dessinée Jean-Pierre Gibrat sont assez évidentes, les récits de Jarbinet se terminent eux toujours par des images heureuses ; rappelons-nous la fin dramatique dans Le sursis par exemple. À titre personnel, je pense qu'une conclusion tragique donne plus de relief à l'histoire.
Sur le plan pictural, le blanc est beaucoup moins présent que dans les deux premiers tomes. Cela induit un traitement de mise en couleur à l'aquarelle moins aéré et, à mes yeux, moins intéressant techniquement. Malgré cela, la qualité reste la même que précédemment en terme de dessin et de couleur.

  Bref, parmi la production phénoménale dans le monde de la bande dessinée aujourd'hui, la série Airborne 44 est une valeur sûre qu'il ne faudrait en aucun cas louper !

[Critique publiée le 27/10/15]

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A I R B O R N E   4 4   |   S'IL FAUT SURVIVRE (tome 5)   /   L'HIVER AUX ARMES (tome 6)   Philippe Jarbinet - 2014 / 2015

Casterman - 112 pages
19/20   Un auteur de BD complet

    Le récit se déroule durant l'hiver 1944. Dans l'est de la France, les combats font rage entre les alliés et les allemands.
Tessa, pilote pour le compte d'une organisation civile anglaise de convoyage aérien, s'écrase avec son P-51 Mustang lors d'une course-poursuite avec un avion allemand. Miraculée, elle parvient à s'enfuir et à se réfugier dans une ferme située derrière les lignes allemandes près de Bastogne en Belgique.
Tom et Sebastian, deux soldats de l'armée américaine, s'inquiètent du sort réservé à leur amie Tessa. En mission dans le secteur où son appareil a disparu, les deux hommes se mettent à sa recherche.
Du coté allemand, l'histoire suit le destin de Stefan qui est le frère de Sebastian. Stefan a tout misé sur Hitler et son désir d'étendre le IIIe Reich à toute l'Europe. Il est aussi en mission en Belgique et est prêt à tuer son frère si cela est justifié dans le cadre de la guerre.

  Le lecteur suit ainsi ces quatres personnages dont les destins sont intimement liés.
L'auteur, par un flash-back détaillé, raconte comment Tessa, Tom, Sebastian et Stefan se sont rencontrés au début des années 40. Tous appartenaient à ces familles de paysans du Kansas qui ont été chassés de leurs terres par des banquiers peu attentifs aux problèmes de sécheresse qui ont sévit à cette époque.

  Philippe Jarbinet publie à nouveau un diptyque très soigné sur tous les plans.
Pour l'histoire, il mêle avec habileté différents chemins de vie dans le contexte de la fin de la seconde guerre mondiale. Je ne connais pas cette période de façon aussi pointue que celle d'un historien mais il apparaît que l'auteur est extrêmement fidèle à la réalité et s'est amplement documenté sur le sujet. Cette bande dessinée se révèle donc être également un ouvrage didactique sur certaines opérations stratégiques militaires dans l'Europe des années 40.
Ce tome se termine par un rappel de la découverte par les alliés des camps de concentration éparpillés dans les pays de l'est. Il fallait le voir pour y croire, le fixer sur pellicule pour ne jamais oublier ce qui deviendra un énorme traumatisme dans l'histoire de l'humanité.

  Sur le plan graphique, la barre est très haute. Jarbinet poursuit son travail d'artisan de la couleur en peignant chaque case en couleur directe. Le travail à l'aquarelle est considérable et place Airborne 44 loin devant la grande majorité des publications actuelles dans le 9ème art.

[Critique publiée le 19/04/19]

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L ' H O M M E   Q U I   M A R C H E   Jirô Taniguchi - 1992

Casterman - 155 pages
16/20   Profiter des bonheurs simples

    Tout au long du récit, le lecteur suit le cheminement pédestre d'un homme qui déambule dans sa ville. Au fil de ses pas, il éprouve des plaisirs simples comme celui d'observer les oiseaux, acheter un gâteau pour sa compagne ou promener Neige, le chien abandonné qu'il a adopté.
Ainsi, tout moment de la journée peut être mis à profit pour marcher et découvrir ces petites choses anodines que l'homme moderne et pressé ne sait plus contempler : des élèves rentrant de l'école en jouant de la musique, le regard bienveillant d'une vieille dame croisée au détour d'une rue, ...
Et puis, il y a des moments de grâce absolue durant lesquels, sciemment, le personnage de ce roman graphique se met dans des situations épicuriennes. Il s'allonge par exemple au pied d'un cerisier en fleur pour profiter de la quiétude et de la beauté des lieux, s'introduit discrètement le soir dans la piscine municipale afin de s'y baigner seul et nu - c'est bien mieux - ou encore grimpe au sommet d'un arbre pour admirer le paysage depuis sa cime.

  Fidèle à son style, Jirô Taniguchi « dessine » de la poésie. Quasiment aucun dialogue ne vient ponctuer cette bande dessinée qui est une magnifique ode à la simplicité, à l'humilité et au bonheur.
J'aime ce ton un peu naïf chez l'auteur japonais. Il est rassurant et reposant dans notre monde actuel qui mise bien trop sur la vitesse, la productivité, la sophistication, l'agitation continue, ...
Lire et relire Taniguchi, cela permet de réenchanter le monde. Et c'est déjà énorme.

[Critique publiée le 19/11/16]

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L E   J O U R N A L   D E   M O N   P È R E   Jirô Taniguchi - 1995

Casterman - 274 pages
19/20   Une psychanalyse émouvante

    Ce récit émouvant et somptueux débute par l'arrivée de Yoichi dans sa ville natale, Tottori, pour assister à la veillée funèbre organisée pour célébrer dignement la mort de son père, Takeshi. C'est l'occasion pour Yoichi, narrateur de cette histoire, d'évoquer son enfance auprès d'un père qu'il a fui jeune, au moment de partir faire ses études à Tokyo.

  L'événement marquant qui aura façonné les relations au sein du noyau familial et brisé sans doute indirectement le lien qui unissait son père Takeshi à sa mère Kiyoko est décrit avec détail. Il s'agit du terrible incendie qui dévasta Tottori en 1952.
Des constructions en bois vulnérables et un fort vent combinés à beaucoup de malchance seront les principales raisons du cataclysme qui détruisit cinq mille deux cent quatre-vingt-huit maisons exactement, soit les deux tiers de la petite ville de province.
Le père de Yoichi, coiffeur apprécié, perd tout : maison et travail. L'oncle Daisuke, beau-frère de Takeshi, sera très présent auprès du petit garçon, de sa grande sœur Haruko et de leur mère. Aidé financièrement par son beau-père afin de relancer son activité et offrir un nouveau logement à sa famille, Takeshi s'enferme dans le travail afin de rembourser au plus vite sa dette au point de négliger sa famille...
Celle-ci va alors voler en éclats et les repères de Yoichi seront irrémédiablement détruits. En pleine détresse, élevé par son père resté dans le nid familial, il n'aura plus qu'un seul objectif : retrouver sa mère partie vivre dans une autre ville avec l'instituteur de sa sœur ainée, Mr Matsumoto.
Yoichi va rapidement perdre ses illusions et devra reconnaître que le monde des adultes n'est pas aussi simple que celui des enfants...
Le sport lui permettra de canaliser son énergie et son intérêt pour la photographie lui fournira d'autres objectifs à atteindre. La présence d'un animal de compagnie lui sera aussi grandement bénéfique.
Des premiers souvenirs, vers l'âge de trois ans, à l'arrivée dans le milieu professionnel, Yoichi, à l'occasion de longs et nombreux flashbacks, va opérer une sorte de psychanalyse durant cette veillée funèbre et découvrir peu à peu le vrai visage de son père, un homme bien plus aimant qu'il ne le laissait paraître.

  Taniguchi est le maître incontestable du manga européen. Moins connu au pays du Soleil Levant, ce mangaka est adulé en France ; les critiques professionnels comme les lecteurs louent son talent.
Dessinateur pointilleux et scénariste hors pair, Taniguchi nous livre avec ce pavé de près de trois cents pages une fine analyse psychologique de la relation entre un fils et son père. Le récit s'appuie sur des éléments autobiographiques et met en avant la ville provinciale de Tottori, lieu de naissance de l'auteur.
Il faut lire ce roman graphique et déguster chaque page, chaque case où même les décors au second plan sont d'une finesse renversante.
Enfin, en dehors de toute mode, Taniguchi ne recherche pas l'action, le rebondissement scénaristique à chaque fin de page, il cultive au contraire l'art de la lenteur, prône la douceur de vivre. Des valeurs qui nous manquent considérablement aujourd'hui...

[Critique publiée le 13/10/12]

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Q U A R T I E R   L O I N T A I N   Jirô Taniguchi - 1998

Casterman - 406 pages
18/20   Philosophie du destin

    Hiroshi Nakahara, un cadre japonais de quarante-huit ans en déplacement professionnel, se trompe de train le lendemain matin d'une soirée un peu trop arrosée et prend le chemin de sa ville natale, Kurayoshi, au lieu de rejoindre son domicile de Tôkyô où l'attendent sa femme et ses deux filles. Arrivé sur les lieux de son enfance, Hiroshi en profite pour se rendre dans le cimetière du temple Genzen où se trouve la sépulture de sa mère.
Nous sommes le 9 avril 1998.

  Il s'endort devant la tombe.
À son réveil, un phénomène fantastique s'est produit : son corps n'est plus celui d'un adulte mais bien celui d'un adolescent. Étrangement, Hiroshi a gardé son expérience d'homme mûr, a connaissance des événements survenus jusqu'à ses quarante-huit ans. En revanche, il a repris l'apparence physique qu'il avait à quatorze ans !
Décontenancé, perdu devant un tel mystère, il parcourt la ville et la découvre telle qu'elle était durant sa jeunesse : les voitures, les maisons, le rythme de la vie sont comme dans ses souvenirs. Le passé est devenu réalité et, arrivé au seuil de sa maison, il retrouve sa famille qui l'attend de façon toute naturelle pour déjeuner !
Hagard, Hiroshi reste interloqué devant sa mère, Kazué, qui a disparu vingt ans plus tôt d'une crise cardiaque. Son père, Yoshio, sa petite sœur Kyôko - à croquer tout au long de l'album - et sa grand-mère maternelle sont là et vaquent à leurs occupations quotidiennes malgré l'étrange comportement qu'ils observent chez Hiroshi.
L'incroyable vérité lui est alors confirmée par la première page du journal qui est datée du 7 avril 1963...

  Le jeune garçon, forcément très mûr pour son âge, s'aperçoit au fil des jours qu'il revit le passé sans possibilité de s'en évader.
Aux questions métaphysiques va succéder une acceptation de ce voyage dans le temps. Hiroshi va redécouvrir l'insouciance de la jeunesse, le lycée, ses camarades Masao et Daisuké et même, ce qui n'était pas prévu, tomber amoureux d'une magnifique fille prénommée Tomoko.
Il reprend aussi sa place au sein de sa famille et tente de profiter au mieux de cette formidable occasion de revoir ses parents. Car, au-delà de la mort prématurée de sa mère, Hiroshi a été traumatisé par la fuite de son père en cette année 1963 justement. Parti de la maison un soir des derniers jours des vacances d'été pour assister à une réunion de l'association de quartier, Yoshio a abandonné sa famille pour toujours...
Adulte, Hiroshi ne sait toujours pas ce qu'il est devenu. Dans sa peau d'adolescent, c'est la question qui le taraude le plus, qui l'obsède, qui l'empêche de profiter de sa « nouvelle » vie. Le garçon voudrait utiliser ce saut temporel pour modifier la destinée en empêchant son père de quitter une famille qui, à première vue, paraît aimante, épanouie et exemplaire...

  À travers ce roman graphique qui a remporté un énorme succès, Taniguchi aborde une multitude de thèmes oscillant entre gravité et légèreté. Le mangaka japonais réussit à juxtaposer les grands événements de la vie aux petits moments simples et ordinaires qui jalonnent nos existences. Ainsi, il met autant en scène les souffrances liées au divorce, à l'alcool, à la fuite du père que les petits plaisirs quotidiens que sont une virée en bus à la mer, la contemplation d'un feu d'artifice, le plaisir d'un enfant de chausser sa nouvelle paire de chaussures ou encore une promenade dans la nature, ...
L'art de vivre japonais, exotique pour un lecteur occidental, est aussi très présent. L'intérieur des demeures est toujours propre, rangé, zen. Tout paraît simple dans le pays du Soleil Levant. Mais évidemment, Taniguchi nous montre que derrière ce tableau idyllique, des fêlures se tissent, des drames humains bouleversent le sort des habitants.

  Au même titre que dans Le journal de mon père, l'unité de la famille est le thème majeur abordé dans cette œuvre.
Ici, l'auteur utilise le fantastique comme procédé littéraire pour parvenir à développer son sujet. Les raisons et moyens du voyage dans le temps de Hiroshi ne sont pas clairement expliqués car secondaires, mais Taniguchi apporte tout de même une réponse à la problématique des paradoxes temporels en montrant que les grands événements de la vie ne peuvent être modifiés.
Une réflexion sur la maturité est aussi présente. Hiroshi adulte comprend bien davantage les frustrations et désirs qu'apporte la vie que lorsqu'il était jeune. La scène déchirante de séparation avec son père témoigne de ce changement de point de vue au fil des décennies.
Enfin, n'oublions pas de remarquer que l'assiduité au travail est une valeur qui transparaît dans le Japon décrit dans Quartier lointain. Chacun travaille dur pour subvenir à ses besoins présents ou futurs : le père dans son atelier de tailleur, la mère dans les tâches ménagères, les enfants à l'école.

  Sur le plan pictural, la technique est incroyable. Les décors sont réalisés avec un soin absolu. Chaque détail est représenté avec une naïveté du trait en accord avec l'esprit de ralentissement, de lenteur que le mangaka, affolé par le rythme effréné du Japon moderne, met en avant tout au long de son œuvre.
Le découpage du récit est agréable et confère à l'ensemble une facilité de lecture renforcée par des dialogues jamais denses. Car ici, le dessin est roi et Taniguchi prend le temps durant les quatre cents pages de déployer son histoire sans jamais presser le lecteur...
Du grand art.

  Quartier lointain a remporté les prix suivants :
Prix du meilleur scénario au Festival d'Angoulême 2003
Prix Canal BD des libraires spécialisées 2003
Prix de la meilleure BD adaptable au cinéma au Forum de Monaco 2004

[Critique publiée le 27/10/15]

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M U R E N A   |   LA POURPRE ET L'OR (tome 1)   Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1997

Dargaud - 48 pages
17/20   Rome au temps de Néron et Agrippine

    Nous sommes en mai 54 dans la Rome antique.
Claude, empereur de la première puissance mondiale, est mariée à Agrippine. Cette dernière a fait en sorte qu'il reconnaisse son fils Néron issu d'une précédente union. Elle nourrit en effet le secret espoir de conduire celui-ci à la place du César.
Cela est sans compter sur Britannicus, demi-frère de Néron et fils biologique de l'empereur Claude, fruit d'un ancien mariage. Bien que plus jeune que le fils adoptif et donc non prioritaire à la succession du pouvoir, celui-ci est finalement choisit par l'empereur qui avance de deux ans sa date de majorité. En effet, Claude compte rompre avec Agrippine car il s'est épris de Lollia, sa maîtresse et aussi mère de Murena, le héros de la série. Souhaitant coûte que coûte diriger l'empire à travers son fils Néron, la terrible et sulfureuse Agrippine va tout faire pour parvenir à ses fins...

  Cette nouvelle œuvre dépoussière totalement l'époque de la Rome antique en bande dessinée qui était jusqu'à présent surtout célébrée à travers les fameuses aventures d'Alix mises en scène par Jacques Martin dès les années 50.
Le scénario solide de Jean Dufaux est très fidèle à l'histoire authentique et permet donc aux lecteurs de se plonger avec divertissement dans les complots de l'Antiquité romaine au moment où Néron prenait le pouvoir.
Sexe, violence et argent étaient déjà au cœur de toutes les attentions et permettaient aux individus malveillants de manipuler avec efficacité leurs concitoyens.
Le dessin de Philippe Delaby est très soigné dans ce premier tome. Issu des beaux-arts belges, cet auteur maîtrise parfaitement la représentation des corps, décors et perspectives.
À noter que le graphisme va grandement s'améliorer tout au long de la série Murena jusqu'à atteindre la perfection selon moi. Pourquoi donc se priver d'une bande dessinée qui allie histoire et dessins époustouflants et qui, par sa rigueur et sa quête d'authenticité, est aujourd'hui devenue une référence dans le milieu universitaire des historiens ?!

[Critique publiée le 13/10/12]

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M U R E N A   |   DE SABLE ET DE SANG (tome 2)   Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1999

Dargaud - 48 pages
17/20   Violence, complots et trahisons

    Néron est sacré empereur et prend donc la place de son beau-père, Claude, à la grande satisfaction d'Agrippine.
En distribuant des deniers ici et là, il a réussi à convaincre la garde prétorienne ainsi que le sénat de sa légitimité au sein de la dynastie julio-claudienne.
Murena, quant à lui, enquête avec son ami, l'écrivain Pétrone, sur le meurtre de sa mère. Ses observations le mènent rapidement sur la voie de l'empereur dont certains centurions semblent prêts à tout pour arrondir leurs fins de mois...
Ne souhaitant pas se trahir auprès de son ami, Néron réglera avec violence le sort des acteurs du meurtre de Lollia Paulina. Il s'entichera par ailleurs de la ravissante Acté qu'il a sortie d'une misère sexuelle organisée par son proxénète Pallas, également ancien affranchi et homme de main de la démoniaque Agrippine. Celui-ci va alors se venger du César et de sa mère en se rapprochant de Britannicus pour lui rappeler que son père Claude l'avait promis à devenir empereur avant de passer de vie à trépas...
Le jeune Britannicus réussira-t-il à s'imposer sur le trône ?

  Ce second tome est à la hauteur du premier. Le scénario qui relate une course au pouvoir faite de complexité et de multiples rebondissements est clair et limpide. Les personnages sont maintenant bien identifiés et le lecteur peut se les approprier facilement.
Murena est le seul personnage principal fictif de cette série. Il a été créé afin de fournir une vision extérieure sur la vie de Néron et est habilement exploité par les auteurs comme le témoin de la folie naissante de son ami empereur. Pour le moment, le praticien possède une philosophie de vie saine, une psychologie lissée.
Néron, lui, a bien changé dans ce second opus et n'hésite pas à employer la violence, tant physique que verbale, pour parvenir à ses fins. Aussi Agrippine commence à perdre le monopole du pouvoir.
Enfin, le jeune Britannicus est la grande victime des ambitions de ses ainés. Seul un esclave qu'il avait fait gracier auprès de son père Claude lui restera fidèle et dévoué.

  La série Murena propose une interprétation de faits historiques relatés un demi-siècle après leurs déroulements par les historiens Tacite et Suétone. Le sujet est donc toujours source de questionnements sur la véracité des événements entre les spécialistes de cette période trouble de l'empire romain. Grâce au travail du tandem Dufaux/Delaby, le néophyte a aussi maintenant accès à cette passionnante tragédie. Et il ne faudrait surtout pas s'en priver !

[Critique publiée le 13/10/12]

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M U R E N A   |   LA MEILLEURE DES MÈRES (tome 3)   Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2001

Dargaud - 46 pages
18/20   Scission à la tête de l'empire

    L'empereur interroge la sorcière Locuste et apprend la vérité sur la mort de son prédécesseur Claude.
Pour protéger sa mère une dernière fois, Néron va jusqu'à mentir à son ami Murena et le rejeter de la cour. En effet, celui-ci continue son enquête sur le meurtre de Lollia Paulina avec l'aide de son riche ami Pétrone chez lequel il s'est désormais installé en compagnie de la charmante esclave Arsilia.
Quant à la mort de Britannicus, les rumeurs vont bon train et ne feront au final que diviser encore davantage les deux clans réunis autour de Néron et Agrippine.
L'ambiance dans les hautes sphères de Rome est donc régit par les trahisons, complots et règlements de compte. Agrippine est de plus en plus isolée tandis que Néron se voit poser un terrible dilemme : marcher dans les combines terrifiantes de sa mère et perdre ses plus fidèles conseillers et amis (dont Murena et sa tante Domitia accusée à tort d'être à la tête de l'insurrection des esclaves) ou mettre définitivement fin aux agissements de la ténébreuse impératrice.
Petit à petit, pour Néron, une seule issue fatale va se profiler à l'horizon de son destin...
L'album consacre également de nombreuses pages aux combats d'esclaves. Ainsi, le dévoué Balba, l'affranchi noir anciennement au service de Britannicus, est défié par le terrible Massam, véritable machine à tuer. Le numide va alors devenir le fidèle de Murena chez qui il retrouvera la même haine envers le machiavélique Néron.

  Toujours rien à dire concernant la qualité du scénario de Dufaux et des dessins de Delaby. Ce premier cycle est riche en intrigues et tient ses promesses. L'apprentissage de l'histoire romaine vu sous cet angle devient totalement passionnant.
Les visages féminins ou masculins, patibulaires ou charmants sont admirablement représentés par le dessinateur belge. Admirez donc ces gros plans d'Agrippine à travers la finesse de ses lèvres, l'harmonie de ses dents, les traits réguliers de son visage, la délicatesse de ses yeux. Le travail artisanal réalisé à l'aquarelle vient rehausser le tout et n'affadit en rien le crayonné initial comme on le voit malheureusement dans nombre de bandes dessinées où les aplats de couleur numérique déshonorent lamentablement le dessin.

[Critique publiée le 13/10/12]

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M U R E N A   |   CEUX QUI VONT MOURIR... (tome 4)   Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2002

Dargaud - 46 pages
18/20   Le dernier acte de la tragédie

    An 58 de notre ère, quatre années se sont écoulées depuis le sacre de l'empereur Néron.
Celui-ci voit désormais dans sa génitrice une ennemie de premier plan. Agrippine va pourtant tenter d'abuser une nouvelle fois de ses charmes auprès de son propre fils !
Acté met alors en garde Néron car l'issue fatale de plusieurs années de complot risque de se jouer imminemment. Elle fait ainsi preuve de diplomatie en négociant auprès de l'empereur le retour de son ancien compagnon, Murena. Ce dernier, obsédé par la poursuite du tueur de sa mère, n'acceptera qu'à une seule condition : connaître l'identité du meurtrier et pouvoir le défier.
La vengeance de Murena se verra ainsi concrétisée par le combat des esclaves Draxius et Balba.
Agrippine, acculée dans ses derniers retranchements, n'a cependant pas dit son dernier mot envers son fils. Sa dernière arme prendra l'apparence d'une femme fatale : la somptueuse Poppée...

  Le dernier tome de ce premier cycle consacré à l'influence de la mère de Néron sur celui-ci s'ouvre par un long billet de Michael Green, chercheur au King's College et consultant pour le film Gladiator. Il écrit ainsi qu'il « admire Murena, en tant qu'historien, car la série fera connaître l'Antiquité romaine, plus vite et sans doute mieux que tous les livres d'histoire - y compris ceux que j'ai commis ».
Globalement, la série Murena rencontre un très gros succès et plusieurs spécialistes louent les qualités didactiques et la clarté du récit.
Côté dessin, il est aisé de constater son évolution en mettant côte à côte les tomes 1 et 4. Le graphisme devient à présent époustouflant !

[Critique publiée le 13/10/12]

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B L A C K S A D   |   ÂME ROUGE (tome 3)   Juanjo Guarnido / Juan Díaz Canales - 2005

Dargaud - 56 pages
17/20   3 tomes et déjà une série culte !

    Cette troisième aventure du célèbre chat noir nous entraîne dans l'Amérique du maccarthisme, en pleine guerre froide.
John Blacksad s'ennuie à Las Vegas. Son boulot consiste à jouer les gardes du corps auprès d'une tortue, avide de jeux de casino, de femmes faciles et d'art contemporain.
C'est en assistant à une conférence sur l'énergie atomique qu'il reprend contact avec Otto Liebber, scientifique de renom qui avait, avec son père, œuvré pour une société plus juste dans les quartiers défavorisés où vivait Blaksad lorsqu'il était enfant.

  Liebber, un hibou, fait partie du groupe des « Douze apôtres » qui rassemble des intellectuels de gauche sous la protection du richissime communiste Gotfield.
Mais au sein même de ce cercle très fermé, le scientifique est directement menacé pour ses idées de l'époque du nazisme. Un crocodile chargé de l'éliminer se trompera sur l'identité de sa victime et assassinera la chouette Otero, un médecin proche des « Douze apôtres ». C'est Alma Mayer, la ravissante écrivain du groupe, qui demandera alors à John Blacksad d'enquêter sur ce meurtre et de protéger son ami Otto Liebber.
Dans ce climat ambiant, synonyme de tensions entre bloc communiste et chrétiens américains, le physicien, père de la bombe H, est au centre du rapport de forces dans l'équilibre des puissances. Outre sa propre conscience torturée par tant de responsabilités, il devra faire preuve de sang froid et bluffer les ardeurs belliqueuses du sénateur Gallo, principal instigateur de la chasse aux sorcières, qui fera tout pour rendre l'Amérique maître du monde grâce au secret de la bombe atomique.

  Tandis que l'étau se resserre, le rythme va s'accélérer crescendo avec la folie de Gotfield, la machination fomentée contre Blacksad et les tableaux mystérieux du peintre russe Serguei Litvak. Et chacun devra faire ses propres sacrifices pour sauver le monde...

  Ce troisième opus nous plonge dans les heures sombres de la guerre froide entre la fin des années 40 et le début des années 50.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, russes et américains veulent se repartager le monde après avoir fait preuve de leur suprématie respective dans le conflit. Une longue période d'intimidation par conflits interposés et une course à l'armement nucléaire débutent alors, plongeant les populations dans un climat permanent de suspicions et de tensions géopolitiques.
Dans ce tome, le sénateur Gallo, représenté par un coq autoritaire faisant largement référence à McCarthy, combat avec ardeur les influences russes sur le sol américain en traquant les communistes. Il entretient et alimente ainsi ce que l'on a appelé la « Peur Rouge » ; des actes de discrimination à l'encontre des sympathisants du pouvoir soviétique.
Liebber, cible du maccarthisme, est un mélange entre Albert Einstein et Robert Oppenheimer. Ces deux scientifiques qui ont contribué à l'invention de l'arme nucléaire se sont élevés contre cette politique irrationnelle.

  Le thème du nucléaire est également abordé avec un mélange de fascination et de crainte pour son utilisation. Dans les années 50, les russes étaient invités à venir admirer les essais atomiques dans le désert à deux cents kilomètres de Las Vegas. Guarnido retranscrit parfaitement ce spectacle morbide dans les premières pages. Simultanément, la population craignait pour sa sécurité et se mettait à construire des abris anti-atomiques. Le dalmatien Gotfield est un exemple représentatif de cette ambivalence...
Enfin, ce riche scénario aborde en filigrane la traque des anciens nazis qui se poursuit encore de nos jours. Le monde commence à peine à réaliser l'ampleur du génocide qui vient de se dérouler dans les pays de l'est sous le régime hitlérien. Et le chimiste Laszlo veut venger l'honneur des juifs.

  Il faut rajouter à tout ceci une magnifique romance entre Blacksad et Alma Mayer. Une histoire d'amour fusionnelle, qui permet de souffler un peu entre les cases sombres et qui est dessinée avec tout le talent de Guarnido.
Ce dessinateur, il nous l'avait déjà prouvé dans les deux tomes précédents, est un génie. Sa maîtrise du trait et du détail permet de mettre en scène des animaux aussi vrais que des humains. Chaque animal est choisi avec précision pour coller avec l'image et le caractère que l'on imagine.
Les décors de New York sont également soignés et les couleurs à l'aquarelle hissent l'ensemble à un sommet rarement atteint en matière de bande dessinée. Blacksad est une série qui fait un véritable tabac et qui peut sans problème être considérée comme une œuvre littéraire à part entière auprès des travaux de Bilal ou Gibrat.
Le seul bémol dans cette troisième aventure du mystérieux chat est peut-être ce scénario un peu complexe, qui demande une certaine dose d'attention. Cela peut aussi être vu comme un atout mais le dénouement, rapidement concentré sur les deux dernières pages, rend quelque peu caducs les efforts fournis au fil de l'histoire pour aborder avec sérénité le mot de la fin.

[Critique publiée le 15/01/09]

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B L A C K S A D   |   L'ENFER, LE SILENCE (tome 4)   Juanjo Guarnido / Juan Díaz Canales - 2010

Dargaud - 56 pages
18/20   Polar dans l'univers du jazz

    Voici un quatrième tome qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans dans les années 50, terre mythique des clubs de jazz et de blues où ont sévi les plus grands musiciens comme Duke Ellington, Louis Armstrong ou Sidney Bechet.
Blacksad, grâce à son fidèle compagnon Weekly, est chargé de retrouver le pianiste Sebastian Fletcher pour le compte de son producteur. Faust Lachapelle, ce dernier, est atteint d'un cancer et s'inquiète de la disparition de son musicien fétiche, véritable star de son label, qui connaît une grave addiction à l'héroïne.
Enquêtant dans les bas-fonds de la plus grande ville de l'État de Louisiane, le célèbre chat noir partage son énergie entre interrogatoires musclés parmi les vapeurs d'alcool et de fumée et courses-poursuites dans la foule bigarrée du carnaval.
Le chemin sera évidemment parsemé de nombreuses embûches : assassinat du musicien Junior Harper, accrochage violent avec le vociférant détective Ted Leeman, influence ténébreuse de la prêtresse vaudoue Mme Gibraltar, manipulations en tout genre, ...
Blacksad, guidé par sa légendaire intuition féline, devra démêler une affaire coriace qui puise ses racines dans le triste passé des principaux protagonistes.

  Les albums de cette série sortent à un rythme très lent. Et celui-ci a battu les records avec cinq années d'attente !
Mais dans un paysage du 9ème art où la productivité est intense et souvent médiocre (couleurs numériques fades et artificielles, dessins de piètre qualité, scénarios improbables), cela n'est en aucun cas un handicap. Car chaque nouvelle histoire des espagnols Guarnido et Canalez a su témoigner jusqu'à présent d'un synopsis réfléchi, d'une ambiance générale judicieusement choisie, de dessins soigneusement léchées en couleur direct et d'un bestiaire sans cesse renouvelé.
Et L'Enfer, le silence ne déroge pas à la règle. L'univers du jazz est l'écrin parfait pour un polar dans l'Amérique d'après-guerre et l'histoire, très sombre malgré quelques rares pointes d'humour, s'en accommode parfaitement.
Quant au dessin de Guarnido, sa virtuosité est déjà plébiscitée par un très large public depuis des années. Les différentes tonalités de l'album qui oscillent entre celle de la lumière glauque d'un pub et celle d'un ciel de printemps bucolique laissent présager du plaisir que prend l'artiste à jouer avec l'eau et ses pinceaux.

  Comment alors ouvrir une bande dessinée colorisée avec un logiciel informatique après avoir parcouru des chefs-d'œuvre comme Blacksad, Muchacho, Mattéo, Kililana Song - pour ne citer qu'eux - où l'aquarelle éclate dans toute sa force faite de lumière et de transparence ?

[Critique publiée le 06/03/14]

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M É R I T E   M A R I T I M E   Stéphane Dubois / Alain Riondet - 1992

Casterman - 79 pages
14/20   Histoires de marins à bord d'un cargo

    Un bouquin sympathique qui se découpe en quatre petites histoires.
Celles-ci nous présentent les personnages de l'univers maritime du cargo Amiral Benbow. Le capitaine Albert au caractère assez rustre, son second Franck, plus ouvert, et l'équipage constitué notamment de René, Ahmed, Polack et Jason parcourent le monde de ports en ports, d'un océan à l'autre.
Forcément, on retrouve ici les thèmes classiques de la vie du marin. Les femmes, que l'on apprend à connaître lors d'une escale et qu'il faut quitter au bout de quelques jours, les tensions dues à l'exiguïté du bateau, les trafics en tout genre qui ont lieu dans les ports, les rencontres avec des populations parfois très misérables.
Chaque nouvelle se focalise sur un personnage précis du navire et nous fait voyager à divers endroits exotiques de la planète : Valparaiso, Montevideo, Fortaleza, les îles Falkland, le Vietnam.

  Les aventures, par leur durée réduite de vingt pages environ, ne permettent pas d'approfondir un thème précis d'actualité (exemple des boat-people qui pourrait à lui seul remplir l'ouvrage entier) ou la psychologie d'un personnage. Cela est un choix des auteurs bien sûr mais, personnellement, je ne raffole pas de ce format court.
Le dessin est soigné, les couleurs également. Dubois reproduit à merveille les décors des ports et les bateaux de la marine marchande. L'ensemble est plaisant à lire et fait bien sûr penser à Tramp, l'excellent polar maritime qui reste la référence dans ce genre d'aventures...

[Critique publiée le 15/01/09]

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S O P H I A   |   PASSÉ TROUBLE (tome 1)   Adriano De Vincentiis / Massimo Visavi / Hernan Cabrera - 2004

Paquet - 56 pages
10/20   Un dessin mal servi par un scénario bien fade

    Sophia Delamore est une jeune femme belle, intelligente et immensément riche. Malheureusement, elle est orpheline suite à un drame familial qui continue de la hanter. Elle trouve du réconfort auprès de Gino, un pizzaïolo vénitien qui lui a permis de faire de hautes études. À la recherche de ses origines, un antiquaire la met sur les traces de son grand-père qui lui a légué un testament. Sophia va alors partir sur les traces d'une secte en Colombie, elle aussi intéressée par ce testament.

  Ce tome 1 est malheureusement quelque peu décevant. Cette amertume ne vient pas du dessin de De Vincentiis qui est maîtrisé. Sophia est admirable dans ses formes généreuses. Les cadrages sont souvent originaux et bien choisis. Non, le problème vient résolument du scénario et des couleurs. Visavi nous a pondu une histoire qui tient sur un papier de cigarette, digne de la série de l'été de TF1 : une femme riche et belle qui garde en elle la souffrance du passé et qui part à la recherche du secret renfermé dans le testament de son grand-père. Les dialogues manquent de densité, l'action n'est pas foisonnante au cours des cinquante-six pages de l'album. Tout cela est bien fade en regard du joli coup de patte du dessinateur.
Et puis, il y a des scènes tout de même incohérentes : comment notre héroïne peut-elle traverser la forêt colombienne avec des talons aiguilles ? C'est un détail certes, mais qui décrédibilise davantage la qualité du scénario.
Enfin, cerise sur le gâteau, un coloriste qui affadit le tout en posant des aplats de couleur numérique sur chacune des cases. Ça aurait été tellement plus chaud en couleurs directes !
Ah, on est loin des Lepage ou Gibrat...
La couverture est très belle mais c'est bien l'un des seuls attraits de cette BD qui m'aurait fait pâlir d'admiration si le dessin était resté en noir et blanc et si le scénario avait été plus pointu... Dans le même style, jetez-vous plutôt sur le travail du maître italien Serpieri.

[Critique publiée le 09/10/08]

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C O R T O   M A L T E S E   |   FABLE DE VENISE (tome 25)   Hugo Pratt - 1977

Casterman - 75 pages
16/20   Venise au temps des Chemises noires

    C'est la 25ème aventure du célèbre héros Corto Maltese. L'action se déroule à Venise en 1921. L'histoire est présentée en quatre actes.
Le marin est à la recherche d'un trésor : une émeraude. Il possède un indice sous la forme d'une énigme que lui a envoyé un écrivain, le Baron Corvo, peu avant sa mort. La devinette dit : « Le lion grec perd sa peau de serpent septentrional entre les brumes de Venise... » Corto Maltese va ainsi tout faire pour mettre la main sur la pierre précieuse dans une Venise où la montée du fascisme est représentée par la milice des Chemises noires.
Comme à l'accoutumée, son parcours sera semé d'embûches et les rencontres avec des personnages variés seront de mise. Il fera ainsi la connaissance des Francs-maçons, d'un poète, d'une philosophe néoplatonicienne, d'un astronome, ... Les dernières pages donnent une tournure très originale à l'histoire.

  Les bandes dessinées d'Hugo Pratt sont assez difficiles à lire car elles contiennent beaucoup de références à l'histoire, ses événements et ses personnages. Il existe donc plusieurs niveaux de lecture que l'on peut affiner en s'aidant d'articles ou de critiques en rapport avec l'œuvre.
Le dessin, en noir et blanc, est très agréable. Les décors de Venise sont reconstitués avec minutie. Le mystère, propre au personnage de Corto Maltese, plane sur chaque page, magnifié par les brumes vénitiennes.

[Critique publiée le 19/03/08]

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T I N T I N   |   TINTIN AU PAYS DES SOVIETS (tome 0)   Hergé - 1929

Casterman - 137 pages
15/20   La naissance d'un mythe

    Publiée en 1929 dans Le Petit Vingtième, supplément jeunesse du journal belge Le Vingtième Siècle, cette aventure symbolise la première rencontre du public avec Tintin, sans doute le plus célèbre héros de la bande dessinée.

  En réalité, cette histoire au pays des Soviets est une commande de l'abbé Wallez, propriétaire du journal. Très à droite, Wallez veut mettre au courant ses jeunes lecteurs de l'actualité en Union Soviétique et les mettre en garde contre les dangers du communisme.
Hergé dessine donc un journaliste qu'il va envoyer en Union Soviétique. Accompagné de Milou, Tintin n'aura de cesse de tenter d'atteindre le pays pour satisfaire sa curiosité de reporter. Il se heurtera tout au long de l'album aux violences du Guépéou, la police soviétique.
Les péripéties illustrées par Hergé constituent une violente critique contre le bolchevisme, alors menace pour le monde occidental. La propagande règne partout, l'État policier contrôle la population. Bref, Tintin découvre une véritable dictature de gauche.

  Graphiquement, Hergé n'a pas encore donné son aspect définitif à son personnage fétiche. Les dessins ont été publiés en noir et blanc à raison de deux pages par semaine dans le journal. Ceci explique donc la multitude de petites histoires qui mettent en scène Tintin et Milou, chacune se terminant par un rebondissement maintenant le suspense pour l'épisode suivant.
Les autos, les avions font déjà partie de l'univers hergéen ; on sait à quel point ils seront présents dans la suite des aventures.
Hergé reconnaîtra plus tard s'être trop peu documenté pour ce scénario et s'être exclusivement inspiré du livre Moscou sans voiles de Joseph Douillet, ancien consul de Belgique en Russie.
Malgré une succession de clichés sur le communisme, cet album demeure historique pour tout tintinophile.

[Critique publiée le 08/02/08]

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T I N T I N   |   TINTIN AU CONGO (tome 1)   Hergé - 1931

Casterman - 62 pages
16/20   L'apogée du colonialisme

    Tintin part cette fois-ci pour le Congo, colonie de la Belgique.
Dans les années 30, cet immense pays manquait de main-d'œuvre. La tendance de l'époque était donc de donner envie aux belges de partir s'installer en Afrique.
Tintin et Milou sont dès le début du récit menacés par un bandit. Celui-ci tentera à plusieurs reprises de les éloigner du Congo, véritable eldorado pour l'extraction du diamant. On apprendra à la fin de l'histoire que ce complot est ourdi par le célèbre gangster américain Al Capone.

  Hergé a totalement repris le découpage et le dessin de cet album en 1946. Il rajouta également de la couleur et retira quelques cases jugées trop racistes. Néanmoins, à notre époque, l'album peut choquer et il est nécessaire de bien comprendre le contexte politique dans lequel il a été créé.
En effet, cette aventure du célèbre héros montre clairement la supériorité du blanc sur le noir. Les habitants du Congo parlent avec un accent de nègre très marqué, ils sont fainéants, ils sont facilement manipulables, etc. Bref, c'est un véritable hymne aux bienfaits du colonialisme.
Concernant l'environnement, Tintin est très cruel et les scènes de chasse de la faune africaine se révèlent être de véritables massacres. Tout ceci serait aujourd'hui très déplacé...
Bien sûr, en connaissant ces quelques repères historiques, on ne peut s'empêcher de rire lorsque l'on voit à quel point le « gentil européen » se faisait une image fausse de la réalité dans ses colonies. Mais Hergé n'a fait que retranscrire les préjugés qui baignaient notre société au début du XXe siècle. Comme pour son précédent opus en Russie, la documentation qu'il a utilisée n'était pas du tout objective.

  Un album au dessin grandement amélioré mais qui reste limité quant au souci de transcrire la réalité. Sous ses airs de suite de gags pour enfants se cache finalement une caricature réductrice (mais intéressante cependant) des pays de l'Afrique noire.

[Critique publiée le 06/03/08]

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T I N T I N   |   TINTIN EN AMÉRIQUE (tome 2)   Hergé - 1932

Casterman - 62 pages
16/20   Tintin face aux gangsters

    Après l'Afrique, c'est l'Amérique que rejoignent Tintin et son fidèle Milou.
Hergé traite des événements de son époque : la prohibition (interdiction du commerce de l'alcool), la guerre des gangs. Ainsi, Tintin est directement parachuté dans une ville de forte mauvaise réputation en matière de sécurité : Chicago. Dès la première case, le célèbre gangster Al Capone donne l'ordre d'éliminer le journaliste belge.
Mais l'auteur traite aussi de sujets plus polémiques. Il dénonce ainsi la place faite aux noirs dans la société des blancs (ces allusions seront censurées dans les ré-éditions de l'album). Il condamne également la violence coloniale à l'encontre des indiens d'Amérique.

  Hergé se documente encore peu pour cette histoire assez décousue et constituée, comme les précédentes, d'une succession de scènes rocambolesques. Du côté de la technique de narration, il décrit, par une magnifique ellipse sur une page, la construction d'une ville champignon après la découverte d'un puits de pétrole et l'expulsion des indiens.
À noter que l'album a été remanié en 1945 (ajout de la couleur et amélioration de la fluidité dans la lecture).

[Critique publiée le 18/03/08]

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T I N T I N   |   LES CIGARES DU PHARAON (tome 3)   Hergé - 1934

Casterman - 62 pages
16/20   Les mystères de l'Egypte ancienne

    Tintin part en croisière à destination de l'Orient. À bord du bateau qui le transporte, il fait la connaissance d'un savant farfelu, l'égyptologue Philémon Siclone. Celui-ci détient un important papyrus indiquant l'emplacement exact du tombeau du pharaon Kih-Oskh. Accusés de trafic d'opium, Tintin et Milou sont arrêtés par les Dupondt. Mais, lors de l'escale à Port-Saïd, ils réussissent à s'évader et gagner la terre ferme. Leur rencontre avec le professeur Siclone les mène alors au sein du tombeau du pharaon. La suite de l'aventure se déroulera en Inde, chez le maharadjah de Rawajpoutalah.
Dans cet album, Hergé fait référence au mystère Toutankhamon dont la tombe royale avait été découverte douze ans auparavant.
Edgar P. Jacobs a participé à la réalisation de la seconde version de la BD en 1955. Il y a glissé quelques clins d'œil dans les noms des savants momifiés dans le tombeau de Kih-Oskh (E.P. Jacobini ou le Dr Grossgrabenstein issu du titre Le mystère de la grande pyramide dans la série Blake & Mortimer).
Enfin, il est à noter l'apparition d'un personnage important dans la série : Rastapopoulos.
Hergé affine encore sa technique de narration. Le scénario forme davantage une unité que dans les tomes précédents.

[Critique publiée le 27/03/08]

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T I N T I N   |   LE LOTUS BLEU (tome 4)   Hergé - 1936

Casterman - 62 pages
17/20   La rencontre avec Tchang

    Ce nouvel album débute par des images de l'Inde où Tintin et son inséparable chien Milou se reposent chez le Maharadjah de Rawhajpoutalah suite à leurs précédentes péripéties.
Un messager chinois se présente alors à lui et n'a le temps de prononcer que les mots « Mitsuhirato » et « Shanghai » avant d'être touché par une fléchette empoisonnée. Le malheureux devient aussitôt fou et ses propos incohérents. Intrigué, Tintin se rend alors en Extrême-Orient. Il y sera confronté à l'arrogance des occidentaux qui traitent les asiatiques comme des chiens et baignent en permanence dans des affaires de corruption.
Introduit auprès d'un noble chinois, Wang Jen-Ghié, le héros belge va à nouveau se trouver au cœur d'un trafic d'opium.

  Le Lotus bleu est en totale rupture avec les publications antérieures d'Hergé. Jusqu'à présent, il menait un travail de commande purement alimentaire, véhiculant sans état d'âme les préjugés occidentaux sur les pays décrits.
Mis en garde sur la façon dont il comptait montrer la Chine, Hergé rencontra un étudiant chinois de l'Académie des beaux-arts de Bruxelles : Tchang Tchong-Jen. Les deux hommes sympathisèrent et le père de Tintin découvrit avec précision l'histoire et les coutumes d'un monde oriental qu'il ne connaissait en réalité qu'à peine.
C'est à partir de ce moment qu'il décida de se renseigner avec rigueur sur les pays et leurs habitants avant d'y emmener son personnage.
Contrairement aux précédents, cet album est donc un véritable livre d'histoire qui retranscrit avec recul et finesse la situation géopolitique chinoise. Ainsi, Hergé aborde les événements autour de la guerre sino-japonaise de l'époque et va même jusqu'à défendre le point de vue chinois alors que la presse occidentale prend principalement parti pour les intérêts du pays du Soleil Levant.

  Un Tintin engagé qui constitue un jalon important dans cette œuvre artistique intemporelle. Tchang Tchong-Jen y est d'ailleurs immortalisé sous les traits d'un jeune chinois qui deviendra l'ami de cœur de Tintin.

[Critique publiée le 02/06/09]

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T I N T I N   |   L'ÎLE NOIRE (tome 6)   Hergé - 1938

Casterman - 62 pages
17/20   Entre Angleterre et Écosse

    Pour Tintin et Milou, tout commence par une promenade dans la campagne qui se termine de façon dramatique : voulant porter secours à un petit avion en panne, le reporter se fait sauvagement tiré dessus par deux hommes patibulaires.
Enquêtant sur l'accident, les Dupondt apprennent que l'appareil s'est finalement écrasé en Angleterre, dans le Sussex. Tintin décide alors de s'y rendre et de mener sa propre enquête.
Les embûches sont nombreuses car les complices des aviateurs vont tout faire pour empêcher notre héros d'atteindre l'île anglaise.
Après avoir réussi à éclaircir le mystère de la destination de l'avion, Tintin et son fidèle compagnon font la connaissance du redoutable docteur Müller qu'ils traqueront jusqu'en Écosse, au large du typique petit village de Kiltoch. Là, à quelques encablures de la côte, se dresse une tour maudite sur l'Ile Noire. Ce repaire de bandits renferme un secret, une malédiction qui terrorise la population locale.
Malgré les mises en garde des pêcheurs, Tintin décide de s'y aventurer...

  Cet album a connu trois versions ! La première est parue en 1938, la seconde qui possède la couleur en 1943. Quant à la troisième, sortie en 1965, elle fait suite à une demande des éditeurs anglais qui n'étaient pas satisfaits de la représentation de leur pays par le dessinateur belge. Celui-ci a donc considérablement retouché au dessin en veillant cependant à conserver l'intégralité du scénario. Bob de Moor, membre des Studios Hergé, est ainsi parti en Grande-Bretagne faire des repérages et des croquis. Bref, le travail documentaire sur cet album est considérable.

  Hergé fait référence au développement de l'aviation qui permit notamment, à cette époque, de voir émerger des trafics en tout genre, dont celui de la fausse monnaie.
La scène montrant les exploits involontaires des Dupondt sur un écran de télévision est un clin d'œil aux nouvelles technologies de l'époque. En effet, l'Angleterre avait une longueur d'avance sur les autres pays européens et la BBC diffusait des programmes dès 1936.
Enfin, l'idée d'une bête monstrueuse cachée sur l'île provient de deux sources d'inspiration : le film King Kong ayant connu un immense succès lors de sa sortie en 1933 et la fameuse légende écossaise du monstre du Loch Ness qui faisait considérablement parler d'elle à cette époque...

[Critique publiée le 26/10/11]

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T I N T I N   |   LE SCEPTRE D'OTTOKAR (tome 7)   Hergé - 1939

Casterman - 62 pages
17/20   La montée des nationalismes mise en image

    Au hasard d'une promenade dans un parc public, Tintin découvre un cartable oublié sur un banc. Trouvant l'adresse du propriétaire à l'intérieur, il se rend chez celui-ci qui s'avère être un grand professeur de sigillographie. L'étude des sceaux est la spécialité du professeur Halambique qui compte se rendre en Syldavie pour étudier celui du roi Ottokar.
Tintin s'aperçoit alors que l'historien est surveillé par des individus nourrissant de lugubres projets à son encontre. Il décide d'accompagner le professeur en tant que secrétaire personnel.
Très vite, le reporter à la houpette est gravement menacé. Il comprend alors qu'une terrible machination visant à renverser le roi de Syldavie est en préparation. N'écoutant que son courage et accompagné de son fidèle Milou, il se met en tête de rencontrer coûte que coûte le roi pour le mettre en garde.

  Hergé s'est clairement inspiré pour cet album du contexte politique de la fin des années 30. En effet, c'est en mars 1938 que l'Allemagne annexe l'Autriche et débute sa folle ascension vers la généralisation du régime nazi à toute l'Europe. Ici, l'auteur a représenté les belligérants à travers deux pays imaginaires : la Syldavie et la Bordurie. Le premier est pacifique et peu préparé à un conflit tandis que le second est très agressif et maître dans l'art de la prise de pouvoir.
L'instigateur de ce complot porte le nom de Müsstler qui est une contraction de Mussolini et Hitler, les deux dictateurs de l'époque.
Ce tome fait apparaître pour la première fois la cantatrice Bianca Castafiore qui déjà se fait remarquer pour son interprétation puissante et bruyante du fameux Air des bijoux de Gounod.
Enfin, l'album a connu une refonte complète en 1947 avec la participation d'Edgar P. Jacobs qui a entièrement revu costumes et décors. Le résultat est extrêmement soigné et la Syldavie, visiblement située dans les Balkans, attire par ses montagnes et rivières admirables...

[Critique publiée le 13/10/12]

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T I N T I N   |   LE CRABE AUX PINCES D'OR (tome 8)   Hergé - 1941

Casterman - 62 pages
18/20   La rencontre avec Haddock !

    Suite à la mort mystérieuse d'un marin, Tintin aide les Dupondt dans leur enquête. Celle-ci les mène rapidement vers un cargo à quai nommé Karaboudjan.
Officiellement, le navire transporte une grande quantité de boîtes de crabe. Capturé et enfermé à fond de cale par le lieutenant Allan Thompson, Tintin découvre que la cargaison contient en réalité de la drogue.
Réussissant à se libérer, il fait la connaissance d'un certain Haddock, capitaine du navire. Celui-ci, plongé dans l'enfer de l'alcool, n'a aucune conscience des activités de contrebandier de son second. Découvrant la vérité grâce à Tintin, les deux compagnons fuient à bord d'un canot de sauvetage puis d'un hydravion avant de s'écraser dans le désert marocain.

  En 1941, alors que les troupes allemandes viennent de prendre possession de la Belgique, Hergé doit interrompre la parution de Tintin au pays de l'or noir. La diffusion du journal pour la jeunesse Le Petit Vingtième est ainsi stoppée.
C'est dans Le Soir-Jeunesse, sous le contrôle de l'occupant, qu'Hergé continue alors ses dessins autour d'une histoire exotique, loin de tout lien polémique avec la dure actualité : Le crabe aux pinces d'or. Malheureusement, les privations liées à la guerre ne permettent pas de faire perdurer le journal dans son format original et c'est au sein de minuscules strips quotidiens que le père de Tintin doit raconter son histoire.
Cette forte contrainte demande un nouveau rythme pour tenir en haleine le lecteur à chaque fin de ligne. C'est à nouveau l'occasion pour Hergé de perfectionner son art de la narration et du découpage.

  Cet album est emblématique par l'apparition d'un personnage clé pour la suite de la série : le capitaine Haddock. Ce marin au caractère fort offre un contrepoint à celui de Tintin et va également minorer le rôle de Milou.
Malgré son intrépidité, le reporter à la houpette est mesuré, précautionneux, sage et vertueux. À l'opposé, Haddock s'emporte rapidement, ne fait pas dans la demi-mesure, possède le vice de l'alcool et jure sans cesse. Mais comme on le verra dans les aventures suivantes, c'est aussi une figure sensible au grand cœur qui prendra Tintin sous son aile à maintes reprises.
Ainsi naît dans ce tome un couple mythique du 9ème art...

[Critique publiée le 18/07/13]

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O N   A   T U É   W I L D   B I L L   Hermann Huppen - 1999

Dupuis - 56 pages
17/20   Le Far West revisité

    Nous sommes dans l'Amérique du Far West à la fin du XIXe siècle. Le jeune Melvin Hubbard imagine sa vie future auprès de Celinda, sa petite amie. Mais une tragédie s'abat sur la famille de l'adolescente : sous les yeux de Melvin, elle et ses parents, chercheurs d'or, sont massacrés par des bandits de grand chemin.
Le jeune garçon court alors, affolé, chez ses deux oncles qui lui assurent son éducation. Sous l'emprise de l'alcool, ceux-ci sont groggy et leur état ne fait qu'amplifier le dénuement de Melvin. Il monte aussitôt son cheval pour descendre à Deadwood, le village situé en contrebas, dans une vallée de cette zone montagneuse du Dakota du Sud.
Malheureusement, ce jour-là de l'année 1876, une figure légendaire de l'ouest américain vient d'être abattue dans un saloon de Deadwood. James Butler Hickok, dit Wild Bill, a reçu une balle dans le dos alors qu'il jouait au poker. Désemparée, la population de la petite cité est en effervescence et ne prête guère attention au désarroi de Melvin...
Noyant sa tristesse dans l'alcool, il va être recueilli par un couple plein de bonté : Charlie et Louise Woodruff. Lui, joueur de poker, semble riche tandis que elle est institutrice. Mais l'orphelin va se rendre compte d'une réalité toute différente et bien plus terne. Commencera alors pour Melvin un parcours chaotique où le destin le conduira à commettre des crimes et assouvir ses besoins de vengeance.
Son rêve initial, posséder un élevage de poulets, se réalisera-t-il ?

  Hermann brosse ici un portrait réaliste de l'Amérique profonde à la fin d'une époque : celle du Far West. Il part d'un événement réel, la mort de Wild Bill, pour n'en faire finalement qu'une toile de fond à un drame bien plus personnel vécu par un adolescent en pleine construction de sa personnalité. Les aléas de la vie et de ses rencontres feront prendre à Melvin une direction pas forcément propre sur le plan de la conscience mais dans cette époque instable où pullulent règlements de compte, braquages de banque, enfer des jeux d'argent, frénésie de l'or, misère, alcool et prostitution, il essaiera de tirer au mieux son épingle du jeu comme chacun de ses concitoyens.
Le dessinateur belge ne sépare pas le monde entre les bons et les méchants mais créé des personnages aux psychologies ambivalentes, proches de la complexe nature humaine. Comme dans ses œuvres suivantes, il raconte le parcours d'un individu face à une situation dramatique où le désir de justice devient le moteur de la vie.
Le dessin est magnifique. Inutile d'écrire de longs commentaires, il faut juste admirer chaque case.
Quant au scénario, il se découpe davantage en une succession de rencontres et d'aventures pour Melvin sans forcément faire de liens entre elles ; une mini-saga en quelque sorte...

[Critique publiée le 07/07/09]

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L U N E   D E   G U E R R E   Hermann Huppen / Jean Van Hamme - 2000

Dupuis - 70 pages
17/20   Escalade dans la folie humaine

    À partir d'une anecdote qu'il a entendue, le scénariste Jean Van Hamme imagine une histoire terrifiante qui, au-delà du simple fait divers, déroule la mécanique à l'origine de l'expression de la haine qui sommeille en chacun de nous.
Lors du mariage de Dominique Cazeville et Jérôme Maillard dans une auberge de campagne, une remarque est émise au sujet de la fraîcheur douteuse des crevettes servies en entrée. La famille Maillard, riche propriétaire des terres alentour, ne compte pas laisser passer cette erreur du restaurateur. Ne trouvant pas un terrain d'entente et tenant à leur fierté, les Maillard quittent le repas sans payer la note et entraînent avec eux la famille du marié ainsi que tous leurs convives.
Révolté par cette réaction disproportionnée et le manque à gagner, l'aubergiste prend en otage la mère et l'épouse du marié en les enfermant dans les sanitaires.
Très vite, le ton monte et deux clans se forment : d'un côté, la famille Maillard menée par le père qui a l'habitude d'imposer ses choix ; de l'autre, le personnel de l'auberge et les quelques résidents qui s'y trouvaient par hasard au moment du repas de mariage.
En quelques heures, la lune de miel se transforme en lune de guerre et le solide orgueil présent dans chaque camp va conduire à un déchaînement de violence difficilement imaginable.

  Van Hamme se lâche dans cette tragédie en racontant une véritable tuerie digne d'un conflit militaire. Il montre comment l'excès d'agressivité part bien souvent d'un détail ou d'une situation anodine. En outre, il rappelle que chaque être humain peut réveiller la haine qui sommeille en lui s'il ne parvient pas à la canaliser. Les différents drames qui inondent régulièrement les journaux témoignent malheureusement de cette réalité.
Quant à Hermann, il se régale à dessiner les trente protagonistes de cette histoire. Les scènes de nuit sont magnifiques : avec des nuances de gris, il réussit à représenter des détails de façon incroyable. Son style si caractéristique, le détail apporté aux décors et les couleurs réalisées à l'aquarelle sont un régal pour les yeux.

  Bref, voici un album de haute volée réalisé par deux maîtres belges du 9ème art !

[Critique publiée le 19/04/19]

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M A N H A T T A N   B E A C H   1 9 5 7   Hermann Huppen / Yves Huppen - 2002

Le Lombard - 54 pages
17/20   Nostalgie aux USA sous le pinceau du grand Hermann

    L'histoire se déroule dans l'État américain du Missouri à l'automne 1976. John Haig, policier, est chargé d'enquêter sur le viol et l'assassinat d'une jeune fille. La journaliste Helen, amoureuse de John, couvre l'événement pour la presse locale.
Mais ce meurtre rappelle à John une histoire dont il ne s'est jamais vraiment remis : l'été 1957 durant lequel il a fait la connaissance d'une jeune fille en fugue.
À cette époque, John rêvait d'ouvrir un établissement hôtelier à Las Vegas où il pourrait faire venir chanter son idole Elvis Presley. Sur sa route il rencontra Daisy, une adolescente fuyant la garde de son oncle, Vernon Walker, chez qui elle avait été placée à la mort de ses parents. Daisy rêvait de rejoindre Manhattan Beach, une station balnéaire proche de Los Angeles.
Commença alors un road-movie dans les décors extraordinaires des grands canyons américains. Traqués par la police et à bord d'une superbe voiture décapotable, les deux amants vivront éperdument leur amour, entre la peur et l'espoir.
En parallèle à son enquête présente, John se remémorera avec nostalgie cette période révolue qui a fini tragiquement.
Passé et présent vont s'entremêler de façon insidieuse et conduiront John à exorciser ses démons...

  Les Huppen, père et fils, mettent en scène une tragédie amoureuse. Au scénario, le fils Yves imagine une histoire où l'amour et la mort sont intimement liés tout au long du récit. La galerie des personnages est assez réduite, ce qui contribue à créer une atmosphère pesante. Ceux qui veulent se détendre éviteront la lecture de cette BD au synopsis très noir.
Le dessin, quant à lui, est le point fort. Hermann est un grand monsieur de la bande dessinée belge et tout simplement européenne. La reproduction des bus et voitures des années 50 est impressionnante de réalisme. Les ambiances de nuit sont saisissantes : avec un dégradé de gris, il parvient à nous faire voir tous les détails d'une scène. Mais le must reste évidemment les cases nous plongeant dans le désert américain avec ses canyons et ses formations rocheuses étonnantes.
Sur une demi-page maximum, Hermann est capable de créer une profondeur de champ qui nous fait englober d'un rapide coup d'œil des kilomètres carrés de terre rouge. Le dessinateur s'est certainement fait plaisir à travailler sur Manahattan Beach 1957 qui est une œuvre au graphisme très abouti.
Peut-être que le pessimisme du scénario ternit un peu le plaisir pris à la lecture ??

[Critique publiée le 15/01/09]

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A F R I K A   Hermann Huppen - 2007

Le Lombard - 56 pages
18/20   Une BD engagée

    La scène se déroule dans un pays d'Afrique.
On ne sait lequel car l'auteur ne cite jamais son nom, on ne sait pas non plus précisément l'époque. Sans doute cela a-t-il lieu du côté du Kenya, de la Tanzanie ou de l'Afrique du sud, de nos jours. Mais finalement peu importe car le discours de Hermann se veut certainement universel.

  Dans une réserve animale, Dario Ferrer, un blanc, s'occupe de la protection de la faune sauvage. Entouré d'une petite équipe, il lutte avec peu de moyens mais beaucoup de vigueur contre les braconniers sans scrupules envers le monde animal. Attaché de façon viscérale à « ses animaux », partageant une relation quasi-amoureuse avec la nature, il n'hésite pas à abattre les trafiquants qui sévissent. Il sacrifie même en partie ses relations humaines avec sa femme au profit des grands espaces qui l'entourent.
Charlotte, une jeune journaliste européenne, vient le rencontrer afin d'écrire un article sur la pratique du braconnage en Afrique. Leurs premières journées ensemble sur le terrain sont un peu difficiles. En effet, Dario est un personnage quelque peu acariâtre, sans état d'âme car baignant en permanence dans un monde de lutte et sans merci. Ces deux personnages vont alors mettre leur nez dans une sale affaire de violence humaine. L'État est responsable de graves exactions envers des minorités ethniques. Seulement, personne n'est censé être au courant de certaines affaires qui mêlent extermination, pays riches et corruption. Dario et Charlotte deviendront alors des témoins très gênants au sein de ce pays si magnifique en apparence...

  Cette bande dessinée délivre un message d'actualité : l'homme est bien plus dangereux que le plus violent des félins d'Afrique. Il pille la nature, il tue ses congénères pour de l'argent. Ainsi, pour Dario, le principal danger ne vient pas de cette faune sauvage mais bien de l'homme.
Hermann dénonce également le contrôle des pays pauvres par les pays riches qui, au nom du profit économique, asservissent des nations et broient des vies. Le dessinateur belge utilise le 9ème art pour donner à ses lecteurs un message clair.
D'ailleurs, la réalité l'aura vite rattrapé car, quelques mois après cette publication, le Kenya s'embrasera autour de ses élections politiques et les différentes tribus s'opposeront dans un tragique bain de sang.
Un message fort donc, qui de manière ludique, en dit autant qu'un long reportage à la télé ou dans la presse.

  Le dessin est, quant à lui, superbe. La première planche attire immédiatement le regard et donne envie au lecteur de poursuivre. Les couleurs en aquarelle sont belles. Les paysages africains sont une invitation à découvrir ce continent magnifique.
La fin est assez perturbante et montre que l'être humain est capable du pire mais aussi parfois du meilleur.

[Critique publiée le 08/01/08]

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D J I N N   |   LA FAVORITE (tome 1)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2001

Dargaud - 48 pages
17/20   Cours d'histoire et de sensualité...

    Ce duo d'auteurs a choisi de nous faire revivre la grande époque des derniers sultans et de leurs harems en Turquie.
Cette période qui occupe la fin du XIXe siècle et les années précédant la première guerre mondiale est symbolisée par la chute de l'empire Ottoman. La Turquie fera le mauvais choix en 1912 en s'alliant à l'Allemagne dans la Grande Guerre.

  L'histoire débute de nos jours. Kim Nelson décide de partir en Turquie à la recherche de ses origines et plus précisément de sa grand-mère. Elle a en sa possession quelques documents récupérés auprès de sa mère, dont une photo en noir et blanc du sultan Murati. Rapidement, elle fait la connaissance d'Ibram Malek qui semble avoir des éléments de réponse à ses interrogations sur le passé de sa famille. Il l'introduira auprès de Dame Fazila, un bordel où elle sera kidnappée par Kemal, une brute épaisse travaillant pour Amin Doman. Celui-ci est sur les traces de Murati. Ruiné et voulant faire perdurer l'honneur de sa famille, il est en quête du trésor amassé par le sultan et destiné à l'Allemagne à la veille du premier conflit mondial. Mais Ibram Malek portera secours à la jolie Kim. Fazila lui assurera une protection et lui donnera des indices supplémentaires sur un mystérieux individu nommé Ebu Sarki.
Parallèlement à ce récit, le lecteur suit la vie de Jade, la grand-mère de l'héroïne, favorite du sultan. Ce dernier reçoit en 1912 la visite diplomatique de l'Angleterre qui tente de désamorcer la situation de rapprochement entre Turquie et Allemagne. Le sultan utilisera Jade comme une redoutable arme contre les occidentaux.

  Le dessin de Miralles, aux couleurs chaudes, est très sensuel. Son trait est efficace et en même temps très soigné, les femmes sont extrêmement bien dessinées. La mise en couleur directe, loin de la froideur numérique d'une palette informatique, rajoute une touche de feu aux déserts de Turquie.
Le scénario, quant à lui, nous fait entrer dans une période de l'histoire intéressante et peu connue. Le lecteur ne sera pas noyé dans les références historiques mais il retiendra certainement quelques connaissances sur la création de l'État turque après la lecture de cet album.

[Critique publiée le 11/11/07]

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D J I N N   |   LES 30 CLOCHETTES (tome 2)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2002

Dargaud - 48 pages
18/20   Les secrets des harems

    Nous continuons de découvrir l'histoire de la Turquie à travers le monde des sultans et des harems.
Lord Nelson recherche sa femme, piégée dans le harem de Murati. Celle-ci, pour prouver son amour au sultan et à sa favorite, devra passer par un rituel nommé « les 30 clochettes ». Elle devra faire l'amour aux esclaves de Jade et les satisfaire au maximum pour, à chaque fois, perdre une clochette et être digne de connaître le sultan et donner du plaisir à ses invités. Les relations diplomatiques entre l'Angleterre et la Turquie, déjà rendues difficiles par la position de plus en plus arrogante des Hachémites à l'encontre des ottomans pour la domination du monde musulman, vont s'envenimer à cause de cette histoire d'adultère. Lord Nelson va poursuivre son enquête et pénétrer au cœur même du harem...
De son côté, la petite-fille de Jade, Kim Nelson, poursuit farouchement la route qui la mènera vers le mystérieux Ebu Sarki. Celui-ci demeure dans un harem contemporain, caché dans des montagnes abruptes et gardé par le peu recommandable Asherdan. Elle aussi devra suivre le fameux rituel et offrir son corps à autant d'inconnus qu'elle porte de clochettes à la taille. C'est donc ce parcours parallèle que nous découvrons entre Lady Nelson et Kim. La première le fait par amour, la seconde par détermination dans son enquête.

  C'est un second tome aux dessins très érotiques, très suggestifs. Ana Miralles sait restituer avec talent l'ambiance moite et humide de ces lieux très cloisonnés où le sultan jouissait de femmes regroupées par castes.
Le scénario révèle moins d'éléments et est plus pauvre en péripéties que dans le premier tome. Il reflète peut-être la lenteur de la vie qui s'écoulait dans les harems. Les transitions entre les deux époques restent encore une fois très soignées.

[Critique publiée le 11/11/07]

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D J I N N   |   LE TATOUAGE (tome 3)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2003

Dargaud - 48 pages
18/20   Complots et trahisons en Turquie

    Ce troisième tome renoue avec l'action et l'aventure.
Le sultan recherche sa favorite, Jade, enlevée par Lord Nelson. Les tensions entre Angleterre et Turquie s'intensifient à cause de ce scandale. Sir Hawkings, ambassadeur anglais, joue ses dernières cartes de diplomate afin d'apaiser ses relations avec le sultan Murati. Mais la fin de l'époque des harems est là et l'odeur de la poudre se fait sentir à la veille de la première guerre mondiale. Les jeunes turques, dominés par la figure d'Enver Pacha, se rapprochent de l'Allemagne et le sultan a fait le choix d'offrir son trésor au militaire germanique Von Henzig.
Kim Nelson, quant à elle, accède enfin au mystérieux Ebu Sarki qui lui fera de nombreuses révélations...
Les relations entre les protagonistes de cette épopée vont prendre une nouvelle tournure inattendue. Les amants, les traîtres, les hommes de pouvoir vont rentrer dans une danse infernale, une sema, à l'image de celle offerte par ce derviche tourneur à Kim. Les alliances, poursuites, trahisons, complots, scènes d'amour et de dissuasions vont offrir un rythme effréné à cet avant-dernier volume du cycle.

  Miralles excelle dans son dessin tout en aquarelle. Son trait est voluptueux et aérien, un vrai bonheur pour les yeux !

[Critique publiée le 16/11/07]

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D J I N N   |   LE TRÉSOR (tome 4)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2004

Dargaud - 48 pages
17/20   Vers un second cycle ?

    Ce tome clôt le premier cycle et met en scène la fin de l'époque des sultans.
Murati quitte la chaleur de son harem et son train de vie plein de sensualité permettant à Enver Pacha de prendre le pouvoir à la tête des nationalistes turcs. Le vieux sultan découvrira la traîtrise de Jade et de son fidèle Youssouf. Il ordonnera à ce dernier le soin de venger son honneur vis-à-vis de sa favorite partie avec les Nelson.
Kim Nelson, quant à elle, monte une expédition avec l'aide de Malek, Amin Doman et les finances de Dame Fazila. Les portes du désert vont enfin s'ouvrir sur un décor quelque peu surréaliste et rempli de mystère. Jade aussi accèdera au cœur du secret renfermant le trésor du sultan.

  Un peu déroutante cette fin de cycle... Généralement, un cycle en bande dessinée se termine par les réponses aux questions posées au cours des différents albums (c'est le cas dans la série Tramp par exemple). Les énigmes sont résolues, les mystères sont démêlés. Bref, tout concorde et forme une unité scénaristique. Or ici, bien que le cycle se tienne parfaitement, la dernière page ouvre sur de nouvelles interrogations, de nouveaux horizons. Ainsi, le lecteur aimerait en savoir davantage sur ce fameux trésor, son transfert en Angleterre par le mystérieux trafiquant Nouredim ou encore l'identité de Mr Prim. Une fin qui, sans mauvais jeu de mots, laisse donc un petit peu sur sa faim. Espérons que les cycles suivants apporteront les quelques réponses tant attendues...
En ce qui concerne le dessin de Miralles, le talent est encore une fois au rendez-vous. C'est lumineux et envoûtant.

[Critique publiée le 27/11/07]

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D J I N N (hors-série)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2004

Dargaud - 48 pages
18/20   Pour les inconditionnels du trait de Miralles

    Ce hors-série conclut en beauté le premier cycle de la série Djinn.
Pour la partie texte, c'est Jean Dufaux qui s'y colle. Il nous explique la naissance de cette histoire, sa rencontre avec la dessinatrice Ana Miralles. On découvre le processus de création d'une aventure à cheval sur deux époques, sur deux femmes. D'un côté, Jade, à l'époque des derniers sultans, qui va perdre peu à peu sa froideur et trouver l'amour auprès de Lord Nelson. De l'autre, Kim, sa petite-fille à notre époque contemporaine, qui va s'endurcir au cours de la quête de ses origines. Elle perdra son innocence et sa chaleur pour devenir une véritable Djinn.
Travailler à deux demande beaucoup de communication pour éviter quelques malentendus (dont un exemple nous est fourni ici).
Dufaux nous donne un éclairage très cinématographique de sa tâche de scénariste. Il imagine des acteurs que Miralles mettra en scène sous son crayon magique. Il prouve également l'importance de son travail avec une femme sur un sujet délicat qui concerne, justement, les femmes et leurs corps en particulier. Cette sensibilité féminine lui a permis d'éviter bien des écueils et des clichés...
De longues recherches de documentation sur l'histoire, la géographie ou les costumes en Turquie sont nécessaires pour mener à bien un travail crédible.
Ce tome est bien sûr illustré par de nombreux dessins de l'espagnole Miralles : des croquis, des aquarelles, des projets de couverture, ... Un portfolio clôt le tout démontrant une fois de plus son immense talent. À dévorer avec les yeux !

[Critique publiée le 04/12/07]

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D J I N N   |   AFRICA (tome 5)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2005

Dargaud - 48 pages
17/20   La perle maudite de la déesse Anaktu

    Ce nouveau cycle de Djinn se déroule en Afrique noire où se rendent Jade, Lady et Lord Nelson devenus riches grâce à la prise du trésor ottoman initialement destiné à l'Allemagne à l'orée de la première guerre mondiale. Le trio voyage ainsi sur le continent africain après avoir laissé la fille de Jade et Lord Nelson, future mère de Kim, en Angleterre.
Leur destin va cependant basculer dans cette terre de mythes et de légendes à cause de la perle noire que Jade porte à son oreille. Ce bijou, issu du trésor, constitue en effet l'une des pièces manquantes de la statue symbolisant la déesse africaine ancestrale Anaktu.
Identifiée par la boucle d'oreille, la Djinn est alors vue comme l'incarnation de la divinité par la tribu des Orushi...

  Le récit est habilement découpé avec divers flashbacks et débute par une scène ultérieure à l'identification de la perle noire : l'attaque du bateau affrété par Jade et les Nelson pour remonter un fleuve. Elle est racontée par un colon anglais, Charles Augery, qui découvre les cadavres de l'équipage et Lady Nelson choquée et abandonnée. Celle-ci rapporte sa version des faits dont l'enlèvement de son époux et de Jade. Cette dernière, capturée par les Orushi, est promue à devenir le symbole d'un peuple qui part sur le sentier de la guerre pour chasser l'homme blanc avide, en cette époque, de se partager le gâteau africain.

  Loin des effluves parfumés et des décors raffinés des harems turcs, ce nouvel album conduit nos trois personnages au cœur du berceau de l'humanité, dans une Afrique intemporelle marquée par ses mythes, ses rois et ses croyances millénaires.
Ici, l'érotisme n'existe pas, les corps sont souvent déjà nus et les pulsions de violence et de sexe ne s'embarrassent pas de préliminaires. Les auteurs dressent un portrait rude et brute de ce continent splendide où les décors de jungle sont autant de voiles sur les corps et leurs secrets...
La critique du colonialisme apparaît bien sûr en filigrane à travers l'arrogance des blancs, dont celle du directeur de cirque Tiger Thompson, et leur volonté fiévreuse de tout accaparer.

[Critique publiée le 10/05/20]

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D J I N N   |   LA PERLE NOIRE (tome 6)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2006

Dargaud - 48 pages
16/20   Kim remue le passé africain

    Voici le deuxième volume du cycle africain. Il est consacré à Kim Nelson, la petite-fille de Jade, comme l'annonce son portrait sur la couverture.
Elle révèle être allée en Inde suite à son aventure en Turquie. Là, elle a rencontré la fille du maharajah d'Eschnapur qui, au lieu de lui révéler l'emplacement du trésor tant convoité, lui a seulement demandé si elle avait la perle noire en sa possession. Un voyage dans le temps permet alors de comprendre la raison de cette requête : cette enfant de douze ans est victime d'une malédiction que seul l'élixir contenu dans la boucle d'oreille peut lever. Ainsi, la personne qui la lui offrira connaîtra en échange l'emplacement du trésor...

  Kim se rend alors en Afrique sur les traces de la Djinn.
Son enquête sur les croyances et les légendes liées à la tribu des Orushi auprès de Mister Mô la convainc de la présence de la perle noire sur l'idole représentant la déesse Anakatu. Pour monter une expédition, elle se dévoile à nouveau, au sens propre comme figuré, et brave l'inconnu portée par cette forte conviction héritée de son aïeule.
Guidée par les mystérieux frères jumeaux Kunawa ainsi que Jagger, un aventurier blanc grand connaisseur de l'Afrique profonde, Kim se lance sur les traces de Lady Nelson et Charles Augery qui étaient eux-mêmes partis à la recherche de Jade et Lord Nelson à leur époque. De cette expédition, la légende raconte que seul un homme blanc à la main tranchée était revenu avant de succomber à ses blessures...

  Cet album marie à nouveau adroitement période du passé et époque contemporaine dans une ambiance vaudou particulièrement prégnante. Les ambiances lascives et l'érotisme des harems ont laissé place à l'action et l'énergie de Kim qui remue ciel et terre pour glaner les indices pouvant la mener au trésor.
L'image de l'Afrique actuelle est aussi bien présente avec l'apparition du dirigeant Zymba Motta représenté en chef despotique régnant sur sa population à coup d'oracles et de croyances ancestrales.
La perle noire annonce aussi une grande nouvelle : la préparation d'un troisième cycle se déroulant en Inde et situé entre le turque et l'africain !

[Critique publiée le 10/05/20]

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D J I N N   |   PIPIKTU (tome 7)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2007

Dargaud - 48 pages
18/20   Au cœur de l'Afrique noire

    L'expédition de Miranda Nelson et Charles Augery est ici détaillée. Tous deux partent sur les traces de Jade et Harold Nelson capturés précédemment par la tribu des Orushi.
Le contexte politique est devenu très tendu à cause des Orushi galvanisés par Jade en qui ils voient la réincarnation de la déesse Anaktu et prêts à fédérer différentes tribus pour mettre l'homme blanc dehors.
Peu méfiante face aux volontés d'indépendance des africains, Lady Nelson fait preuve d'une arrogance toute coloniale en invectivant publiquement le roi de l'une des tribus. La sanction est terrible car la jeune femme est capturée pour être égorgée sans procès ! Les auteurs font alors un aparté de quelques pages afin de raconter la rencontre du couple Nelson dans le calme de la campagne aristocratique anglaise, loin de la folie meurtrière africaine.
La Djinn, elle, est sous l'emprise d'un sorcier qui la drogue. Cet état second entretient le mythe de la déesse en elle et pour les hommes des tribus en guerre. Symbole de puissance, Anaktu offre son corps à chaque soldat dans un rite initiatique sexuel.
Lord Nelson voyant désormais en Jade un démon décide de la supprimer...

  Le cycle africain est à son apogée à travers cet album violent et cruel. Le sang coule pour les Nelson et leur destin est irrémédiablement mis en jeu.
Les tribus africaines exposent les corps tatoués, les muscles bandés et les lances dressées contre l'ennemi européen. Le lecteur voyage au cœur de l'Afrique noire au son des tam-tams et sous le regard féroce des sorciers.
Ana Miralles juxtapose le noir de la nuit où tout se joue, l'ocre des flammes et le rouge carmin du sang dans de magnifiques cases en clair-obscur. La double-page suggérant la longue offrande du corps de Jade aux soldats symbolisée par les lances plantées à l'entrée de sa case est un modèle de narration basé sur l'utilisation de l'ellipse.

  Jean Dufaux, quant à lui, écrit une histoire qui répond aux nombreuses questions posées dans les deux tomes précédents et qui assure ainsi la cohérence générale du cycle.

[Critique publiée le 10/05/20]

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D J I N N   |   FIÈVRES (tome 8)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2008

Dargaud - 48 pages
18/20   Jade met le feu à la poudrière

    Le parcours de Kim sur les traces de la Djinn se poursuit. En compagnie de Jagger et des frères Kunawa, elle découvre notamment l'arbre auquel Lady Nelson a été ligotée avant d'être assassinée.
Mais la jeune femme est elle aussi en danger. Zymba Motta, archétype du tyran africain, a eu vent de l'expédition visant à retrouver la perle noire et ne voit pas d'un bon œil cette profanation des mythes anciens de son pays. L'un de ses hommes, Suwani, s'infiltre dans l'équipée de Kim...

  Parallèlement, l'épopée africaine de son aïeule Jade continue.
Kemono, puissant guerrier de la tribu des Orushi, la libère du joug du sorcier qui la droguait à son insu. Peu à peu, elle se libère du poids de son titre de déesse Anaktu et rallume l'étincelle de la guerre entre les différentes tribus, provoquant l'embrasement de tout le territoire par le feu, la violence et le sang.
Charles Augery, en fuite, rejoint le quartier général des colons qui sont sur le pied de guerre face à la situation tendue avec les autochtones. Mais une altercation avec le détestable Tiger Thompson a pour conséquence sa détention dans des baraquements où les noirs sont parqués par les blancs. L'aventurier y retrouve la belle Ebony et lui offre la fameuse perle noire...

  Cet album est violent. Les morts se comptent en grand nombre au sein des charniers résultant des affrontements tribaux. Le racisme est également très présent envers les noirs.
Jean Dufaux fait progresser efficacement l'histoire et nous livre de nombreux éléments importants pour la suite et la compréhension générale des cycles africain et aussi indien.
La dessinatrice espagnole soigne ses décors de jungle mêlant végétation et fleuve dans de jolies aquarelles. Elle a réalisé une fois de plus d'énormes recherches sur les costumes, habits et parures recouvrant ses personnages. Quant aux visages qu'elle peint, ils sont souvent éblouissants ; je pense en particulier à ceux de Jade (en page 38) et d'Ebony.

[Critique publiée le 10/05/20]

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D J I N N   |   LE ROI GORILLE (tome 9)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2009

Dargaud - 48 pages
18/20   Le rêve de Kim devient réalité

    Ce dernier album du cycle africain débute par une vision irréelle : Kim, au bord d'un fleuve, voit Jade sur la berge opposée. Jade serait-elle devenue immortelle ?
L'histoire ici contée nous détaille la fin du parcours de la Djinn devenue reine des tribus et négociatrice avec les colons blancs. Afin de ramener la paix en Afrique noire, Jade refait vivre la légende du Roi Gorille. Accompagnée de Kemono et de ses hommes, elle s'enfonce dans la jungle pour rejoindre le territoire des primates.
De son côté et quelques décennies plus tard, Kim Nelson, guidée par le moine Ortegaz, atteint la fin du chemin initiatique vers la perle noire. Elle la trouve dans un endroit bien surprenant et conclut en disant avec philosophie à son acolyte Jagger : « C'est toujours ainsi avec les vieux rêves, Jagger. Ils ne se cachent pas. Ils attendent simplement qu'on les mérite. »
Cependant, le despote Zymba Motta cherche coûte que coûte à récupérer le bijou par l'entremise de son homme de main Suwani. De sa possession dépend en effet son couronnement prochain ; lors d'une cérémonie publique, il devra remettre la perle noire à celui qui entend la voix des dieux, l'oracle Ashavi.

  Les aventures en Afrique se terminent pour Jade et Kim, nos deux belles héroïnes. Une fois de plus, comme dans le dernier tome du premier cycle, le mystérieux Mr Prim apparaît avec des billets pour un voyage vers l'Inde.
La découverte de la perle noire m'a fait penser à celle du trésor de Rackham le Rouge par Tintin et le capitaine Haddock. Les longues quêtes nous ramènent parfois au point de départ...

  Avant de renouer avec l'ambiance feutrée des palais, Ana Miralles se fait une dernière fois plaisir avec la nature sauvage et ses arbres majestueux, les corps nus et musclés des guerriers, une pleine page représentant Jade conquérante ou encore cette foule portant des tuniques bigarrées lors du couronnement de Zymba Motta.
Le scénariste Jean Dufaux distille quant à lui quelques messages en dénonçant la triste réalité du trafic d'organes dans les pays pauvres du continent noir ou en critiquant l'arrogance des blancs lors de la colonisation : « Le calme reviendra lorsque le noir croira en la parole du blanc. »
Il fait aussi l'apologie de la différence : « Ce qui est différent nous paraît toujours monstrueux. Alors que c'est notre attitude envers la différence qui est monstrueux. »
Enfin, rappelons la présence d'un préambule dans chaque tome à travers un texte toujours soigné de Dufaux. Ici, il est plus que jamais poétique et engagé et montre le réel investissement des auteurs dans cette magnifique série.

[Critique publiée le 10/05/20]

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D J I N N (hors-série 2)   Ana Miralles / Jean Dufaux - 2009

Dargaud - 48 pages
17/20   Secrets de fabrication

    Ce nouveau hors-série vient clore le cycle africain.
Il est introduit par une lettre de la dessinatrice Ana Miralles qui s'apprête à dessiner de nouveau des intérieurs de palais et des drapés colorés pour le futur cycle se déroulant en Inde.
Le reste du texte est signé Jean Dufaux.
Ce dernier donne notamment sa vision de l'architecture générale de la série Djinn : un cycle africain au centre d'une arche maintenue par deux piliers constitués par les cycles ottoman et indien. Les albums se déroulant sur le continent noir sont violents, rudes et sanguinaires alors que les tomes gravitant autour sont davantage chaleureux, doux et sensuels. Il suffit de penser à ces images de Jade, à moitié nue, lovée dans des sofas au cœur de palais à l'architecture fine et délicate. On imagine volontiers de voluptueux parfums se diffusant dans cette ambiance suave, propice au repos et au lâcher-prise.

  L'auteur du scénario livre également pour chaque tome du cycle écoulé des anecdotes, questionnements ou difficultés qu'il a pu rencontrer. Ainsi, malgré le fait que les couvertures soient l'un des points forts de la série, il avoue que celle du second tome est faible et tente d'en expliquer les raisons. Il dit également beaucoup apprécier le troisième volume de de cycle.
Jean Dufaux raconte en outre, avec son talent habituel, le voyage qu'il a effectué avec l'éditeur Yves Schlirf à Santander en Espagne chez la dessinatrice et son compagnon Emilio Ruiz. Ce dernier a d'ailleurs un rôle non négligeable puisqu'il numérise et assemble les différentes cases réalisées par Ana dans la mise en page finale que le lecteur découvrira en tenant son album entre les mains.
La distance géographique entre le scénariste et la dessinatrice reste l'une des particularités de cette série car les deux artistes se sont finalement assez peu rencontrés physiquement au cours de cette aventure éditoriale.

  Enfin, une chose importante voire fondamentale est rappelée pour ceux qui n'en ont pas conscience : le trésor de Djinn réside dans ses planches originales. Chacune d'elles est réalisée à l'aquarelle et peut demander des jours entiers de travail minutieux. Le rendu final qui apparaît dans une bande dessinée n'en est qu'une réplique affadie par les techniques de numérisation et d'impression. Il suffit de regarder une vraie aquarelle d'artiste pour prendre conscience de son éclat, sa vibration et sa lumière...

[Critique publiée le 10/05/20]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LA MARQUE JAUNE (tome 6)   Edgar P. Jacobs - 1956

Blake & Mortimer - 70 pages
20/20   Un album mythique !

    Le récit débute par une sombre nuit à la Tour de Londres où les soldats de la garde découvrent avec stupéfaction le vol de la couronne impériale. Pourtant étroitement surveillée, celle-ci s'est évaporée ; seul un mystérieux « M » tracé à la craie jaune demeure désormais dans la salle du trésor.
Sous la pression du gouvernement, le capitaine Blake est sollicité pour mener l'enquête. Il s'adjoint alors les services de son ami Mortimer.
Malheureusement, les méfaits de la Marque Jaune ne s'arrêtent pas là : le professeur de médecine Vernay est enlevé en sortant d'une soirée au Centaur Club avec nos deux héros ainsi que d'autres sommités. Ces dernières, composées du rédacteur en chef Macomber, du juge Calvin et du psychiatre Septimus, se volatilisent également sans laisser de trace.

  Tandis que Blake s'efforce de faire avancer l'enquête avec Scotland Yard, le professeur Mortimer fouille dans les archives du Daily Mail à la recherche d'une ancienne affaire liant les quatre personnalités disparues. Son intuition s'avère juste lorsqu'il découvre la polémique qui a entouré la publication du livre The Mega Wave une trentaine d'années plus tôt. Son auteur, le Docteur Wade, avait été assassiné par la critique et ses théories sur le contrôle du cerveau humain rendues farfelues par la communauté scientifique.
La clé du mystère réside dans cet ouvrage et Mortimer est le premier à comprendre qui se cache derrière la Marque Jaune. Malheureusement, durant ce temps, son ami Blake est tombé dans un terrible traquenard tendu par la mystérieuse créature dans le brouillard des docks londoniens...

  Cet album de Blake et Mortimer est considéré comme une référence absolue en matière de bande dessinée franco-belge.
Le scénario est parfaitement huilé, équilibré et plonge le lecteur dans la brume de Londres, ce qui confère encore davantage de mystère au diabolique personnage qui sévit de façon surhumaine aux quatre coins de la cité britannique.
À noter que Jacobs a été influencé par le cinéma expressionniste allemand du début du XXe siècle qui est à l'origine des genres fantastique et horreur dans le 7ème art. Septimus est l'archétype même de l'être maléfique maintes fois représenté à cette époque au cinéma. Je pense au savant fou dans Frankenstein ou au meurtrier dans M le maudit notamment.

  Côté graphique, que dire ? C'est de la dentelle.
Le maître belge excelle dans sa représentation de Londres. Sa documentation rigoureuse sur les lieux visités par les différents personnages de l'histoire en est l'une des raisons. Le dessin est clair et précis, les décors et automobiles soigneusement retranscrits. Le déplacement des personnages dans une scène, les dialogues, les costumes rappellent évidemment la dimension théâtrale qui anime l'auteur, ancien baryton à l'opéra de Lille, lorsqu'il dessine.
La Marque Jaune est un modèle de fluidité dans la lisibilité et de rythme parfait du scénario. Sans compter l'ambiance incroyable et le charme indémodable que ce chef-d'œuvre renfermera toujours...

[Critique publiée le 03/09/17]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   L'ÉNIGME DE L'ATLANTIDE (tome 7)   Edgar P. Jacobs - 1957

Blake & Mortimer - 64 pages
20/20   Une épopée grandiose

    Philip Mortimer s'est rendu aux Açores afin d'y passer quelques semaines dépaysantes.
Fasciné par la légende de l'Atlantide qui raconte que l'île de São Miguel est en réalité le sommet émergé d'un continent englouti, le professeur se laisse tenter par quelques randonnées d'exploration. Sa curiosité est récompensée par la découverte d'un minerai luminescent et radioactif dans un lac souterrain au cœur de la vallée volcanique de Furnas.
Il avertit son ami Francis Blake qui ne tarde pas à le rejoindre. Malheureusement les deux hommes ne se doutent pas que, pendant leurs retrouvailles à l'aérodrome de Santana, leur légendaire ennemi Olrik a pénétré dans la villa de Mortimer pour y dérober la précieuse pierre. Aux mains d'une puissance étrangère, le bandit ne peut cependant commettre son forfait car un être à l'allure étrange le neutralise avec une arme inconnue d'où jaillit un faisceau lumineux avant de s'envoler à bord d'un vaisseau rapide comme l'éclair...
Résolu à mettre tout cela au clair, Mortimer invite Blake à reprendre sa dernière expédition souterraine en allant notamment au-delà du fameux lac souterrain. Accompagnés d'un guide, ils commencent à nouveau la descente dans les entrailles de la terre sans se douter du piège qui les attend et de l'incroyable monde qu'ils vont découvrir...

  L'énigme de l'Atlantide est une bande dessinée incontournable.
Ce classique du 9ème art tient ses multiples promesses à travers la richesse de son histoire et des possibles qu'elle explore. Le mythe de Platon allié au Voyage au centre de la terre de Jules Verne s'épousent pour nous faire rêver à un monde imaginaire où l'aventure et l'action sont mises en scène de main de maître par le grand Jacobs.
Olrik le renégat est évidemment de la partie, plus théâtral que jamais, tandis que nos deux héros britanniques parcourent l'Atlantide jusqu'à ses confins pour tenter d'y déjouer le complot orchestré par Magon, le capitaine de la garde, visant à renverser l'ordre paisible et pacifique assuré par le basileus à la tête du royaume.

  Les premières pages sont époustouflantes ; qui n'a rêvé de descendre sous terre, de s'enfoncer toujours plus loin, de découvrir des passages souterrains inviolés ? Le suspense est haletant tant les personnages semblent s'éloigner à chaque instant d'un quelconque retour à l'air libre !
La suite, située entre la moderne capitale Poséïdopolis et les confins barbares de l'empire atlante laisse peu de répit au lecteur. Le propos est dense, les textes verbeux comme Jacobs sait si bien le faire, les péripéties nombreuses. Plus que jamais, la passion de l'auteur pour l'opéra et le théâtre transparaît à travers des atlantes aux costumes bigarrés et aux uniformes seyants.
Et ce qui m'a toujours fasciné chez cet auteur sont ses décors. Même Mortimer, pourtant empêtré dans une situation dangereuse, clame en observant le paysage qui s'offre à lui « Bon sang ! Quel décor ! », donnant presque l'impression qu'il est au même niveau que le lecteur : abasourdi par l'univers imaginé par son créateur.
Les montagnes, les ravins, les failles, les chaos de rochers, les arches, les forêts paléozoïques, la mer et les temples barbares engloutis sont autant de supports fertiles à l'imagination. Voilà peut-être le seul auteur de bande dessinée qui m'a toujours donné envie de visiter, de m'enfoncer dans les arrière-plans de ses vignettes. Étrange sensation née de ces atmosphères mystérieuses dignes des gravures du 19ème siècle chères à Jules Verne... Tout ne peut s'expliquer et cela est la preuve, à mes yeux, que la magie Jacobs existe bel et bien.

[Critique publiée le 10/03/23]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LE PIÈGE DIABOLIQUE (tome 9)   Edgar P. Jacobs - 1962

Blake & Mortimer - 64 pages
15/20   Le voyage dans le temps

    Philip Mortimer reçoit un courrier d'un notaire l'informant qu'il hérite d'une vieille maison située dans le village de la Roche-Guyon à environ soixante kilomètres de Paris. C'est le savant fou Miloch qui est à l'origine de cette succession et, malgré les inquiétudes de son ami Francis Blake, le professeur Mortimer décide de se rendre sur les lieux où l'attend une incroyable invention : Miloch, avant de mourir, a conçu une machine à voyager dans le temps baptisée le Chronoscaphe !
Selon lui, le célèbre inventeur de l'Espadon est la seule personne digne d'en hériter...

  Fidèle à sa curiosité et son goût pour l'inconnu, Mortimer pénètre dans la capsule et suit les recommandations précises que Miloch avait pris soin d'enregistrer avant de disparaître.
Le processus de voyage dans le temps est malheureusement assez brutal et le physicien ne parvient pas à régler précisément le sélecteur temporel. Il va ainsi se retrouver projeté dans trois époques bien éloignées les unes des autres et du présent : la préhistoire, le Moyen Âge et le futur.

  Cent cinquante millions d'années avant notre époque, le scientifique britannique est plongé dans un décor exotique où la faune et la flore le laissent ahuri mais aussi terriblement vulnérable.
Puis, c'est l'incursion en pleine guerre de Cent Ans où, accusé d'être à la solde des anglais, il n'a d'autre choix que de fuir le plus rapidement possible la barbarie qui l'entoure.
Enfin, et c'est le séjour temporel le plus long, notre héros se retrouve propulsé au LIe siècle ! Coincé dans un monde souterrain en ruine, il est secouru par un groupe de résistants. Il apprend alors auprès du docteur Focas, chef du mouvement mondial de libération, que l'humanité s'est effondrée au cours d'une guerre nucléaire et bactériologique à la fin du XXIe siècle. Depuis, malgré des mouvements de révolte, les hommes sont sous la domination d'une caste d'élus qui ont asservi le monde entier.
Perçu par certains comme une apparition prophétique, Mortimer déclenche malgré lui un soulèvement total à l'échelle cosmique visant à libérer l'humanité du joug établi.

  Edgar P. Jacobs s'attaque ici au voyage dans le temps, sujet ô combien mythique en science-fiction.
Il parvient dans un même album à livrer une histoire complète mélangeant différentes époques et comportant des rebondissements jusqu'aux toutes dernières pages.
Le bémol est évidemment qu'il ne peut entrer en profondeur dans chaque sujet. La partie se déroulant en l'an 5060 aurait notamment mérité davantage de pages. L'action est parfois très condensée et la riposte organisée par le professeur trop sommairement détaillée. Je pense en particulier à la remise en service du réacteur nucléaire assez peu crédible.
Du côté du casting, Mortimer est la vedette ; Blake est quasi-inexistant tandis qu'Olrik est totalement absent, ce qui n'empêche pas la mise en scène de nouveaux individus nuisibles et félons.
La qualité graphique est incontestablement au rendez-vous avec certaines cases devenues iconiques qui plongent le lecteur dans des mondes à la fois modernes et surannés. Sans compter ces univers souterrains que Jacobs a toujours aimé représenter dans son œuvre.

[Critique publiée le 10/03/23]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LA MACHINATION VORONOV (tome 14)   André Juillard / Yves Sente - 2000

Blake & Mortimer - 62 pages
18/20   Scénario subtil autour de la guerre froide

    L'action se situe en 1957, en pleine guerre froide. Russes et américains se livrent une course sans merci dans la conquête de l'espace afin de démontrer, chacun, leur suprématie.
Sur la base soviétique de Baïkonour, le professeur Ilioutchine s'apprête à lancer une fusée. Malgré une pluie de météorites pouvant compromettre gravement l'expérience, il doit céder aux ordres militaires du général Oufa et faire procéder au décollage. L'engin entre en collision avec les particules extraterrestres et retombe au sol. Malheureusement, il a subi une contamination et l'équipe chargée de récupérer les débris est mystérieusement décimée par une maladie fulgurante.
Un nouveau virus est identifié : la « bactérie Z ». Le professeur Voronov, chef de la clinique du KGB de Baïkonour, est chargé d'analyser le virus ainsi que de le détruire. Nourrissant de noirs desseins, il conserve la bactérie. Nostalgique de la grande époque de Staline, il compte profiter du climat tendu entre ouest et est pour affaiblir le pouvoir russe actuel et purifier les maîtres du Kremlin. La « bactérie Z » est ainsi une redoutable arme qui lui permet d'assassiner lâchement des hommes influents dans les deux blocs.
Son assistante, Nastasia Wardynska, est une espionne travaillant pour la couronne britannique. Les services secrets mettent aussitôt Blake sur l'affaire. Celui-ci utilise son ami, le professeur Mortimer, pour le couvrir lors d'un déplacement en Russie à un colloque scientifique. L'agent Wardynska fera tout pour faire sortir un échantillon de la bactérie de son pays afin que les scientifiques anglais mettent au point un vaccin préventif en cas de contamination à grande échelle.
Blake et Mortimer devront faire preuve de discrétion et de diplomatie pour ne pas ébruiter cette affaire qui risquerait bien d'aggraver les tensions entre USA et URSS. Ils découvriront également que la folie meurtrière du docteur Voronov est cautionnée par leur immortel ennemi : Olrik.

  Cette première reprise des personnages de Jacobs par le duo Sente/Juillard est une grande réussite. Le dessin est élégant, à l'image du dessinateur. Le scénario est bien ficelé, riche en événements et réserve au lecteur un dénouement original. Il nous plonge dans les arcanes des services de contre-espionnage durant la guerre froide. On sent une tension extrême, tout le monde se surveille sans jamais toucher vraiment l'autre. Les agents occidentaux et communistes sont infiltrés dans tous les pays. Les soupçons sont de mise dans les lieux stratégiques. L'histoire autour de Voronov est bien dosée, méticuleusement construite, équilibrée et sans temps mort. Un vrai plaisir !
André Juillard s'est par ailleurs amusé à glisser quelques clins d'œil dans ses dessins. Ainsi, à Liverpool, Mortimer rencontrera Paul McCartney, alors tout jeune et inconnu du public. Une référence à Tintin et l'album Le sceptre d'Ottokar est glissée dans un restaurant. Enfin, difficile à découvrir il faut l'admettre, le bateau que doit prendre Olrik pour fuir est la réplique du Baltisky. Ce bateau poubelle est resté pendant de longs mois dans le port de Tréguier (où Juillard possède une maison), avec à son bord un équipage russe. Les bretons ont montré une grande solidarité pour aider les matelots à vivre au quotidien. Le Baltisky a finalement été découpé et sa ferraille vendu au Portugal.
Finalement, le seul point négatif de cette BD est maigre : la couverture de la première édition est peu engageante tant le dessin présenté est inesthétique. L'édition suivante bénéficiera heureusement d'une couverture à la hauteur du contenu de qualité.

[Critique publiée le 19/05/08]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LES SARCOPHAGES DU 6È CONTINENT (tome 16)   André Juillard / Yves Sente - 2003

Blake & Mortimer - 56 pages
17/20   La jeunesse des héros

    La menace universelle, premier tome d'un nouveau diptyque, nous plonge avec surprise dans la jeunesse de Blake et Mortimer.
Avant sa rentrée universitaire, Philip Mortimer profite de ses vacances pour rendre visite à ses parents installés en Inde où lui-même est né. Au début du XXe siècle, l'Inde, colonie britannique, est la proie de manifestations tantôt violentes (organisées par des extrémistes), tantôt pacifiques (à l'image de Gandhi) visant à lui donner son indépendance. Dans ce climat tendu, Mortimer retrouve difficilement ses repères d'enfance et son ancien ami indien Sushil le met à plusieurs reprises en garde.
Prônant l'indépendance, Açoka, un ancien et mystérieux empereur indien revenu de la mort après plus de deux mille ans, rassemble les foules dans des réunions nocturnes. Malgré le danger, Mortimer y assiste et fait la connaissance de la fille de l'empereur, ravissante jeune indienne dont il tombe vite amoureux. Entre temps, le futur professeur a fait la connaissance d'un jeune anglais, Francis Percy Blake, pour qui il est intervenu dans une rixe opposant le blanc à un violent indien.
La jeune et belle indienne, suite à un malheureux malentendu, se suicidera par chagrin d'amour. Son père accusera Mortimer de cette fin tragique. Choqué par cet accident, puni par son propre père, notre héros, attristé, repart pour Londres et le début de ses études scientifiques.

  1958, Bruxelles. Philip Mortimer est responsable du pavillon de la British Industry qui représentera l'Angleterre à l'Exposition Universelle. À l'occasion de cette manifestation et en pleine guerre froide, de nombreux pays vantent leurs découvertes, ressources et créations technologiques aux yeux du monde.
Le pavillon anglais relève le défi d'ouvrir une liaison en temps réel avec le continent Antarctique pour capter en direct le « pouls » du 6ème continent. Près de la base polaire anglaise de Halley, une autre équipe, indienne, nourrit des ambitions bien plus noires. À la tête de cette organisation tiers-mondiste se tient le mage indien Açoka qui souhaite rassembler les anciennes colonies ou celles sur le point de devenir indépendantes autour d'une nouvelle arme qui prouvera aux pays riches que la fin de leur hégémonie est toute proche. Cette arme est capable de créer de fortes perturbations électromagnétiques en utilisant les impulsions bioélectriques d'un cerveau humain. Le cobaye de cette machiavélique expérience orchestrée par les indiens alliés aux russes ne sera autre que le colonel Olrik, sorti du goulag soviétique où il était enfermé suite à l'affaire Voronov.
Mais le MI-5 veille et les renseignements du fidèle Nasir seront précieux à Blake venu rejoindre son ami sur les lieux de l'événement belge. Les deux compères découvriront également, grâce à Mukeba, un trafic d'uranium piloté par le pavillon congolais et à destination de l'Antarctique afin d'alimenter la nouvelle arme de l'empereur.
Ayant rassemblé toutes les pièces de ce puzzle géopolitique menaçant la sécurité des peuples, Blake, Mortimer et Nasir décident de se rendre rapidement sur la base scientifique britannique polaire pour tenter d'arrêter l'inconcevable.

  Deuxième exercice du premier tandem post-Jacobs, cette bande dessinée est excellente : le dessin est précis, le scénario est limpide et très riche en événements.

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LES SARCOPHAGES DU 6È CONTINENT (tome 17)   André Juillard / Yves Sente - 2004

Blake & Mortimer - 56 pages
13/20   Une fin un peu grotesque

    Blake et Mortimer, accompagnés de Nasir, atteignent enfin le continent Antarctique. Ils ont pour but de neutraliser les individus malveillants qui provoquent à distance une crise diplomatique dans l'Exposition Universelle de 1958 à Bruxelles.
Le courageux Nasir va ainsi prendre la place de l'émissaire chargé d'apporter des réserves d'uranium vers la base de Gondwana, repère du complot tiers-mondiste. De leur côté, en arrivant à la base britannique de Halley, nos deux héros tombent dans un piège organisé par les terroristes indiens. Mortimer est capturé et conduit à la base de Gondwana. Il découvrira un Olrik transformé en cobaye pour l'utilisation de l'arme qui menace le monde occidental, tout cela orchestré par le redoutable et immortel empereur Açoka.
Blake, quant à lui, réussira à prendre la fuite à travers le blizzard et atteindre la base scientifique française où travaille le météorologue Labrousse. Celui-ci met au point les derniers préparatifs de sa nouvelle invention : le Subglacior, un sous-marin capable de se mouvoir dans la glace du continent gelé.
Blake et Labrousse décident donc de profiter de ce moyen de transport inédit et discret pour attaquer la base où sévit Açoka...

  Après un premier tome très convaincant et passionnant, ce deuxième épisode ne tient pas du tout ses promesses. Le dessin reste élégant et Juillard a fait un brillant travail une fois de plus. Certaines cases sont d'ailleurs magnifiques et reflètent bien l'esprit jacobsien, tant au niveau du trait que des couleurs.
En revanche, le scénario est bâclé. Il est mal agencé et ne forme pas une unité. Tout se tient correctement mais il n'y a pas une harmonie globale. Par conséquent, c'est lourd à lire. Avant de dessiner cette nouvelle aventure, Sente aurait dû davantage travailler la lisibilité de l'ensemble. Est-ce les impératifs commerciaux qui ont provoqué une telle négligence ?
D'autre part, comme l'ont souligné un grand nombre de critiques, cet album recèle quelques situations tordues. Ainsi, où Blake trouve-t-il une boîte de sucre en plein Antarctique pour amadouer une meute de chiens ? Comment a-t-il le temps de les atteler, de détacher celui qui a été blessé au cours d'une course-poursuite avec les russes ? L'arrivée du Subglacior dans la base d'Açoka, juste dans un endroit bien dégagé et propre, paraît un peu bizarre également... Enfin, le lecteur reste un peu sur sa faim quant à cette histoire de sarcophage qui permet de faire voyager un cerveau virtuel par les ondes radio. Tout cela est vraiment rocambolesque. La cerise sur le gâteau est la façon dont est révélée l'identité de l'empereur Açoka. L'idée est bonne mais la mise en scène de ce moment clé est un peu grotesque.

  Bref, après une mise en bouche passionnante sur un sujet beaucoup plus risqué (la jeunesse de Blake et Mortimer), Le duel des esprits casse l'élan à cause d'un scénario qui veut en faire trop et qui finit par devenir indigeste.
À noter : la couverture absolument horrible et la pire de toute la série !

[Critique publiée le 25/04/08]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LE SANCTUAIRE DU GONDWANA (tome 18)   André Juillard / Yves Sente - 2008

Blake & Mortimer - 56 pages
11/20   Scénario navrant de Yves Sente

    Blake et Mortimer, la série culte de Jacobs, est à nouveau reprise par le duo Sente et Juillard.
C'est en Tanzanie cette fois-ci, dans la région du Tanganyika, que nos deux héros nous entraînent. L'ancienne colonie britannique permet une belle incursion dans le mystérieux continent africain avec des décors de savane à faire rêver...
Mortimer, lors du diptyque précédent, a rapporté une étrange roche d'Antarctique. Il est également revenu à Londres en proie à de terribles maux de tête et à de perturbantes pertes de mémoire. Avec l'aide de l'archiviste du journal le Daily Mail, il fait le parallèle entre le dessin gravé sur sa roche et la bague ramenée par un explorateur anglais lors d'une expédition archéologique dans le cratère tanzanien de Ngorongoro.
Avide d'en savoir plus sur ce qui semble être une civilisation disparue et dont les traces sont mystérieusement présentes aux quatre coins du monde, le scientifique de renom monte une expédition en compagnie de son assistante Nastasia Wardynska et d'une ancienne amie, Sarah Summertown.
L'Afrique sauvage offrira-t-elle ses secrets ? Mortimer retrouvera-t-il ses esprits ?

  André Juillard dessine avec son élégance habituelle les personnages du maître belge. Il excelle dans les costumes des années 50 et aborde avec classe les grandes étendues africaines.
À noter cependant quelques petites maladresses à la fin de l'album (page 50, case du haut à droite) dans les représentations de Mortimer et Olrik lorsque ceux-ci sont torse nu et de dos. Les proportions semblent invraisemblables pour des corps adultes. Le dessinateur aurait-il été bousculé par une date de livraison trop courte ?

  Le scénario, quant à lui, laisse encore une fois à désirer ! Comment Yves Sente peut-il pondre des histoires aussi tarabiscotées ? Pourquoi l'éditeur n'intervient-il pas davantage avant de livrer au public une histoire mal équilibrée ?
Les détails sur l'ancienne romance entre Mortimer et Sarah Summertown sont de trop et n'apportent rien d'essentiel au récit.
Le voyage vers le cratère de Ngorongoro à bord d'un véhicule tout-terrain poursuivi par une montgolfière qui se cache dans les nuages est peu crédible.
La pire énormité reste sans doute la présence impossible de Youssef, personnage pourtant tué dans Le mystère de la grande pyramide auparavant. L'apparition surprise du Bezendjas alors que Mortimer se trouve en fâcheuse posture dans une arrière-cour de la ville d'Arusha est tout aussi improbable. Quels coups de magie ! Jacobs doit se retourner dans sa tombe en voyant de telles inepties.
Le dénouement de cet album, cependant, demeure très intéressant et vaut à lui seul de ne pas arrêter la lecture en cours de route.
Certaines reprises ont été très bonnes (L'affaire Francis Blake, La machination Voronov, L'étrange rendez-vous) mais force est de constater que le filon commercial commence à s'essouffler. Si l'éditeur Dargaud veut vraiment rendre hommage à la série originale, il devra dorénavant ficeler des scénarios solides et ne pas s'empresser de livrer au public un album inabouti tous les ans (l'excellent dessinateur Ted Benoît a d'ailleurs fait les frais de cette gestion purement commerciale en étant mis de côté du projet de reprise car jugé trop lent dans son artisanat).
La livraison suivante (La malédiction des trente deniers) ne sera d'ailleurs pas chroniquée ici car non lue pour les raisons ci-dessus.

[Critique publiée le 01/07/11]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   L'ONDE SEPTIMUS (tome 22)   Antoine Aubin / Étienne Schréder / Jean Dufaux - 2013

Blake & Mortimer - 70 pages
8/20   Histoire tordue et dessin parfois affligeant

    Cette histoire relate les aventures de Blake et Mortimer suite à la terrible machination imaginée par le docteur Septimus dans le mythique album La Marque Jaune.
Le professeur Mortimer veut utiliser le télécéphaloscope et les travaux du savant fou pour se mettre au service des patients atteints d'affections psychiatriques. Parallèlement, quatre autres nostalgiques de Septimus ont également décidé de reprendre ses travaux à des fins malveillantes. Ils projettent d'utiliser à nouveau Olrik comme cobaye de la fameuse machine exploitant les ondes cérébrales.
Le capitaine Blake, quant à lui, enquête sur l'origine des foudroiements qui touchent des individus isolés dans les quartiers désaffectés depuis la dernière guerre.
Rapidement, l'intrigue mêlant ces différentes affaires se met en place.
À cela vient s'ajouter la découverte, échoué dans les sous-sols de Londres, d'un engin extraterrestre qui n'est pas sans rapport avec les événements mystérieux auxquels font face les deux héros britanniques...

  Ce nouvel opus m'a fortement attristé tant au niveau du fond que de la forme.

  Le scénario manque de limpidité et son rythme est inégal. Jean Dufaux, scénariste de talent sur les séries Murena ou Djinn, a voulu intégrer bien trop d'éléments appartenant à l'univers mythique de Blake et Mortimer. En guise d'hommage, cela est tout à fait louable. Malheureusement, à vouloir trop en faire, il s'est éloigné de cette clarté chère au créateur originel. Proposer une suite à La Marque Jaune est déjà un défi osé et dangereux ; y ajouter une capsule spatiale rappelant le magnifique album L'énigme de l'Atlantide conduit à une surenchère qui décrédibilise l'ensemble.
Dans La Marque Jaune, de longs textes accompagnaient le lecteur autour du fonctionnement complexe du télécéphaloscope et des découvertes de Septimus. Ici, les expériences menées et les interférences entre elles sont très obscures ; sans vernis scientifique proposé, sans tentative d'explication rationnelle des événements, le lecteur est obligé d'accepter le déroulement de l'histoire. Il ne participe plus à l'aventure, n'est plus acteur aux côtés des deux personnages principaux. Ce sentiment est encore plus marqué dans la seconde partie où le rythme s'accélère tandis que l'intrigue devient de plus en plus ardue à saisir.

  Sur le plan graphique, je suis abasourdi.
Dargaud, maison garante d'une grande qualité éditoriale dans l'univers du 9ème art, s'éloigne de plus en plus d'un travail artistique et artisanal pour sombrer dans les impératifs d'une production industrielle. Leur politique actuelle est aujourd'hui de « produire » une nouvel album de Blake et Mortimer juste avant Noël afin de rentabiliser une opération financière fructueuse. Pour respecter ce délai, les artistes doivent pondre des pages sous une pression folle.
Malheureusement, le manque de temps nuit fortement à la qualité finale. Le lecteur fidèle aux deux héros, souvent intransigeant sur la qualité du dessin car biberonné aux éternels chefs-d'œuvre du maître Edgar P. Jacobs, doit alors faire face à un terrible dilemme : d'un côté la satisfaction de voir perdurer l'œuvre du maître belge et de tenir entre les mains une nouvelle aventure promettant mille péripéties merveilleuses, de l'autre la déception de découvrir des cases inégales, tantôt parfaites, tantôt bâclées.
Les auteurs eux-mêmes, dans les interviews que l'on peut lire sur les réseaux, ne cachent pas les délais serrés qui leur sont imposés et admettent que la qualité de leur travail puisse être remise en cause. Cela ne convient pas à des dessinateurs pointilleux et perfectionnistes comme Antoine Aubin ou Ted Benoît auparavant. Ici, par exemple, Étienne Schréder a dû venir à la rescousse sur certaines planches...

  En tant que lecteur de Blake et Mortimer depuis mon enfance, je suis vraiment déçu par certains albums de reprise. Hormis L'affaire Francis Blake, La machination Voronov ou L'étrange rendez-vous, ceux-ci ne méritent pas de trôner aux côtés de ceux de Jacobs dans une bibliothèque et doivent être malheureusement vus comme des « spin-off » dispensables.

  Pour étayer mes propos, voici quelques indications précises que chacun pourra vérifier en consultant L'onde Septimus :
Mortimer est parfois dessiné avec perfection. C'est le cas ci-après :
- Page 17 (case 4) ou dans l'ensemble de la page 24 par exemple.
En revanche, voici quelques illustrations indignes :
- Page 16 (dernière case) : Blake est mal représenté, sa tête mal proportionnée avec son corps.
- Page 19 (case 2) : les deux hommes marchant dans la rue ont des visages bien imprécis.
- Pages 46 et 47 : Mortimer est mal dessiné.
- Page 49 : tous les personnages (Blake, Mortimer, Lady Rowana, ...) sont dessinés grossièrement.
- Pages 54 (case 1) et 55 (dernière case) : le dessin est affligeant !
- Pages 56, 57 et 58 : les traits ne sont pas crédibles. Le style Jacobs n'est plus du tout respecté. Cela est inconcevable !
Seule la couverture, bien souvent décevante dans les albums de reprise, est réussie et alléchante.

  C'est bien la première fois que je suis dans l'obligation de lister de manière aussi rébarbative de tels détails. Mais force est de constater que la qualité est absente de cette publication tant au niveau du scénario, alambiqué, que du dessin, disons-le, parfois raté ! Carton rouge pour Dargaud.

[Critique publiée le 03/09/17]

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B L A K E   E T   M O R T I M E R   |   LE BÂTON DE PLUTARQUE (tome 23)   André Juillard / Yves Sente - 2014

Blake & Mortimer - 64 pages
15/20   Blake et Mortimer préparent le débarquement du 6 juin 1944

    L'histoire débute lors d'une mission menée par Blake depuis le porte-avions The Intrepid au printemps 1944. Une menace d'attaque imminente est programmée par les allemands contre le Parlement de Westminster à Londres.
Le capitaine, à bord d'une version prototype du Golden Rocket, rejoint la capitale britannique et parvient à éviter le pire : son avion s'écrase dans la Tamise mais l'ennemi est neutralisé. Grâce à son parachute, Blake, sain et sauf, rejoint la terre ferme et fait aussitôt la connaissance du Major Benson qui a assisté à la bataille aérienne.
Ce dernier lui confie que les renseignements britanniques ont la certitude qu'une troisième guerre mondiale va succéder à celle actuellement en cours. L'empire jaune, dirigé par le terrible dictateur Basam-Damdu, construit en effet de redoutables armes militaires.
Recruté pour lutter contre cet épée de Damoclès, Blake rejoint la base secrète anglaise de Scaw-Fell où il retrouve le professeur Mortimer qui met au point l'Espadon afin de défendre les puissances occidentales contre la menace jaune imminente.

  Les deux hommes se concentrent alors sur la préparation du débarquement des alliés en Normandie en mettant au point l'opération Narval. Celle-ci consiste à larguer en Méditerranée une multitude de balises simulant une activité sous-marine intense.
Les allemands, convaincus que des submersibles en nombre préparent un débarquement de grande ampleur, vont alors concentrer leurs forces dans cette zone géographique laissant ainsi le champ libre dans la Manche pour le 6 juin 1944.

  Les auteurs ont imaginé une histoire prenant place juste avant le tome 1 de la toute première aventure de Blake et Mortimer, Le secret de l'Espadon, imaginée par l'immense Edgar Pierre Jacobs en 1946.
Le scénario de Yves Sente fait la part belle à l'importance du codage de l'information durant un conflit. Aujourd'hui encore, cette guerre de l'information tient une place primordiale parmi les armes décisives qui opposent les belligérants.
Ainsi, le lecteur découvre dans cet opus le Cabinet of War qui était un lieu très secret de Londres concernant les choix stratégiques de la guerre 39-45. Ces choix étaient bien souvent conséquents au décodage des informations ennemies par des experts rassemblés dans un centre de décryptage connu sous le nom de Station X.

  J'ai particulièrement apprécié l'univers de la base de Scaw-Fell où le professeur Mortimer développe ses projets d'avions révolutionnaires pour contrer la menace asiatique. Caché sous une couche de nuages artificiels et situé dans un décor accidenté du littoral anglais, Scaw-Fell renoue avec les univers souterrains dignes de l'âge d'or jacobsien.
Contrairement aux reprises précédentes, dont Le sanctuaire du Gondwana notamment, cet album ne comporte pas de ficelles scénaristiques ubuesques ou de retournements de situation grotesques. Il est mieux réfléchi et construit.
Le début laisse cependant légèrement interrogateur : la rencontre de Blake et du Major Benson aussitôt après l'épisode de la Tamise semble quelque peu artificielle dans la construction du synopsis.
Côté dessin, Juillard s'en sort tout à fait correctement. Les véhicules et bâtiments sont représentés avec détail et soin. Son principal défaut réside dans la difficulté à retranscrire le mouvement de ses personnages. Il suffit d'ouvrir un Largo Winch pour voir ce qu'est le mouvement en bande dessinée. Le belge Philippe Francq excelle à ce niveau-là ! Ici, Blake, Mortimer et les autres protagonistes sont malheureusement trop statiques.
Dans certaines cases, le lecteur attentif pourra aussi détecter une légère disproportion des corps : cou trop réduit ou tête trop grande par rapport au reste. Cela demeure marginal, mais pour autant est-ce acceptable ? Non !
Quelles que soient les reprises, j'ai souvent remarqué que le personnage le mieux figuré est le colonel Olrik. Son allure conserve toute cette élégance britannique chère à Jacobs. Son caractère diabolique et son physique théâtral y sont sûrement pour quelque chose.
Quant aux frères jumeaux, Harvey et Brandon Clarke, leur visage de poupon ne sont pas très jacobsiens. Ils ne rentrent pas véritablement dans le classicisme du maître mais appartiennent davantage à l'univers graphique de Juillard.

  En préface de l'album, une note de l'éditeur Dargaud a attiré mon attention. Ce dernier remercie le dessinateur de s'être « donné sans compter » pour la sortie de ce tome 23 dans les délais impartis.
Cela sous-entend encore et toujours la pression exercée sur les artistes pour satisfaire des intérêts commerciaux et respecter coûte que coûte des calendriers garants de la rentabilité financière d'une opération juteuse. N'oublions pas en effet qu'un nouveau titre de Blake et Mortimer est aujourd'hui tiré à 500 000 exemplaires pour sa sortie. Entre le temps nécessaire pour dessiner à la perfection et celui artificiellement imposé par la publication pour Noël, l'éditeur choisit pour le lecteur quitte à sacrifier un peu la qualité ! Il pousse même la cadence jusqu'à mettre plusieurs duos d'auteurs sur des projets parallèles.
Dommage que cette série mythique soit devenue une entreprise industrielle éloignée de la création artistique et artisanale de Jacobs...

[Critique publiée le 03/09/17]

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L E   S U R S I S   |   (tome 1)   Jean-Pierre Gibrat - 1997

Dupuis - 56 pages
20/20   La guerre vécue à travers des persiennes

    Nous sommes en juin 1943, durant l'occupation allemande, au cœur du petit village de Cambeyrac situé dans l'Aveyron. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, Julien Sarlat, y revient en cachette après avoir sauté du train qui le menait en Allemagne effectuer son service de travail obligatoire. Sa tante Angèle le recueille mais, très vite, Julien doit trouver une cachette sûre pour cause de désertion. Il se réfugie dans le grenier de l'école publique dont le maître, Mr Thomassin, a été arrêté en raison de ses idées communistes.
Par chance, Julien est déclaré mort après que ses papiers aient été retrouvés sur le cadavre d'un homme qui les avait volés. L'enterrement est célébré dans l'église de Cambeyrac sous l'œil amusé de l'intéressé. Julien peut, en effet, embrasser du regard la place principale du petit village depuis les persiennes qui le cachent des curieux.
La nuit, il sort se dégourdir les jambes et dîner bien souvent chez sa tante. Le jour, il n'a d'yeux que pour Cécile, la jolie demoiselle qui sert à la terrasse du café « Les Tilleuls » où se regroupent les anciens du coin.
Bien planqué, Julien attend la fin de la guerre en écoutant les nouvelles du front russe à la radio, en rêvant de Cécile et en se réchauffant comme il peut face à l'hiver qui arrive...

  Avec Le sursis, la carrière et le talent de Jean-Pierre Gibrat explosent littéralement. En 1997, date de sortie de ce premier tome, la presse et les lecteurs saluent unanimement cette histoire racontée, dessinée et peinte par un seul homme. Le naturel des personnages, les trognes de la France provinciale, la douceur des paysages, la beauté de Cécile et la subtilité du scénario concourent à une telle réussite.
Du côté des couleurs, Gibrat maîtrise avec brio le caractère de transparence de l'aquarelle. Ses cases sont lumineuses et revigorantes. Il n'y a pas de secret : l'authenticité du propos d'un artiste est toujours le reflet de son engagement dans un profond travail artisanal. Gibrat répond à la règle et le résultat est renversant.

  Quant à l'histoire, elle ne suit pas le parti pris d'un héros mais choisit celui d'un personnage ordinaire qui reste caché en attendant de meilleurs auspices. Sur la place du village, cependant, tous les caractères s'affrontent : il y a ceux qui collaborent et s'investissent dans la milice, ceux qui restent placides et craignent d'afficher ouvertement leur position et, enfin, les résistants qui sont prêts à tout pour retrouver la liberté de leur pays.
À travers son récit, l'auteur interroge le lecteur sur la position qu'il aurait choisie durant la seconde guerre mondiale. Héros ou pas, il est difficile de se projeter dans une telle situation lorsqu'elle n'est pas vécue réellement...

  Le sursis est désormais un classique de la bande dessinée et une valeur sûre de la mythique collection Aire Libre proposée par l'éditeur Dupuis depuis 1988.

[Critique publiée le 03/09/17]

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L E   S U R S I S   |   (tome 2)   Jean-Pierre Gibrat - 1999

Dupuis - 56 pages
20/20   Quand le destin est inéluctable

    Ce second tome débute par la rencontre tant attendue entre Cécile et Julien.
Passé le choc initial pour la jeune femme de la résurrection, celle-ci fait soigner Julien par un médecin de confiance lui-même résistant. Le garçon est en effet fiévreux après un rude hiver et une nuit passée dans le froid glacial d'une grange.
Choyé par son amoureuse, Julien poursuit ainsi sa vie de reclus dans la demeure où vit Cécile. Les nouvelles du village de Cambeyrac rythment ses journées tout comme celles de la percée du front russe. Le débarquement américain est, quant à lui, imminent.
Devant les bouleversements majeurs qui s'annoncent, les tensions s'exacerbent davantage : la résistance intensifie ses actions tandis que la milice riposte comme elle peut. La paisible vie du village est ainsi ébranlée par des rafales de mitraillette sur le café de la place. L'heure des règlements de comptes a sonné.
Étranger à cette guerre, Julien vit des moments de bonheur avec Cécile. Il décide de la rejoindre en train à Paris où elle a dû se rendre pour retrouver sa mère et sa sœur.

  Les événements s'enchaînent rapidement, le climat est davantage tendu dans cet opus. Chacun jette ses dés pour la partie finale qui fera des victimes.
Jean-Pierre Gibrat clôt magistralement ce diptyque. Le destin rattrape chacun des protagonistes et le titre Le sursis prend tout son sens dans les dernières pages.
Ce récit romanesque gagne en caractère grâce à sa fin si surprenante et fataliste. Mais chut, ne dévoilons pas davantage le synopsis !

  Le sursis est un joyau de la bande dessinée, un classique à lire et relire assurément.

[Critique publiée le 03/09/17]

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L E   V O L   D U   C O R B E A U   |   (tome 1)   Jean-Pierre Gibrat - 2002

Dupuis - 54 pages
19/20   Gibrat l'artiste

    L'histoire se passe à Paris pendant la seconde guerre mondiale, à l'heure où les alliés débarquent sur les plages de Normandie. Jeanne, résistante, est dénoncée par une lettre anonyme et se retrouve en prison. François, un cambrioleur profitant du chaos ambiant pour s'enrichir, est mis en détention dans la cellule de Jeanne. Profitant d'une alerte aérienne, François réussit à prendre la fuite et à emmener sa nouvelle compagne avec lui. Les voici sur les toits de Paris à gambader pour fuir la police. Entre deux averses, une cheville tordue, ils y passeront une nuit avant de réussir à s'infiltrer dans un appartement pour redescendre sur le plancher des vaches.
François proposera alors à Jeanne de la cacher sur l'Himalaya, une péniche sur la Seine occupée par une adorable famille : René, Huguette et leur fils Nicolas. Inquiète pour sa sœur Cécile qui appartient au même réseau de résistance, Jeanne prendra contact avec Michel, également dans le secret de leurs actions.
En toute confiance à bord de la péniche, Jeanne verra François d'un œil différent et du type rustre qu'elle aura connu au début se dessinera l'image d'un homme sensible, attentionné et généreux. Malheureusement, la milice retrouve la trace de Jeanne et s'intéresse à la péniche de la petite famille. Qui l'a trahie ? Est-ce Michel ?

  Après le diptyque Le sursis, Gibrat fait très fort en proposant une nouvelle histoire en deux tomes. L'héroïne, Jeanne, est la sœur de Cécile, personnage principal dans Le sursis.
Le talent de Gibrat est incroyable : les dessins sont frais, soignés par un maître de la bande dessinée. Les couleurs sont chaudes et donnent une identité artistique globale à l'album. Les nombreuses pages se déroulant sur les toits de Paris sont somptueuses et montrent tout le talent de l'auteur dans la maîtrise de l'espace d'une case et la capacité à créer de la perspective, de la profondeur.
Au final, c'est un excellent livre dans lequel on sent l'amour du travail d'artisan.

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L E   V O L   D U   C O R B E A U   |   (tome 2)   Jean-Pierre Gibrat - 2005

Dupuis - 54 pages
19/20   Simplement beau

    La vie continue à bord de la péniche pour la petite famille de René et ses deux pièces rapportées : Jeanne et François. Ayant de plus en plus de mal à acheminer le matériel avec les forces alliées qui pilonnent la plupart des infrastructures terrestres, les allemands réquisitionnent les moyens de transport fluviaux. C'est ainsi que l'Himalaya se voit doté d'une mission par l'occupant et investi par un soldat allemand peu bavard mais tourmenté par l'horreur de la guerre. La cohabitation sera difficile pour ce microcosme et l'allemand tentera d'abuser de Jeanne après l'avoir défendue contre la milice. Un drame surviendra et les émotions seront fortes pour l'équipée.
Jeanne aura l'immense surprise de retrouver sa sœur Cécile, désespérée par la perte de Julien (voir le premier diptyque). Elle découvrira également son amour pour François qui devra partir pour une mission périlleuse...

  Gibrat continue d'exceller dans les dessins. Les lumières sont superbes, les paysages bucoliques, les visages remplis d'expression. Le scénario est palpitant et la fin réserve quelques surprises.
Une BD à posséder absolument pour sa qualité artistique exceptionnelle...

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T R E N T   |   LE KID (tome 2)   Leo / Rodolphe - 1992

Dargaud - 48 pages
16/20   Des personnages aux psychologies travaillées

    A Blacktown, dans le North Dakota, un jeune couple d'adolescents braque la banque. Malheureusement, l'opération se déroule mal et la jeune fille, Laura, est tuée dans une fusillade avec le shérif. Le jeune homme, Emile, s'enfuit alors avec une somme conséquente d'argent mais il est désespéré car son véritable trésor, Laura, n'est plus à ses côtés.
Le sergent Trent a pour mission d'arrêter ce jeune homme avant qu'il ne commette d'autres vols. Lancé à sa poursuite, il découvre la personnalité ambiguë de Emile à travers des messages qui celui-ci laisse sur sa route : des vers de Rimbaud inscrits sur de vieilles granges abandonnées. Pourquoi se laisse-t-il suivre ? Comment Trent va-t-il appréhender cette personnalité tourmentée ?

  Dans ce tome, l'histoire est centrée sur la psychologie des personnages plus que sur l'action. L'intrigue est linéaire et nous fait visiter les plaines et forêts canadiennes sans la neige et avec le soleil. Un drame humain mis en images avec brio par Leo.

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T R E N T   |   QUAND S'ALLUMENT LES LAMPES (tome 3)   Leo / Rodolphe - 1993

Dargaud - 48 pages
17/20   Les paysages magiques du Canada

    Le sergent Trent, de la police montée canadienne, remplit ses missions les unes après les autres. Nostalgique en voyant la chaleur des foyers familiaux dans la froideur de l'hiver, il se met à rêver de cette femme dont il est amoureux, Agnès. Décidant d'aller lui rendre visite, il trouve une maison abandonnée et apprend son mariage avec un inconnu. Désespéré, Trent sombre dans l'alcool et fréquente les bistrots inlassablement.
Au même moment, une bande de dangereux voleurs attaquent des habitations et leurs occupants dans le but de récolter des sommes d'argent. La présence de Trent est-elle si anodine que cela ?

  Dans cet album, le dessin de Leo est remarquable. Les premières pages sont pleines de poésie. La façon de dessiner les visages reste la marque de fabrique de cet auteur sud-américain. Dans la série Trent, il est au sommet de son art (davantage que dans la très célèbre Aldébaran parue pourtant après). Le scénario de Rodolphe est, quant à lui, intelligent : le lecteur ne peut imaginer la tournure que vont prendre les événements et est subtilement pris au piège.
Trent, c'est l'apologie de la lenteur mâtinée de quelques scènes d'action, c'est des paysages somptueux, une nature omniprésente, un héros humain et sensible.

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T R O I S   É C L A T S   B L A N C S   Bruno Le Floc'h - 2004

Delcourt - 96 pages
19/20   La Bretagne par un breton : rafraichissant

    Une BD mais pas n'importe laquelle...
Celle d'un dessinateur originaire de la capitale du Pays Bigouden : Pont-l'Abbé. Celle d'un amoureux de la Bretagne authentique.
Bruno Le Floc'h est un passionné, ça se voit lorsqu'on le lit, ça s'entend lorsqu'on le rencontre. Il adore son métier. Également storyboarder dans le monde du dessin animé (Spirou et Fantasio, Les Tortues Ninjas, ...) et récemment directeur artistique du film d'animation L'Ile de Black Mor, Bruno s'est vu décerné pour ce magnifique album le prix René Goscinny 2004 au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême.

  Les trois éclats blancs du titre sont ces signaux lumineux envoyés par le phare, monument mythique et souvent énigmatique, véritable bouée visuelle pour les marins. Ici, l'histoire s'inspire de la construction du phare d'Armen dans la chaussée de Sein, à l'ouest de la Pointe du Raz entre 1867 et 1881.
Situant la construction à la veille de la première guerre mondiale et dans un endroit anonyme mais typiquement breton, Bruno Le Floc'h nous conte l'histoire de cette rencontre entre deux mondes, entre deux sensibilités : l'ingénieur venu de Paris réaliser les plans du phare et les marins et maçons de l'armor et de l'argoat impliqués dans son édification.
L'ingénieur apprendra avec les bretons la patience car le rocher servant de socle à la construction n'émerge seulement qu'aux plus basses mers. Il devra également faire preuve de persévérance face aux tempêtes qui rendront difficiles la vie des hommes et l'avancement du chantier. Mais il rencontrera aussi l'amour, la violence, l'amitié, la magouille des armateurs et montrera finalement sa bonté envers les plus faibles.

  Du point de vue artistique, cette bande dessinée est un pur bijou. Le trait est nerveux, vif, efficace, léger. Les couleurs sont violentes, romantiques, contrastées, magiques... L'histoire, quant à elle, est soignée, intelligente, tendre, humoristique parfois et tragique d'autres fois.
Chez ce dessinateur, on sent bien sûr l'influence d'Hugo Pratt et de son personnage fétiche Corto Maltese mais les histoires d'armateurs malhonnêtes rappellent aussi la magnifique série Tramp de Jean-Charles Kraehn et Patrick Jusseaume.
Bref, voilà une très belle œuvre et un coup de maître pour un débutant en bande dessinée !

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P A Y S A G E   A U   C H I E N   R O U G E   Bruno Le Floc'h - 2007

Ouest-France - 62 pages
16/20   Le Gauguin de la BD !

    Ce one-shot de Bruno Le Floc'h nous fait découvrir le XIXe siècle à travers la peinture, les voyages et les destins mystérieux.

  Hélias Dall, le personnage principal de cet album, navigue à bord de sa goélette, le Saqqara.
C'est un voyageur dans l'âme, qui peut rappeler le célèbre Corto Maltese, et qui organise sa vie en fonction du commerce du café ou de l'encens dans les lieux hautement économiques de cette époque : l'Europe, l'Afrique, les Amériques.
Pour tout marin, les escales sont l'occasion de faire des rencontres et de s'engager dans des aventures plus ou moins rocambolesques et exotiques. Lors d'un arrêt à Malte (encore un clin d'œil à Corto ?), Dall se voit confier une mission par Orhan Bey, un turc collectionneur d'art. Ce dernier souhaiterait récupérer la célèbre peinture de Courbet, L'origine du monde, pour entretenir la mémoire de son ami Khalil Bey. Seulement, un trafic de tableau ne passera pas inaperçu entre la galerie parisienne où il est entreposé et le Moyen-Orient. Dall devra donc faire preuve de ruse pour mener à bien ce convoyage.
Le second personnage principal nous est alors présenté : Paul Gauguin, le célèbre peintre de Pont-Aven. C'est donc sur les terres finistériennes que se déroule une grande partie de l'histoire, entre Concarneau et la Cité des Peintres. Dall est un ami de Gauguin et celui-ci l'aidera à honorer son marché.

  Côté scénario, le récit reste assez linéaire et sans grands rebondissements. En revanche, il nous plonge dans une atmosphère de rêves et de voyages : le désert du Yémen, les petites ruelles du port de La Valette à Malte, la côte Atlantique et la Bretagne du sud. Il nous permet également de découvrir quelques tranches de vie de Gauguin : son amour pour la Polynésie où il rêvait de partir s'installer, ses coups de déprime, sa vie dans le village de Pont-Aven.
Le dessin, quant à lui, est admirable. Un pur chef d'œuvre. Le Floc'h, en quelques albums, atteint une maîtrise graphique que certains n'ont pas obtenue après des dizaines d'albums. Son trait est épuré, direct. Il va à l'essentiel. Il parle, il vit, il fait passer des émotions. Les couleurs sont chaudes, posées par aplats, volontairement contrastées.
Ce n'est pas anodin si Le Floc'h a introduit le personnage de Gauguin dans cet univers. Gauguin l'inspire dans la création artistique de ses bandes dessinées. D'ailleurs, le célèbre peintre ne disait-il pas : « Comment voyez-vous cet arbre ? Vert ? Mettez donc le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre ? Plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible. » Ou encore : « Ne copiez pas trop d'après nature. L'art est une abstraction. » Ou enfin : « Vous connaissez depuis longtemps ce que j'ai voulu établir : le droit de tout oser. » Et Le Floc'h, on le voit de plus en plus, ose avec exactement les mêmes exigences que Gauguin. Il suffit de regarder sa disposition des couleurs !

[Critique publiée le 30/12/07]

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S A I N T - G E R M A I N ,   P U I S   R O U L E R   V E R S   L ' O U E S T   !   Bruno Le Floc'h - 2009

Dargaud - 81 pages
18/20   Des bulles de jazz

    Un cinquième album de notre cher bigouden qui est à nouveau un chef-d'œuvre pictural. En effet, Le Floc'h nous livre ici quatre-vingt-une pages de bonheur visuel où le trait est épuré au maximum pour laisser place à l'essentiel, et finalement offrir à notre imaginaire le plus grand des terrains de jeux.
Le dessinateur quitte pour la première fois la Bretagne pour débuter son histoire par un club de jazz parisien mais il y revient vite car le fil du scénario réside dans un road-movie vers l'ouest, et plus précisément jusqu'à Dinard.

  Alexis est saxophoniste dans le Paris des années 60 et fréquente une jeune anglaise prénommée Mary. Seulement voilà, l'hygiène de vie du musicien où alcool et tabac règnent en maîtres au sein de nuits blanches interminables ne convient plus à la jeune femme qui décide de partir un beau matin.
Alexis trouvera une lettre sans aucune indication sur sa destination. C'est par l'intermédiaire d'une amie à Mary qu'il obtiendra la piste de la plus anglaise des cités bretonnes : Dinard.
À peine remis de sa dernière sortie nocturne, notre héros part donc sur les routes de France au volant d'une magnifique Peugeot 203 décapotable.
La route, véritable personnage secondaire et ligne de fuite vers la femme aimée, sera prétexte à de nombreuses rencontres. Chacune d'elles sera féminine et déclinera Mary sous toutes ses formes : Maritie l'enfant, Marina la serveuse de bar, Marie la mariée, Marina la prostituée, Marielle la femme enceinte et enfin Marig la grand-mère bretonne.
Est-ce une sorte de psychanalyse du sentiment amoureux que nous dessine Le Floc'h ? Alexis rêve-t-il ou du moins transforme-t-il la réalité à travers les vapeurs de l'alcool comme pour ce couple de paysans qu'il imagine en monstres ?
À chacun d'y voir un message ou non. À chacun de fournir sa propre interprétation. Mais sans même y chercher des signes ou références cachés, le lecteur qui se laissera mener par le rythme des couleurs sera séduit.

  Les cabines de plage de Dinard, le coucher de soleil depuis les remparts malouins, le détail des courbes d'une femme ou encore la calandre de cette Peugeot mythique : chaque case est un tableau à admirer. N'allez pas chercher une action renversante entre la première et la dernière page car le scénario reste linéaire et assez calme. En revanche, le mouvement se niche au sein de chaque dessin où le trait direct et sans fioriture suggère dynamisme et amplitude.
À déguster en écoutant un disque de Coltrane, le jazz étant du « velours pour les oreilles »...

[Critique publiée le 04/11/09]

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L ' É P E R V I E R   |   LE TRÉPASSÉ DE KERMELLEC (tome 1)   Patrice Pellerin - 1994

Dupuis - 48 pages
17/20   Le meilleur moyen pour découvrir Brest avant sa reconstruction

    Brest 1740... Yann de Kermeur est capitaine de vaisseau du roi. La Méduse et son équipage sont armés au port de Brest. Mandé par le comte de Kermellec, Yann se rend à la propriété du vieil homme. À peine arrivé, il est alerté par un coup de feu venant de la petite chapelle du domaine en bordure de falaise. Le capitaine y découvrira le comte agonisant avec pour dernières paroles une vague référence aux « larmes de Tlaloc »...
Trouvé armé auprès du défunt, Yann de Kermeur sera accusé à tort de meurtre. Sauvé in extremis de la pendaison par la petite-fille du comte de Kermellec, Yann réussira à échapper des mains de la justice.
Une justice qui n'est guère très noblement représentée puisque c'est le marquis de la Motte, représentant véreux du roi à Brest, qui fera de cette cavale une affaire personnelle. Son navire arraisonné, son équipage arrêté, Yann sera conduit à fuir Brest avec l'aide de son amie Marion. Mis au courant de la terrible méprise qui rend Yann coupable d'un crime qu'il n'a pas commis, Cha-Ka, son frère de sang, va tout faire pour tenter de l'aider. C'est sur la presqu'île de Crozon que le jeune capitaine trouvera refuge et se préparera à affronter le grondement des canons armés par le marquis de la Motte à son intention.

  Cette bande dessinée retrace l'épopée d'un corsaire du roi au XVIIIe siècle.
Sous le trait magnifique de Patrice Pellerin et son souci du détail historique, le lecteur est invité à un voyage dans le Brest du Siècle des Lumières. L'intrigue est menée avec rigueur et clarté rendant la lecture fluide et agréable. De nombreux rebondissements viennent ponctuer le récit et les caractères des personnages sont bien trempés.
L'intérêt de cette série est avant tout historique et Pellerin a fait dans ce domaine un véritable travail de recherche.

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D R U U N A   |   MORBUS GRAVIS (tome 1)   Paolo Eleuteri Serpieri - 1986

Bagheera - 64 pages
18/20   La Belle et la Bête

    Dès la première page, le ton est donné : ambiance glauque, morbide. Couleur à la fois sombres et fortes, bulles bien fournies.
Bienvenue dans l'univers de science-fiction du dessinateur et scénariste Paolo Eleuteri Serpieri. Ce maître italien, né en 46, a suivi des études de peinture et d'architecture à Rome et est devenu lui-même professeur. Après avoir illustré dans des magazines italiens et dans le Larousse l'univers du Far West, thème lui étant très cher, Serpieri a créé dans les années 80 la série Druuna.
Autant avertir tout de suite, les dessins font part large à l'érotisme qui devient de plus en plus cru au fil des albums. Mais il n'y a pas que ça, loin de là. Le graphisme est somptueux, les personnages variés, l'imagination fertile.

  Le symbolisme intéressant dans cette série est le contraste entre la beauté et la monstruosité, la référence au thème de La Belle et la Bête. En effet, Druuna, belle brune plantureuse évolue dans un monde ravagé par des mutants. Toute personne saine doit se prémunir d'une éventuelle contamination en récupérant des doses de sérum auprès des autorités. Druuna n'hésite pas à jouer de ses charmes pour en obtenir également pour son ami, Shastar, malheureusement contaminé.
Dans cet album, le lecteur découvre également que ce monde est gouverné par des êtres horribles vêtus d'une cape noire et prêchant la bonne parole. On peut voir là une critique du pouvoir religieux qui interdit le culte de la beauté corporelle et rend tabou la luxuriance de l'amour charnel.

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D R U U N A   |   DRUUNA (tome 2)   Paolo Eleuteri Serpieri - 1987

Bagheera - 64 pages
17/20   Scénario de qualité

    Deuxième tome de la série où la belle brune prend le dessus et devient le personnage principal. Au début, Druuna ne devait être que le personnage secondaire après Shastar. Serpieri s'étant rendu compte de la force de ce personnage a décidé de lui offrir le premier rôle, ce qui n'est pas déplaisant !
Les dessins sont très soignés et prouvent une seconde fois l'énorme talent de Serpieri.
L'histoire commence par un clin d'œil à la Terre, avec ses plages de sable fin et son eau chaude et bleue. Mais la réalité revient vite contraster avec ce paradis perdu. Druuna est chargée de sauver la vie dans le vaisseau en détruisant l'ordinateur Delta.
Contrôlée via la télépathie par Lewis, notre brune part en quête pour la Tour de la Vérité. Des militaires corrompus et bestiaux, des monstres horribles et des humains brisés par la peur et le désespoir vont croiser le chemin de Druuna.
À noter, la venue saugrenue du gnome déjà présent dans le premier tome et qui, encore une fois, apporte une aide précieuse à Druuna. Un personnage bien sympathique qui apporte une touche d'humour dans ce monde de décomposition et de désolation.

  Bref, un scénario solide sur des dessins splendides et plus que sensuels...

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D R U U N A   |   CREATURA (tome 3)   Paolo Eleuteri Serpieri - 1990

Bagheera - 64 pages
18/20   Espace baroque

    Un vaisseau spatial terrestre reçoit des signaux étonnants en provenance d'un astéroïde stellaire. L'ordinateur de bord semble être perturbé par cet objet inconnu tandis que le commandant de la navette a des absences et fait des rêves où le temps n'a plus de mesure.
Intrigué par ce mystère, le commandant, malgré la mise en garde de ses co-équipiers, décide de se mettre en orbite autour de l'astéroïde et d'effectuer une mission de reconnaissance en descendant via un cratère. L'approche de l'astéroïde révèle une constitution presque essentiellement faite de matière organique. C'est en réalité le vaisseau contaminé sur lequel erre Druuna.
À travers ses songes, le commandant entrera en contact avec elle. Orchestré par Lewis, ce mode de communication télépathique a pour but de faire sortir Druuna de cet enfer.
Ainsi, en attirant l'équipage de ce vaisseau intergalactique dans ce monde étrange, Druuna aura une porte de sortie. Mais elle devra passer bien des épreuves avant d'être récupérée par l'équipage. Veut-on réellement la sauver ou bien est-ce le mal qui souhaite l'utiliser en la fécondant pour répandre la maladie parmi les membres de l'équipage ?
À noter, l'apparition du Doc, qui est en fait Serpieri lui-même ! Le dessinateur côtoie donc la créature née de son imagination fertile. Comme toujours, un trait admirable qui sent bon le baroque italien...

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D R U U N A   |   CARNIVORA (tome 4)   Paolo Eleuteri Serpieri - 1992

Bagheera - 62 pages
17/20   Des monstres cauchemardesques

    Ce quatrième tome, qui se poursuit à bord du vaisseau qui a recueilli Druuna, oscille entre rêves et réalité. Les rêves retranscrivent les angoisses de la jeune femme et sont peuplés de monstres horribles. Malheureusement, ces créatures ne sont pas issues du pur fruit de son imagination car elles font aussi partie de la réalité...
Ainsi, le titre de l'album, Carnivora, fait référence à cette entité unique mais monstrueuse et aux multiples ramifications, qui semble avoir infiltré le navire intergalactique. Peu à peu, les membres de l'équipage sont capturés et stockés dans des cocons afin de servir de nourriture à la bête.
Le Doc semble être, avec Druuna, la seule personne encore sûre et épargnée par la folie qui règne dans cet univers propice à la claustrophobie.
Par l'intermédiaire de l'esprit de Shastar couplé à celui de Lewis, Druuna va recevoir des informations capitales pour sortir la navette de ce cauchemar. Elle apprendra en outre qu'elle et l'équipage sont arrivés aux confins de l'univers et y sont confrontés au mal. Celui-ci se manifeste via un miroir spatio-temporel qui renvoie à chaque individu son image négative, son double - ou « réplicant » - habité par un monstre ayant pour unique but de répandre le chaos.

  Le scénario est complexe et la première lecture peut s'avérer un peu fastidieuse. Cependant, le découpage des différentes scènes est soigné et permet, avec un peu d'attention, de démêler les rêves de la réalité, les faux des vrais humains.
Dans cet opus, Serpieri s'est davantage investi dans la représentation des monstres et certaines scènes sont absolument terrifiantes, à la limite du supportable. Le trait réaliste ne fait que renforcer la crédibilité de ces bêtes immondes et la référence au film Alien semble évidente.
Pour contrebalancer ces images effroyables, le maître italien dessine sa muse dans les postures les plus folles et excitantes. Entourée de toute cette chair contaminée, la beauté de Druuna n'en est que plus resplendissante à nos yeux.

[Critique publiée le 01/07/11]

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M U C H A C H O   |   (tome 1)   Emmanuel Lepage - 2004

Dupuis - 72 pages
20/20   Plongée au cœur du Nicaragua

    « Nicaragua, novembre 1976. » Ainsi débutent les premières images du diptyque Muchacho.
Gabriel, jeune peintre séminariste, est envoyé par Joaquin auprès du père Rubén. Quittant le très conservateur séminaire de la capitale Managua, Gabriel va découvrir la réalité de son pays dans le petit village de San Juan. Missionné pour peindre la Passion dans l'église locale, Gabriel va devoir bouleverser toutes les idées reçues et, sous l'impulsion de Rubén, remplacer les poussiéreuses icônes religieuses par la vive réalité de la pauvreté sociale du Nicaragua.
C'est donc le parcours d'un jeune garçon dans un contexte politique dur que nous conte cette histoire. À travers son regard, on découvre une communauté sous tension ou révolutionnaires sandinistes et pro-conservateurs vivent tant bien que mal ensemble.

  Des psychologies humaines denses et très proches de la complexe réalité donnent à cette œuvre une dimension puissante. Amour et drame se mêlent et se démêlent sous la férule de la Guardia qui n'hésite pas à jouer les bourreaux avec ce peuple de paysans.
Images fortes et violentes, mystérieuses parfois avec ce révolutionnaire qui, caché derrière son masque de sandiniste, remercie Gabriel.

  Bref, ce premier tome est très très bon. Le scénario est soigné et se termine sur un point d'interrogation. Peu de dialogues, beaucoup de suggestions à travers cette bande dessinée qui fait presque figure de roman graphique.
On connaissait déjà les qualités de dessinateur d'Emmanuel Lepage, on les redécouvre avec plaisir : couleurs chaudes de l'aquarelle, douceur du trait, beauté des visages, c'est là un grand artiste, assurément. Une œuvre riche en émotion qui procure un intense bonheur de lecture et qui, de plus, a le mérite de rendre passionnant un événement historique loin de nous : la révolution sandiniste qui en 1979 renversa la dictature de Somoza pour instaurer une démocratie dirigée par Daniel Ortega.
Plus que jamais, la bande dessinée est un média d'information et de culture à part entière et on ne peut qu'en être ravi !

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M U C H A C H O   |   (tome 2)   Emmanuel Lepage - 2006

Dupuis - 90 pages
20/20   Magistral !!!

    Suite et fin de cette aventure qui raconte la révolution sandiniste en 1979 au Nicaragua à travers le regard d'un adolescent à la recherche de son identité.

  Gabriel De La Serna, en pleine rébellion contre l'ordre familial et la dictature de Somoza, a fui dans la forêt. Blessé, il devra sa survie à un petit groupe de guérilleros qui va le recueillir et lui apporter un peu de réconfort.
Quatre homme et une femme vont désormais constituer sa nouvelle famille de cœur : Rigo, le rêveur dont la fiancée a été arrêtée par la Guardia ; Germán, le chef de la troupe et sa compagne Manuela. Viennent ensuite Ramón au caractère bien trempé et Fausto, troublant par sa sensibilité et sa beauté...
Le groupe détient un otage américain nommé Mac Douglas. C'est un atout non négligeable car les yankees soutenaient le gouvernement du Nicaragua pour mater la révolution et préserver leur suprématie américaine dans cette zone de l'Amérique centrale.
Ils ont ainsi une monnaie d'échange pour négocier la libération d'autres guérilleros. Mais c'est sans compter la jungle et ses nombreux dangers.
Cachés dans cet univers hostile, ces hommes et cette femme, « porteurs des rêves de tout un continent qui souffre », devront faire preuve de courage et de ténacité.
Affamés, ils prendront le risque de s'exposer à l'armée en pénétrant dans un petit village de paysans. Gabriel y découvrira l'extrême violence entre les hommes et sera sérieusement ébranlé dans sa foi religieuse.
Survivront-ils tous à cette épopée sanguinaire ?

  Notre héros, lui, se raccrochera à l'amour qu'il vivra avec passion au sein du clan sandiniste. Emmanuel Lepage traite ici un sujet déjà exploité dans sa série antérieure Névé : la découverte de l'homosexualité chez un jeune homme. Grand sujet qui fait l'éloge de la différence.
D'autres passions humaines sont également retranscrites dans ce microcosme de révolutionnaires. Trahisons, maladies, jalousies n'épargneront personne malgré la recherche commune d'une société idéale.

  Mais le personnage principal de cette bande dessinée est peut-être finalement le contexte politique du Nicaragua en 1979 : la lutte des sandinistes pour destituer le président Somoza de son pouvoir. De ce point de vue, le lecteur en apprend bien plus que dans un livre d'histoire. Cette révolution est le début d'une émancipation des pays d'Amérique centrale sous la férule des puissants États-Unis.
Côté dessin, l'auteur briochin fait des merveilles. Son coup de pinceau est fabuleux. C'est à mes yeux l'un des plus grands artistes actuels du 9ème art.
Chaque case est un tableau. Maître dans l'art de l'aquarelle, Lepage peint des décors grandioses aux dominantes bleues, vertes et ocres.
Lors d'une rencontre en 2009 à Perros-Guirec, il m'a avoué avoir totalement imaginé la nature exubérante du Nicaragua, pays qu'il a parcouru mais sans s'enfoncer dans la forêt.
Au final, le lecteur sera agréablement surpris par des arbres aux racines gigantesques et une mangrove peu attirante par la faune qu'elle doit cacher...

  Emmanuel Lepage est un nom à retenir. Il excelle dans un art qui commence enfin à être vraiment reconnu.

[Critique publiée le 02/06/09]

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L E S   F L E U R S   D E   T C H E R N O B Y L   Emmanuel Lepage / Gildas Chassebœuf - 2008

Les dessin'acteurs - 58 pages
18/20   La poésie des dessins au cœur du no man's land

    Au début de l'année 2008, Emmanuel Lepage et Gildas Chassebœuf ont réalisé un voyage hors du commun. La destination ? Tchernobyl.
À l'instar de ces nouveaux touristes qui veulent flirter avec le danger en visitant le terrible site, les deux dessinateurs costarmoricains ont répondu présent à la résidence d'artiste organisée par l'association Les Dessin'acteurs. Ainsi, durant quinze jours, ils ont visité la fameuse zone interdite et sa ville abandonnée de Pripiat près de la centrale, rencontré la population oubliée de ce territoire maudit et noué de forts liens d'amitié.
Le plus déroutant aujourd'hui à Tchernobyl est ce contraste, retranscrit dans le titre de l'ouvrage, entre le terrible drame qui s'est produit en avril 1986 et perdure depuis et la beauté originelle des lieux. Partout la nature a envahi avec exubérance les anciennes constructions humaines ; les forêts alentour sont resplendissantes et font éclater toutes leurs gammes de verts au printemps ; les animaux y ont construit un nouveau royaume et ne se soucient dorénavant plus des prédateurs humains.
Et pourtant. Et pourtant, les dosimètres mesurant le taux de radioactivité grésillent en permanence, rappelant ainsi que le danger est présent partout. Le port d'un masque et de gants est plus que conseillé dans la zone interdite et toucher ou ramasser un objet est un geste irrémédiable qu'il est préférable d'oublier rapidement.

  Ce carnet de voyage présente une série de dessins mêlant aquarelle, fusain et gouache.
Emmanuel Lepage excelle à représenter les anciens kolkhozes envahis par les herbes. La maîtrise de la lumière, si difficile dans l'aquarelle, est exemplaire. Ses portraits d'enfants ou de paysans sont criants de vérité et comme toujours l'artiste apporte beaucoup de douceur à ses personnages.
Gildas Chassebœuf, quant à lui, retranscrit l'ambiance à travers un dessin plus torturé. Le côté sombre et tragique, la mort qui rôde, sont rappelés par des lavis noirs et des traits plus tranchés.
Des textes écrits par les deux artistes viennent compléter le travail et livrer quelques détails sur leur séjour et l'identité des habitants croisés.
Pour les inconditionnels de l'auteur de Muchacho, voici un livre qui témoigne par-delà les mots de la folie humaine et qui rappelle à nouveau les dangers du nucléaire.

[Critique publiée le 01/07/11]

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V O Y A G E   A U X   Î L E S   D E   L A   D É S O L A T I O N   Emmanuel Lepage - 2011

Futuropolis - 158 pages
20/20   Le bout du monde

    Début 2010, Emmanuel Lepage, François son frère photographe et Caroline, journaliste à l'hebdomadaire Le Marin, embarquent sur le Marion Dufresne, le navire chargé de ravitailler les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises). Un acronyme derrière lequel se cachent des îles qui ont nourri depuis des siècles de nombreux imaginaires : Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam.
Quatre îles ou archipels qui ont fait rêver des nations entières avides de fonder un nouveau monde, qui ont suscité les convoitises les plus folles et qui ont, depuis, été surnommées les « Îles de la Désolation » pour la rudesse de leurs conditions de vie, leur éloignement et isolement incomparables...

  Dès son plus jeune âge, Emmanuel Lepage fût fasciné par les cartes géographiques et leurs noms aux sonorités infinies et exotiques. Ses lectures de Tintin, Melville ou Stevenson ont forgé chez lui ce goût pour l'aventure et l'inconnu. Il n'a donc pas longtemps hésité lorsque l'opportunité lui a été offerte de réaliser ce fabuleux voyage...
Au départ de la Réunion dans l'océan Indien, le navire fait tout d'abord un saut jusqu'à l'île de Tromelin située cinq cent soixante kilomètres au nord. Premier contact avec la faune sauvage et évocation de l'histoire dramatique de cette contrée où une frégate de la Compagnie des Indes s'est échouée en 1761.
Puis démarre la plongée vers le grand sud : une longue navigation pendant laquelle le temps s'arrête laissant à la communauté navigante le loisir de faire plus amplement connaissance.
Le dessin facilite les rencontres et l'artiste breton nous présente ses coéquipiers : le préfet et le sous-préfet des TAAF, un sénateur, un attaché parlementaire, dix-huit touristes, les scientifiques de l'IPEV (Institut polaire français Paul Émile Victor), les techniciens, les logisticiens, les ouvriers et le personnel du navire.
L'île de la Possession dans l'archipel de Crozet est la première terre abordée dans les TAAF. Emmanuel Lepage y saisit une série d'aquarelles sur le vif et dans un froid intense ; paysages, manchots, éléphants de mer et albatros prennent vie sous son formidable coup de pinceau. La démarche de l'artiste est hors norme, originale, incroyable.
Ce panorama de bout du monde est rendu encore plus fascinant par une autre terre de l'archipel, l'île de l'Est, interdite d'accès et visible seulement de loin. Son côté inaccessible et mystérieux laisse une étrange sensation à l'auteur.
La seconde escale se déroule aux îles Kerguelen du nom de ce marin breton chargé par Louis XV de découvrir le nouveau monde austral à la fin du XVIIIe siècle. L'espoir de posséder des terres fertiles et accueillantes aura rapidement été anéanti à la vue de ces côtes abruptes et battues par les éléments naturels.
Aussi grand que la Corse et recouvert en partie d'une calotte glaciaire, Kerguelen est dominé par le mont Ross, son point culminant à 1 731 mètres, et ceinturé d'îlots formant des fjords qui abritent une biodiversité exceptionnelle.
Le Marion Dufresne poursuit ensuite sa route vers Saint-Paul qui est une île volcanique en forme de cratère. À nouveau, la colonisation a été un échec dramatique malgré la convoitise des ressources exceptionnelles en langoustes dans ce secteur. Les cases en couleur sépia racontent cet épisode oublié de l'histoire.
Point d'escale pour le dessinateur sur cette réserve uniquement accessible par quelques scientifiques.
Lepage fera sa dernière halte sur l'île Amsterdam. Ce sera l'occasion pour lui d'y effectuer une randonnée inoubliable en compagnie de quatre amis rencontrés dans les TAAF ; un moment de grâce et de plénitude qu'il réussit admirablement à nous retransmettre.

  Il existe quelques rares bandes dessinées qui renferment une œuvre humaine, humble et intemporelle. Voyage aux îles de la Désolation en fait partie.
Chaque projet de cet artiste costarmoricain aboutit à une merveille et quelques années après le somptueux diptyque Muchacho, Lepage nous offre des dessins et aquarelles incroyables. À mon sens, il est aujourd'hui l'un des plus grands auteurs du 9ème art. Incontestablement.
Mais il demeure aussi un homme qui « vit » son art. Et comme il aime à le répéter souvent : « Dessiner, c'est ma façon d'être au monde. »
Crayon et pinceau deviennent chez lui un prolongement naturel de la main, un média (au sens littéral du terme) pour appréhender l'espace mais aussi l'autre. Car au-delà d'une représentation graphique d'un autre monde, cet épais carnet de voyage est aussi un hymne à la fraternité, une histoire de rencontres humaines, une preuve que l'on peut encore croire en l'homme...

[Critique publiée le 01/01/14]

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U N   P R I N T E M P S   À   T C H E R N O B Y L   Emmanuel Lepage - 2012

Futuropolis - 164 pages
20/20   L'enfer invisible

    Novembre 2007, tout au bout du port du Légué, dans la maison du dessinateur Gildas Chassebœuf : pendant que la nuit enlace de son sombre velours la demeure, une lumière vive jaillit du rez-de-chaussée. Le propriétaire des lieux et quelques membres de l'association Les Dessin'acteurs, dont Emmanuel Lepage, échangent sur l'organisation d'un voyage hors du commun. Il s'agit de monter une résidence d'artistes à Tchernobyl en Ukraine.
Parallèlement, Lepage nous confie l'angoisse qui le saisit lorsqu'il apprend souffrir à la même époque de la « crampe de l'écrivain » ou dystonie myoclonique en langage savant. Tourmenté par sa difficulté récente à manier précisément le crayon, il ne se voit plus continuer ce projet. Au-delà, c'est sa manière d'être au monde à travers le dessin comme il aime le dire qui est totalement remise en cause.
Il finit par accepter le voyage en emportant avec lui quelques craies et fusains dans l'idée de pratiquer son art sans forcer...

  Durant deux semaines, il s'installe avec ses compagnons dans le village de Volodarka situé à vingt kilomètres de la fameuse zone interdite.

  L'auteur fait un travail pédagogique en nous rappelant les principaux éléments de la catastrophe nucléaire survenue le 26 avril 1986 à Tchernobyl.
Les autorités en Ukraine ont attendu trente-six heures après l'explosion au sein du réacteur pour prendre les premières mesures d'évacuation. Pripiat, ville de quarante-huit mille habitants constitués principalement d'ingénieurs, de techniciens et de leurs familles, est vidée presque instantanément grâce à mille deux cents autocars et deux cents camions !
Plus tard, selon l'Organisation mondiale de la santé, ce sont trois cent cinquante mille personnes au total qui seront évacuées d'une zone devenue totalement contaminée. Durant neuf jours, plus de cinq cent mille « liquidateurs » vont se relayer sans relâche pour éteindre l'incendie dans la gueule du monstre. Leur mission est un pur suicide car ils s'exposent à des radiations mortelles.
Tchernobyl est une catastrophe technologique sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Les répercussions sont encore présentes aujourd'hui et la guerre des chiffres comptant les victimes directes ou indirectes fait toujours rage. En 2010, l'Académie des sciences de New York a estimé à un million le nombre de morts dus à la catastrophe entre 1986 et 2004 !

  Le lecteur est plongé en totale immersion dans la zone contaminée grâce au talent incroyable de conteur de Lepage. Il y a ainsi des passages durant lesquels on sent une réelle tension. C'est le cas dans la restitution narrative de la première sortie pour approcher le réacteur : la gravité des dessins en dit long, le silence des personnages montre la stupeur qui les saisit, l'urgence à quitter la zone fait planer l'ombre d'un danger mortel omniprésent encore aujourd'hui.
Malgré les craintes de sa famille avant son départ vers Tchernobyl, le dessinateur costarmoricain n'hésite pas à s'aventurer seul à différentes reprises dans des bois, sur des routes abandonnées, dans des kolkhozes désertées. Armé d'un dosimètre, il mesure le danger qui l'entoure et s'aperçoit même que la contamination est à certains endroits plus forte à l'extérieur qu'à l'intérieur de la zone interdite.
Mais au-delà de la peur des radionucléides, l'auteur se pose la question de la représentation. Doit-il dessiner ce qu'il voit : cette nature luxuriante avec ses verts tendres du printemps, ces animaux sauvages qui ont investi ce qui semble être un nouvel éden ?
Voilà un voyage qui interroge l'artiste au plus profond de son activité. Lui qui pensait dessiner des arbres calcinés, peindre une nature anéantie par la catastrophe, se retrouve à composer de magnifiques aquarelles richement colorées et pigmentées !

  L'autre grande dimension de ce récit réside dans les rencontres humaines très enrichissantes. Lepage et son compère Chassebœuf croisent un ancien liquidateur, un ferrailleur, des personnes âgées attachées à leur terre, des jeunes remplis de dynamisme. Là aussi il pensait vivre des moments austères et mornes mais découvre en réalité joie, vie, musiques et chants dans des soirées familiales inoubliables.
Au fil du séjour, la douleur handicapante quitte son bras et cela ne fait qu'amplifier son désir de dessiner la réalité heureuse qui subsiste à Tchernobyl...

  Un printemps à Tchernobyl est donc à la fois le récit extrêmement bien documenté d'une catastrophe nucléaire et le carnet du voyage introspectif de son auteur.
Lepage a été véritablement secoué par ce lieu où la vie et la mort s'enlacent chaque jour dans une danse funeste. Il a été mis face à lui-même, a dû vaincre de nombreuses angoisses avant de découvrir une joie de vivre et un bonheur de l'instant présent.
Cette prise de conscience a d'ailleurs fait office de thérapie semble-t-il pour se réapproprier l'usage complet de sa main gauche. Ses dessins réalisés au fusain et à la craie attestent cette guérison miraculeuse. Créés dans l'urgence pour limiter les expositions in situ, ils sont complétés dans ce somptueux album par des aquarelles renversantes peintes à son retour chez lui à Plourhan.

  Une fois de plus, Emmanuel Lepage se raconte à travers la représentation de son quotidien en dessin et à l'aquarelle. Il vit ses relations humaines en s'outillant de crayons et pinceaux, ce qui est un formidable moyen de communication universelle.
Bref, il vit son dessin et dessine sa vie. C'est là que réside toute la démarche de cet auteur hors-norme. La sensibilité artistique qu'il déploie depuis La terre sans mal ainsi que la vérité qu'il met dans ses créations font de lui le meilleur auteur de la génération actuelle. Rien que ça !

[Critique publiée le 19/04/19]

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A R - M E N   Emmanuel Lepage - 2017

Futuropolis - 92 pages
20/20   Un défi technique et humain au bout du monde

    Ar-Men est un phare situé dans la mer d'Iroise à moins de dix kilomètres à l'ouest de l'île de Sein.

  L'album débute par une sorte de long travelling partant de la pointe du Raz dans le Finistère sud, se poursuivant par les phares de la Vieille, de Tévennec et de l'île de Sein, avant de se terminer par celui que l'on surnomme « L'enfer des enfers » : le mythique phare Ar-Men (« la pierre » en breton). Car, comme c'est le cas pour le personnage principal prénommé Germain, il faut vouloir vivre dans un lieu aussi reculé et exigu par périodes de vingt jours avec un co-équipier bien souvent taiseux. Les hommes qui ont choisi cette vie d'ermite parlent peu.
Leur vie quotidienne est rythmée par la réalisation méticuleuse des mêmes tâches : surveiller que le feu brille de ses trois éclats blancs, entretenir l'édifice, relever la météo et remettre en ordre l'intérieur lorsque les tempêtes envoient tout valdinguer.
Ces occupations ne les empêchent malheureusement pas de penser, de ressasser des souvenirs parfois amers, de demeurer seuls face à des questions métaphysiques sans réponse. Germain doit ainsi cohabiter avec son passé et ses fantômes lorsque la nuit tombe : « Je suis enfermé dans mon phare comme dans mes souvenirs. »

  Lors d'une tempête particulièrement violente, la mer va jusqu'à décoller des morceaux de crépi à l'intérieur de l'édifice. Germain y fait alors une découverte stupéfiante en voyant apparaître des écritures sous le revêtement qui se décolle ! Celles-ci racontent l'histoire de Moïzez qui a survécu à un naufrage en 1850, alors qu'il n'était encore qu'un nouveau-né, dans les récifs mortels entourant l'île de Sein. Moïzez devient alors le témoin de cette époque incroyable pendant laquelle, lassés des naufrages à répétition, les hommes ont décidé de dresser des vigiles dans la mer.
Une roche de dix-neuf mètres sur douze aux conditions d'accès très difficiles est choisie pour la construction du phare d'Ar-Men dès 1866 sous la direction de l'ingénieur Joly. Jonglant avec les marées, les premiers hommes accosteront la roche pour y creuser des trous durant seulement quelques dizaines de minutes par jour !
Il faudra attendre le mois d'août 1881 pour que le phare s'allume : « Il aura fallu quinze ans de travail, deux cent quatre-vingt-quinze accostages, mille quatre cent vingt et une heures de travail... Et un mort. »

  Que dire des couleurs et du dessin ? Emmanuel Lepage est un maître du 9ème art depuis plusieurs années maintenant et n'a plus rien à prouver sur ce plan.
Malgré tout, l'artiste continue de s'investir corps et âme dans chacun de ses projets car son rapport au monde est façonné par le dessin.
Ainsi, l'auteur costarmoricain s'est carrément rendu dans le phare : déposé par hélitreuillage, il a pu visiter les lieux vides de toute présence humaine depuis 1990, date d'automatisation du site, pour en ressentir l'ambiance, s'en imprégner afin de ne pas tricher dans ses aquarelles. Il a aussi rencontré des témoins de la vie de gardien de phare sur l'île de Sein. Un DVD contenant le documentaire de cette aventure est d'ailleurs inclus dans l'ouvrage édité chez l'excellent Futuropolis.

  Ar-Men est une bande dessinée magnifique aux dessins maritimes très beaux sur les plans graphiques et picturaux. Le choix des couleurs oscillant entre les ocres et le sépia pour la représentation historique et entre le bleu nuit, le gris de Payne et le vert émeraude pour restituer la mer et ses tempêtes est toujours très juste. Des cases plus grandes, absolument splendides, viennent ponctuer la lecture de longs moments de respiration et de contemplation. Je pense notamment à la nuit que passe Moïzez seul sur l'ilot et qui n'est pas sans rappeler certaines cases introspectives de Muchacho... Bravo l'artiste une fois encore !
À noter, ne l'oublions surtout pas, l'hommage dans la page des remerciements rendu au très regretté Bruno Le Floc'h qui avait lui-même raconté en 2004 cette aventure humaine hors-norme dans une bande dessinée, au style très différent mais également superbe, intitulée Trois éclats blancs.

[Critique publiée le 10/03/23]

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T R A M P   |   LE PIÈGE (tome 1)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 1993

Dargaud - 61 pages
17/20   Ambiances maritimes

    Découverte de Rouen à la fin des années 40... Ambiances du port de commerce, de ces bateaux exotiques qui ne font que passer.
Rencontre avec Yann Calec qui est le héros de la série ; son tempérament fougueux, son franc-parler, son amour des femmes le place parmi les grands aventuriers romantiques auprès du grand Corto Maltese.

  L'intrigue débute par l'achat d'un Liberty Ship par un armateur véreux, Julien De Trichère. Celui-ci veut monter une baraterie afin de toucher la prime d'assurance du bateau. Atteint d'un cancer et ayant à sa charge sa fille handicapée, De Trichère veut renflouer les caisses de sa compagnie en faillite et assurer ainsi un avenir décent à Hélène, sa fille. Il engage très peu de frais pour remettre « en état » le navire. Il le confie à un tout jeune commandant en recherche d'emploi, espérant que son peu d'expérience contribuera au bon déroulement de la baraterie. Mais Yann Calec n'est pas si dupe qu'il en a l'air et pressent vite une arnaque.
Tombé amoureux de la secrétaire de l'armateur, il poussera celle-ci à en savoir davantage.
René Floss, personnage antipathique, ancien de la Marmar fait également son apparition. Second de De Trichère, cette gueule peu délicate montrera dès le premier album de quoi il est capable...

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T R A M P   |   LE BRAS DE FER (tome 2)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 1994

Dargaud - 52 pages
17/20   En route vers la Colombie

    Calec embarque sur le Belle-Hélène, le cœur brisé... L'ambiance à bord n'est pas toujours facile, surtout avec un second comme René Floss. Arrogant et moqueur, ce dernier joue avec les nerfs du jeune commandant et la rixe est inévitable. Floss, complice de l'armateur doit cependant se contenir pour ne pas balancer toute la vérité à Calec dans un excès de colère.
La venue inattendue à bord d'une jeune femme clandestine ouvre les yeux à Calec sur le comportement violent de Floss envers les femmes. Rappelé à la raison par le fidèle lieutenant Lemercier, le commandant manque de perdre son sang-froid et d'abattre son second.
Alerté par la réfugiée Rosanna, Calec découvre l'horrible machination. Trop curieux et pertinent pour certains, il est mis à l'écart lors d'une escale en Colombie. Tombé dans une embuscade savamment organisée, il écope de dix-huit ans de bagne pour trafic de drogue par la justice locale...
Le Belle-Hélène peut continuer sa route à l'abri de tout soupçon.

  La ligne graphique de Jusseaume est fine, claire, harmonieuse et efficace. Les couleurs sont chaudes et donnent une épaisseur à l'album. Le texte de Kraehn est passionnant et intelligent (beaucoup de références à Baudelaire).

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T R A M P   |   ESCALE DANS LE PASSÉ (tome 7)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 2005

Dargaud - 56 pages
18/20   Tramp, une série incontournable

    Un troisième cycle débute avec ce nouveau tome.
Yann Calec quitte à nouveau sa femme Rosanna et sa fille Inès. Au ciel gris de Rouen va succéder la chaleur moite du Vietnam.
L'action se situe en plein cœur de la guerre d'Indochine.
Après la seconde guerre mondiale, De Gaulle veut conserver ses colonies françaises. Mais, attiré par une émancipation de son peuple, le Vietminh (parti politique de Hô Chi Minh) lance une offensive contre l'occupation des français.
Calec va prendre le commandement d'un nouveau tramp. La mission est périlleuse car il s'agit bien souvent de convoyer des munitions militaires. À la recherche du fils d'un ami disparu lors du conflit, notre héros va attirer sur lui la curiosité malsaine de la sûreté militaire. En effet, ce fils a été identifié comme déserteur au sein de la Légion Etrangère. En plus du risque d'être soupçonné de complicité, Yann Calec est involontairement plongé dans les affres du passé douteux de son père, ancien agent territorial en Indochine et mouillé dans une affaire militaire obscure pendant laquelle il serait mort.
Un nouveau récit qui laisse beaucoup de questions en suspens sur le père de Calec et la relation qu'il entretenait avec sa femme et son fils. Pourquoi Yann le déteste-t-il autant ? Comment sa mère est-elle morte ? Son père serait-il encore vivant ?

  Une fois de plus, Jusseaume excelle dans son dessin. La retranscription de l'ambiance asiatique, les postures des personnages, la mise en couleur sont magnifiques. Le scénario de Kraehn, comme d'habitude, est fluide et limpide.
À noter que la première édition du titre Escale dans le passé bénéficie de quelques pages collector montrant croquis et essais préliminaires du dessinateur ainsi que d'un texte original écrit par un capitaine de frégate.

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T R A M P   |   LA SALE GUERRE (tome 8)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 2007

Dargaud - 54 pages
18/20   Sensualité asiatique...

    Retour dans les profondeurs de l'Indochine qui, à l'époque des colonies, était constituée du Vietnam, du Cambodge et du Laos.
Au cœur de cette guerre qui s'est achevée par la défaite de la France à Diên Biên Phù en 1954, ce tome nous présente un homme peu ordinaire : Pierre-Yves Calec. Le père de Yann, délégué administratif de Hóc-Môn, une petite cité coloniale située près de Saigon au sud du Vietnam, mène sa propre guérilla contre le Vietminh. En véritable seigneur de guerre, l'homme court-circuite les méthodes plus classiques de la Légion étrangère pour mettre en œuvre les mêmes que celles de l'ennemi, plus barbares et sournoises. Le journaliste de presse internationale Lucien Bodard (ayant réellement existé) raconte ainsi à Calec fils l'épopée de son père quelques années plus tôt.
Yann apprend notamment la liaison que celui-ci entretenait avec Hatu, sa « congaï », ancienne taxi-girl dans un cabaret chic nommé « L'Arc-en-Ciel ». C'est cette femme que le commandant va se mettre à rechercher activement. Séduit par une chinoise proche de Hatu, il va se retrouver embarqué dans une histoire tordue où sa bonne conscience sera bousculée. La jolie meneuse le conduira jusqu'à Hâp Song, un vieux chinois armateur et trafiquant qui aurait aidé son père à rejoindre le Tonkin.
Mais à qui faire confiance dans ce conflit d'intérêt autour du souvenir d'un homme qui semble encore bien présent dans la mémoire de certains ?

  Les deux auteurs nous livrent une suite palpitante dans ce cycle asiatique. Kraehn écrit un scénario dense et bien ficelé tandis que Jusseaume retranscrit à merveille la moiteur exotique de l'Indochine.
Les références historiques sont précises et le lecteur trouvera beaucoup de plaisir à s'instruire de façon aussi agréable.
Ce tome nous démontre également la complexité d'une guerre : il y a toute une série de codes, de sous-entendus, de comportements paradoxaux dans les différents camps. Un conflit ne se résume pas à deux couleurs, du noir ou du blanc, mais englobe également tout un dégradé de gris à travers ces personnages ambivalents qui peuvent se comporter de façon totalement inattendue. Yann Calec sera d'ailleurs parfois pris au piège et devra remettre en cause ses croyances et préjugés sur la dualité au sein d'une guerre...

  Et pour terminer, voici quelques mots issus du vietnamien et régulièrement utilisés dans cette histoire : « congaï » = concubine indigène d'un colon, « niah-koué » = paysan (terme péjoratif), « bo-doï » = soldat du Vietminh.

[Critique publiée le 13/12/09]

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T R A M P   |   LE TRÉSOR DU TONKIN (tome 9)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 2009

Dargaud - 55 pages
18/20   Un Indiana Jones breton !

    Voici le tome qui clôt la trilogie asiatique. Comme le suggère avec limpidité le titre, il s'agit là d'une histoire de trésor dans la partie nord du Vietnam : le Tonkin. Ainsi donc le père de Yann Calec était engagé dans une chasse à l'or dans une zone dangereuse du pays, tenue par le Vietminh.
Mais ce genre de quête attise rapidement toutes les passions et les Durand, agents véreux de la sûreté militaire, sont également très intéressés...
Le commandant de la marine marchande va enfin mettre la main sur Hatu et même rencontrer son demi-frère ! Ces péripéties, alliant trahisons et révélations, éloigneront le marin de son milieu de prédilection pour lui faire prendre les airs à bord d'un vieux junker piloté presque à l'aveuglette pendant dix-sept heures...
Entre Son La et Lai Chau, pays où l'opium règne en maître, en passant par le fameux col des Méos déjà décrit dans le précédent tome, notre héros vivra l'épilogue d'une chasse au trésor sans merci. Mais à quel prix pour celui qui a toujours voulu se conduire de façon irréprochable ?

  Au dessin classieux de Jusseaume se marie une histoire bien ficelée où les interrogations posées précédemment trouvent réponse.
La recherche du trésor, qui paraît le but ultime de chacun, demeure moins importante que l'évolution des personnages et la profondeur des psychologies décrites. Tout le travail de Kraehn a résidé dans cette évocation d'un réalisme des passions humaines, tantôt nobles et d'autre fois plus perfides voire même ignobles.

  Quel nouveau voyage s'annonce dans le prochain cycle qui est déjà en réflexion chez les auteurs ? La réponse d'ici deux ou trois ans sans doute...

[Critique publiée le 13/12/09]

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T R A M P   |   LE CARGO MAUDIT (tome 10)   Patrick Jusseaume / Jean-Charles Kraehn - 2012

Dargaud - 56 pages
14/20   Ambiance polar aux docks de Rouen

    Après son périple en Indochine, Yann Calec revient à son port d'attache : Rouen.
Son nouveau projet consiste à devenir l'armateur de son propre Liberty Ship acheté avec l'argent du trésor du Tonkin. C'est également lui qui recherchera du fret à transporter et assurera le rôle du commandant.
Cette indépendance vis-à-vis de son ancien employeur, les Chargeurs & Affréteurs Réunis, est vue d'un mauvais œil par celui-ci car la démarche pourrait nourrir d'autres ambitions et ruiner ainsi le commerce des grandes compagnies maritimes.
L'achat du Marlen Tramp, un cargo en partie détruit par un incendie lors de sa dernière traversée, se poursuit par le recrutement de l'équipage. Rebaptisé Pierrick, en hommage au père du nouveau pacha, le bateau doit naviguer sous pavillon libérien afin de s'affranchir de l'obtention du certificat de navigabilité français, difficile à obtenir pour un homme seul. A nouveau, les syndicats provoquent quelques ennuis à Calec lors des entretiens pour intégrer le personnel de bord qui devra donc accepter des conventions collectives très peu avantageuses.
Pour noircir encore plus le tableau, un meurtre, dont la victime repose dans une mise en scène glauque, est perpétré sur le navire et figure le point de départ d'une terrible machination dont Calec et sa famille risquent bien d'être les martyrs...

  La grande nouveauté de cette histoire est le lieu où se déroule l'action. Calec ne vit pas ses aventures à l'autre bout du monde comme auparavant, mais chez lui, en Normandie. D'autre part, le récit tient sur un seul tome, du jamais vu dans la série !
La double intrigue autour du cargo maudit, imaginée par Kraehn, tient toutes ses promesses durant une grande partie de l'album. Malheureusement, le dénouement est un peu précipité et sans grande surprise. Cette petite déception est renforcée par le changement de dessinateur dans les toutes dernières pages. Autant Jusseaume dessine avec grâce et classicisme l'ambiance maritime des années 50, autant Kraehn, qui prend le relais, use d'un trait plus rapide et approximatif, donc moins efficace.
Mais, des problèmes de santé du dessinateur semblant être la cause de ce raccord, il serait injuste d'en vouloir au duo d'auteurs...
La suite est déjà attendue avec impatience.

[Critique publiée le 13/10/12]

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S I L L A G E   |   À FEU ET À CENDRES (tome 1)   Philippe Buchet / Jean-David Morvan - 1998

Delcourt - 48 pages
18/20   Un dessin de très haut niveau

    D'emblée on ne peut que être séduit à l'ouverture de cet album ! La mise en page, les couleurs verdoyantes... Et puis en y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il y a vraiment quelque chose de particulier au niveau des couleurs. Quelque chose d'artificiel.
C'est le travail de Philippe Buchet et de son équipe les Color Twins sur Photoshop ! Les couleurs sont entièrement réalisées sur ordinateur. On est pour ou contre mais force est de constater que le résultat est magnifique, les contrastes saisissants, les ombres et reliefs parfaitement réels, la granularité épurée et uniforme. L'ordinateur ne fait pas tout, le travail de l'artiste est également présent. Et il faut très certainement beaucoup de talent pour obtenir un effet aussi saisissant.

  Ceux qui ne seront pas sensibles au travail du binôme artiste/ordinateur ne pourront pas nier la qualité du trait de Buchet. Le dessin est somptueux, toujours égal à lui-même au fil des pages. Les volumes (dont le rendu est mis en exergue par le travail numérique) sont harmonieux. La maîtrise des proportions est parfaite. Une légère influence manga est visible car le dessinateur aime cet art oriental mais l'ensemble reste parfaitement dans l'esprit de la bande dessinée européenne avec une ligne claire facilement identifiable.
Il y aurait encore beaucoup à dire car les créatures extraterrestres sont originales, la lisibilité est soignée, le scénario de Morvan est limpide (contrairement à certains scenarii de science-fiction qui sont parfois tordus) et recherché.
Bref, un premier tome qui promet une belle série et qui justifie parfaitement le succès international de la jeune Nävis.

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L E S   C R I S   D E   N O R T S O   |   (tome 1)   Antoine Ronzon / Pierre Vanloffelt - 2003

Paquet - 56 pages
19/20   Une mise en couleurs magnifique

    Ce premier tome d'un triptyque annoncé débute au Soudan en 1920.
Sir Kittenberg, colon blanc, rêve d'enrichir sa collection de trophées de chasse en lui offrant la tête de Bagara. Or, ce buffle, imaginaire pour beaucoup, représente la divinité de la tribu Nouba qui vit sur ces territoires africains. Malgré les recommandations prodiguées, Kittenberg parvient à tuer la bête.
Les dieux se vengeront-ils ? Toujours est-il qu'à ce moment précis naît Okuo.
Vingt-cinq ans plus tard, Okuo est un Nouba beau et fort. Craignant la misère grandissante de son peuple, il décide de se rendre en ville pour y travailler. Fruit du hasard ou mécanique céleste, le jeune homme est engagé en tant que boy dans la propriété de Kittenberg fils.
Intrigué par les peintures de la femme du blanc, il va lier avec elle une amitié toute en pudeur et en respect. À l'opposé de Kittenberg qui ne voit dans ses boys que des sauvages inférieurs, sa femme va tomber amoureuse d'Okuo. Leur amour fulgurant et passionné finira en drame.
C'est l'histoire d'un amour impossible entre une riche blanche et un pauvre noir. C'est l'histoire de l'Afrique et de ses croyances, des peuples autochtones qui respectent la nature, des colons blancs qui n'apportent que sang et dépravation.

  En partant d'une divinité animale, Vanloffelt nous conte une belle histoire, simple et triste. Le scénario est habilement présenté dans un écrin chaud et aux mille couleurs. Antoine Ronzon, jeune débutant dans le monde de la bande dessinée n'a certainement rien à envier à des dessinateurs plus expérimentés.
Chaque case est un tableau et celles qui sont en pleine page sont d'une beauté renversante.
Les couleurs de l'Afrique sont là, il ne manque plus que les odeurs...
Les jeux d'ombre et de lumière sont saisissants. Certaines pages ne comportent aucun dialogue et c'est le dessin de Ronzon qui raconte l'histoire. La scène d'amour est admirable et le silence des mots ne fait qu'accentuer la force du dessin et la passion des amants.
Un sacré travail d'artiste qui mériterait davantage de reconnaissance de la part des médias. C'est donc avec une forte impatience que le tome 2 est déjà attendu...

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L E S   M E I L L E U R S   A U T E U R S

Voici la liste des auteurs de bande dessinée qui me fascinent le plus aujourd'hui. Ils sont tous dessinateurs car, à mes yeux, le point d'entrée dans le 9ème art reste le graphisme. Beaucoup sont également scénaristes ou, si ce n'est pas le cas, ont su faire appel à de grands créateurs en la matière.
L'ordre de présentation ci-dessous ne reflète en aucun cas un quelconque classement entre eux. De façon analogue, la couverture d'album illustrant chaque nom ne présume en rien une préférence dans leur bibliographie respective.


HERGÉ - Belgique (1907 - 1983)

Hergé a créé le plus célèbre personnage de l'histoire de la bande dessinée. Depuis 1929, Tintin émerveille toutes les générations à travers ses aventures dans le monde. Hergé a inventé la ligne claire et une nouvelle façon de traiter la couleur par aplat. Maître de beaucoup d'auteurs actuels, ce génie du 9ème art a produit une œuvre considérable. Un enfant en maternelle ou un philosophe de la trempe de Michel Serres peuvent ré-enchanter leur monde intérieur grâce aux aventures de ce héros dont les niveaux de lecture et clés d'entrée sont denses et multiples.



EDGAR P. JACOBS - Belgique (1904 - 1987)

En 1946, ce collaborateur d'Hergé lance les aventures de Blake et Mortimer dans le premier numéro du journal Tintin. Les péripéties de ces deux gentlemen britanniques et de leur ennemi juré Olrik sont aujourd'hui devenues mythiques. La qualité exceptionnelle des histoires mêlant enquête policière et science-fiction ainsi que l'élégance parfaite des dessins expliquent les raisons de cet engouement. Ayant débuté sa carrière à l'opéra de Lille en tant que baryton, Jacobs a insufflé à ses dessins, mises en page et dialogues une dimension théâtrale qui n'est pas sans rappeler celle des œuvres de Shakespeare.


EMMANUEL LEPAGE - France (1966)

Voici un auteur qui possède un talent absolument exceptionnel. Autodidacte en dessin, Lepage a été formé dans sa jeunesse par le dessinateur Jean-Claude Fournier dont il admirait le travail. En 1991, il signe la série Névé qui le fait connaître. Dès lors, son savoir-faire explose avec les albums La terre sans mal et Muchacho. Depuis, le breton s'investit corps et âme dans le dessin en se rendant à Tchernobyl, aux Kerguelen ou en Antarctique pour témoigner d'expériences incroyables avec une grande acuité artistique. Emmanuel Lepage est aujourd'hui mon maître en aquarelle.


JEAN-PIERRE GIBRAT - France (1954)

Après des formations dans le graphisme publicitaire et les arts plastiques, Jean-Pierre Gibrat débute une carrière de dessinateur de bande dessinée en 1977. Ses premiers dessins sont diffusés essentiellement dans la presse. En 1997, il publie le premier tome du diptyque Le sursis qui connaît un succès considérable et révèle la virtuosité de l'auteur. L'histoire raconte une romance tragique durant la seconde guerre mondiale. Le réalisme des personnages ainsi que la mise en couleur directe sont formidables. Gibrat fait un beau travail d'aquarelliste en maîtrisant lumière et transparence de cette technique. Il poursuit depuis son œuvre en publiant un nouvel opus tous les trois ans environ.

ENKI BILAL - ex-Yougoslavie (1951)

Qui ne connaît pas les dessins torturés de Bilal ? Sa femme aux cheveux bleus, ses poissons volants ou ses êtres transpercés sont autant de caractéristiques typiques de son œuvre picturale incroyable. Au-delà du dessin exceptionnel, le traitement de la couleur est aussi sa marque de fabrique. Des gris colorés réveillés par des couleurs primaires éclatantes ou rehaussés par du pastel blanc témoignent d'un puissant travail de recherche artistique. Peignant sur des formats de plus en plus grands, Enki Bilal considère chaque case comme un tableau à part entière. Quant à ses histoires, elles interrogent l'homme sur sa condition et son futur avec beaucoup de noirceur et de mélancolie... Magistral !

PHILIPPE DELABY - Belgique (1961 - 2014)

C'est en lisant Tintin que le jeune Philippe Delaby a découvert sa passion pour la bande dessinée. A 14 ans, il entre à l'Académie des beaux-arts où il se forme en dessin académique et peinture à l'huile. Féru d'histoire, il entame en 1997 Murena, une incroyable série sur la Rome antique où il explore avec le scénariste Jean Dufaux le règne de Néron. L'œuvre connaît un succès immédiat grâce au didactisme du récit. L'excellence graphique est aussi au rendez-vous avec une force et une maîtrise du dessin rarement vues jusqu'à alors. Au sommet de son art, il disparaît brutalement à l'âge de cinquante-trois ans.


JIRÔ TANIGUCHI - Japon (1947 - 2017)

Taniguchi est celui dont l'œuvre réconcilie les lecteurs de mangas, de BD franco-belges et de romans graphiques. Très prolifique dès les années 70 dans son pays natal, il est fortement influencé dans son travail lorsqu'il découvre les productions européennes. Créant une passerelle entre le monde de la ligne claire chère à Hergé et la sobriété du style manga, le japonais a créé son propre univers. S'appuyant sur un graphisme immédiatement identifiable par son esthétisme, il tisse des récits où sensibilité et émotion juste affleurent à chaque page. Quartier Lointain ou Le journal de mon Père en sont des exemples de toute beauté !


PHILIPPE FRANCQ - Belgique (1961)

Philippe Francq a suivi la voie royale pour apprendre le métier d'auteur de BD en étudiant durant six ans à l'Institut Saint-Luc de Bruxelles. Après quelques collaborations diverses, il rencontre le scénariste Jean Van Hamme. Celui-ci lui propose d'illustrer les adaptations de ses romans Largo Winch. Née en 1990, la série connaît un incroyable succès. Le découpage intelligent en diptyques, la clarté des explications sur le monde complexe de la finance, la fluidité du récit et la précision du dessin sont les clés de cette réussite. Francq évoque avec brio l'action et le mouvement chez les personnages et soigne jusqu'à la perfection les décors qu'ils soient naturels ou urbains.

PATRICK JUSSEAUME - Côte d'Ivoire (1951)

Jusseaume a suivi des études de beaux-arts à Rouen avant de devenir professeur de dessin. En 1991, il rencontre le breton Jean-Charles Kraehn. Ensemble, ils imaginent une nouvelle série de bande dessinée intitulée Tramp. Consacrés au monde de la marine marchande dans les années 50, les différents tomes, formant des cycles, relatent les péripéties du capitaine Yann Calec aux quatre coins du monde. Le dessin documenté et très élégant de Jusseaume allié à un solide scénario ont fait de cette série une valeur sûre où aventure, armateurs véreux, filles vénéneuses et trafic en tout genre sont au rendez-vous !


ANA MIRALLES - Espagne (1959)

Miralles est devenue illustratrice après l'obtention d'un diplôme en beaux-arts. Publiant tout d'abord dans diverses revues, elle se lance dans la bande dessinée avec son compagnon Emilio Ruiz. En 2001, elle crée la série Djinn avec le scénariste Jean Dufaux. Le premier cycle se déroule en Turquie et relate l'histoire de Kim Nelson à la recherche de ses origines. Deux autres cycles, situés en Afrique puis en Inde, remportent également l'adhésion des lecteurs. Les couvertures splendides, l'érotisme raffiné des dessins, le travail d'orfèvre à l'aquarelle et le contexte historique passionnant sont les multiples atouts de cette formidable série.


BRUNO LE FLOC'H - France (1957 - 2012)

Bruno Le Floc'h, né à Pont-l'Abbé, a suivi des études en arts décoratifs à Paris. Storyboarder, il a notamment participé au film d'animation L'Île de Black Mór qui a connu un joli succès critique. En 2003, il rejoint le monde de la BD avec un premier album consacré à la Bretagne. Trois éclats blancs, publié l'année suivante, le fait véritablement connaître. Son œuvre se poursuit alors à travers ses thèmes fétiches : la Bretagne, l'univers maritime, le monde de l'art,... Son coup de crayon formidable et ses mises en couleur stupéfiantes manquent aujourd'hui au 9ème art. Je suis aussi nostalgique de nos nombreuses discussions...


JUANJO GUARNIDO - Espagne (1967)

Guarnido a suivi des études aux beaux-arts de Grenade. Il a publié de nombreuses illustrations et également travaillé dans le milieu du dessin animé. En 1993, il intègre les studios d'animation Disney de Montreuil. Parallèlement, il réalise le premier tome de la série Blacksad avec le scénariste Juan Díaz Canales. Sorti en 2000, l'album est salué pour son originalité : les personnages sont des animaux anthropomorphes dans l'Amérique des années 50. La justesse dans le choix des animaux en fonction de leur caractère, la virtuosité du dessin, la maîtrise de l'aquarelle et la profondeur des histoires ont fait de cette série un chef-d'œuvre du 9ème art.


MILO MANARA - Italie (1945)

Milo Manara, né en Italie, aborde très tôt le monde de l'art à travers ses études et premières expériences en sculpture et architecture. Pour gagner sa vie, il se lance dans la bande dessinée très présente à cette époque dans les fumetti. Il illustre des livres éducatifs, des histoires fantastiques ou de piraterie. En 1978, il crée la série Giuseppe Bergman dans laquelle l'érotisme tient une place importante. Manara collabore aussi avec Fellini et son ami Hugo Pratt. Maître de la BD érotique, son trait est immédiatement reconnaissable. Ses femmes, aux corps parfaits, font partie des figures mythiques du 9ème art !


HERMANN HUPPEN - Belgique (1938)

Hermann a vécu une enfance difficile à cause de la guerre. Après une formation d'ébéniste, il étudie le dessin d'architecture et de décoration intérieure à l'Académie des beaux-arts de Bruxelles. Grâce à son beau-frère qui dirige une revue, Hermann publie sa première histoire. Sa notoriété s'accroit grandement avec la série Bernard Prince scénarisée par Greg. En 1977, il se lance seul dans une autre grande saga : Jeremiah. Il a publié depuis de nombreux one-shots et obtenu en 2016 le Grand prix d'Angoulême. Sa maitrise du dessin des personnages et des décors ainsi que des couleurs à l'aquarelle est mise au service d'histoires tragiques, bien souvent porteuses d'un message engagé.


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D É D I C A C E S

André Juillard : Blake et Mortimer - La machination Voronov (2000)

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H O M M A G E   À   B R U N O   L E   F L O C ' H

    Une pensée pour Bruno Le Floc'h qui nous a quittés brutalement le 5 octobre 2012.

  Ce dessinateur et scénariste bigouden avait publié huit ouvrages exceptionnels depuis 2003. Dès le début, son graphisme époustouflant l'a élevé parmi les grands du 9ème art, dans la lignée directe d'Hugo Pratt.
Je l'avais rencontré à de nombreuses reprises et garde un excellent souvenir de ce personnage généreux.

© Photo - Brieg Haslé-Le Gall.
L'excellent site en sa mémoire : www.auborddumonde.org





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Dernière mise à jour : 10/03/23
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