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![]() Grasset - 363 pages 20/20 Un cri d'indignation dans un écrin littéraire ![]() En 2017 et 2018, Yann Moix s'est intéressé de près à la situation des migrants à Calais. Après de nombreux allers-retours sur le lieu, caméra au poing, il a monté un documentaire pour Arte. Re-Calais a été diffusé le 9 juin 2018 sur la chaîne franco-allemande. Effaré par l'expérience qu'il a vécue dans la zone de non-droit, il a également adressé une lettre ouverte au président de la République Emmanuel Macron afin de dénoncer sa politique d'accueil des migrants. Publié le 21 janvier 2018 dans le quotidien Libération, la tribune n'a pas manqué de faire réagir le préfet du Pas-de-Calais ainsi que le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb. L'écrivain a finalement poursuivi sa démarche en écrivant un livre entier à l'attention du Président français. Dehors est une longue missive de plus de trois cents pages où Moix dénonce dans son style bien à lui une politique qu'il juge indigne d'un chef d'État prônant dans ses beaux discours une Europe solidaire et fraternelle envers les peuples en souffrance. Yann Moix, génial écrivain de l'excès et de l'absurde, ose prendre position et vider son sac face à la démagogie politique qui perdure sur le sujet des migrants depuis le mandat de Nicolas Sarkozy. Évidemment, on pense tout de suite au J'accuse... ! d'Émile Zola qui prit la défense en 1898 de Dreyfus à travers une lettre adressée publiquement au président Félix Faure. Cela conduira le grand écrivain, au sommet de la gloire, à s'exiler à Londres. Victor Hugo avait déjà lui aussi publié en 1852 un livre pamphlétaire, Napoléon le Petit, dans lequel il dénonçait avec violence le coup d'État commis par Louis-Napoléon Bonaparte l'année précédente. Il deviendra un proscrit et quittera la France pour la Belgique puis les îles anglo-normandes... Il y a ainsi une tradition française de l'écrivain garant de la justice et du respect des valeurs de la République : liberté, égalité et fraternité. En toute humilité, Moix s'inscrit dans cette lignée. Et là aussi est tout le pouvoir de la littérature : dénoncer, se révolter, crier l'injustice. L'écrivain est le témoin de son époque, il est le représentant le plus légitime pour traduire en mots les maux du monde. L'écrit demeure l'arme la plus réfléchie ; il permet de poser les faits, d'engager une réflexion, d'approfondir la compréhension, d'enrichir de manière pérenne le débat. Le livre est l'arme de l'intelligence. La France reste un pays où l'expression n'est pour le moment pas censurée. Nos écrivains doivent saisir cette chance quand d'autres mettent leur avenir en jeu pour avoir pris position avec leur stylo contre des exactions bafouant les droits primordiaux humains. Je pense par exemple à Asli Erdogan en Turquie. Rédigé en un mois et demi seulement - un bel exploit -, Dehors décrit de façon factuelle le fonctionnement de la zone calaisienne et de la politique migratoire française tout en livrant des témoignages plus personnels de l'auteur à la suite de son séjour en immersion auprès des victimes directes de cette tragédie mondiale. L'auteur du gigantesque Naissance, en grand amoureux des mots qu'il est, revient longuement sur le choix du terme « migrant ». Ce mot est selon lui inapproprié et est à remplacer par son cousin « exilé ». Le premier reflète une action choisie de changer de lieu tandis que le second sous-entend le bannissement, l'arrachement, l'obligation de fuir. Ainsi, il écrit : « Le migrant est installé à l'intérieur ; l'exilé est propulsé à l'extérieur. La migration est une marche ; l'exil est un bond. La migration est une possibilité ; l'exil est une nécessité. La migration est un au revoir ; l'exil est un adieu. La migration est paix ; l'exil est guerre. La migration est un bonheur ; l'exil est un malheur. La migration est organisée ; l'exil est précipité. La migration est voulue ; l'exil est subi. » Ou plus loin : « Le lieu de la migration, c'est une destination ; le lieu de l'exil, c'est l'exil. La migration est transitoire ; l'exil est perpétuel. La migration est finie ; l'exil est infini. » Yann Moix construit son discours en s'appuyant sur le texte de Virgile, l'Énéide, qui relate la fuite d'Énée de la cité de Troie dévastée par les grecs. Il dénonce également l'absurdité des accords du Touquet signés au début des années 2000 et laissant à la France le soin de stopper le flux des exilés vers la Grande-Bretagne. Le Brexit n'a d'ailleurs rien changé, Theresa May s'étant contentée de verser une somme d'argent à notre pays afin de poursuivre son petit marché de sous-traitance du contrôle aux frontières... Le fil rouge de ce pamphlet réside dans cette contradiction grossière entre les discours et les actes du président de la République. Ainsi, l'auteur du tragique Anissa Corto étrille à de nombreuses reprises le chef de l'État : « Votre discours est l'inverse de votre action. » « Vous vous croyez éloquent : vous n'êtes que démagogue. » « Essayez, monsieur le Président, d'écouter ce que vous prononcez : vous embrassez toutes les évidences, vous convoquez toutes les tautologies. » « Je me souviens, disais-je, d'un discours à la Sorbonne. Ce sommet de verbiage convenu, ce chef-d'uvre du panache rapetassé et de l'éloquence flapie fut péroré, disais-je encore, le 26 septembre 2017. Dans cette terne envolée, vous sortez les grands mots comme jadis, le dimanche, on sortait le haut-de-forme. Dès la première minute, les mots "histoire", "identité", "horizon", "avenir" jaillissent de votre bouche comme, sur le parvis du Centre Beaubourg, les flammes du cracheur de feu torse nu qui se gargarise d'essence à briquet. » Autre fait, déjà connu depuis longtemps, mais qu'il faut toujours rappeler : l'Europe est un grand fabricant d'armes et Macron comme ses homologues se félicitent à chaque nouveau gros contrat remporté. Ces mêmes armes feront le lit des violents conflits en Moyen-Orient et en Afrique jetant ainsi des populations désespérées sur les rives méditerranéennes en quête d'un monde meilleur. Ainsi, l'exemple de l'entreprise Thales est éloquent : pourvoyeur de missiles et fusils d'un côté, fournisseur des drones de surveillance des migrants à Calais de l'autre. Un bel exemple d'économie circulaire ! L'Europe de l'argent avant celle de l'humanité. Yann Moix ne mâche pas ses mots : « La France, cette belle patrie des beaux droits de l'homme, appuie au Yémen une campagne militaire particulièrement meurtrière. Vous vous réjouissez, je crois, des records de ventes d'armes - à la coalition saoudienne - que nous battons dans cette région en péril, où les ennemis désignés sont les Houthis chiites. » Et encore : « Les crimes de guerre font des heureux en France, c'est l'essentiel. Les cadavres des innocents servent de vitrine universelle à l'excellence technologique nationale, monsieur le Président - nous sommes fiers de vous. » La notion de « délit de solidarité » est battue en brèche très simplement : citant des citoyens de tout horizon, l'auteur montre quelques exemples aberrants de secours portés à des hommes, femmes et enfants en souffrance absolue et freinés dans leur urgence par des considérations procédurières avant d'être souvent condamnés ensuite par la justice ! Ces anonymes qui devraient être salués comme des Justes sont aujourd'hui vilipendés. C'est, par exemple, le cas de Mme Landry : « Mme Martine Landry, pour laquelle j'ai plus de respect que je n'en aurai jamais pour vous - pour cette simple raison qu'elle incarne davantage que vous la République dont vous n'êtes que le Président quand elle en est le symbole ; pour cette évidente raison que de la République vous n'avez en charge que la présidence quand elle en a en charge la survivance -, Mme Martine Landry est membre d'Amnesty International ; c'est une délinquante de soixante-treize ans. Elle risque cinq ans de prison et trente mille euros d'amende pour avoir aidé deux exilés mineurs venus d'Italie à pénétrer "pédestrement" en France. » Yann Moix manie la langue française à la perfection. Son texte est donc d'autant plus convaincant et justifié. Il excelle dans l'usage d'envolées lyriques, redondances, anaphores et autres phrases coups de poing. Prince de la prose, l'auteur du burlesque Podium ponctue sans cesse son discours de « Monsieur le Président », rappelant ainsi avec respect que son texte n'est rien d'autre qu'une longue interpellation à celui qui possède une grande partie des clés pouvant améliorer la tragédie qui se joue en Europe et à ses portes. Le style Moix est entier, excessif avec justesse, percutant et tellement puissant : « Je sais bien, monsieur le Président, que vous ne savez pas de quoi je parle ; vous n'avez jamais mis les pieds à Calais. Le Calais que vous visitâtes le 16 janvier 2018 n'existe pas, n'a jamais existé. C'était un Calais de cinéma, un Calais classe affaires, un Calais de luxe ; c'était un Calais purgé. Le Calais où vous fîtes un autre de vos fameux discours n'était pas situé à Calais, mais sis dans vos idées. Ce n'était plus le Calais de l'exil, mais le Calais de l'Élysée. Ce n'était plus un Calais d'errance ; c'était un Calais de présidence. Ce jour-là, il y avait moins d'Afghans à Calais qu'à Winnipeg. C'était un Calais pipé. C'était un Calais arrangé. C'était, monsieur le Président, un Calais sur mesure. C'était un Calais macronisé. » Dénonçant les tests osseux et les interrogatoires délirants permettant de déterminer si un individu est mineur et donc automatiquement accueilli et protégé par l'État français, Moix « s'amuse » à écrire des lettres de refus. Il laisse ainsi éclater ses talents d'orateur de l'absurde, de dialoguiste de l'impossible dans de longs monologues caricaturant à peine la bureaucratie étatique empêtrée dans sa lourdeur face à des situations humaines réclamant avant tout écoute et compréhension. On se surprend même à rire dans la réponse imaginaire invitant un certain Najib à se suicider proprement pour ne point déranger. Un rire pathétique, un rire oscillant entre pitié, révolte et saturation face à ce déluge de comportements odieux de la part des caciques de l'État français ! Le chapitre entier dédié au ministre de l'Intérieur est absolument jouissif. J'ai relevé l'ensemble des quolibets incroyables dont Moix affuble Gérard Collomb. En voici la liste : « tyranneau décati de l'Intérieur » « Javert cacochyme » « bouddha chimiothérapique » « croque-mort de Morris » « piaculaire punaise de Jupiter » « corrodante éprouvette d'acide faite d'homme » « momie frustrée » « Monte-Cristo de série Z jailli de son ergastule lyonnais » « rudéral séide » « aigrefin d'illustré d'avant-guerre » « excavé héraldique » « imperturbable Première volaille de France » « Gnafron de l'hubris » « flaccide créature » « Verdurin des noyés d'aujourd'hui » Et une dernière citation pour le plaisir : « Attifé comme un notaire de la IIIe République, endimanché comme un bourgeois de Charleroi, M. Collomb ânonne, avec une componction sacerdotale, les salmigondis les plus indigents sur tous les sujets qu'il effleure. M. Collomb a le verbe poussif, l'expression morne et le débit paralytique. » Que penser du soutien de la France au régime dictatorial du Soudan dans le traitement des migrants ? Collaborer avec les fonctionnaires d'un chef d'État accusé entre autres de crimes contre l'humanité est honteux. Comment accepter que les compagnies aériennes en France soient dans l'obligation de reconduire ces malheureux dans leur pays d'origine sous peine de se voir infliger de terribles amendes ? Comment rester insensible face à ce témoignage du jeune homme qui a préféré se suicider dans son centre de rétention français quand il a appris le rejet de sa demande d'asile et pensé aux tortures mortelles qui l'attendaient à son retour « chez lui » ? Idem en Scandinavie : « En suède, monsieur le Président, des jeunes exilés se sont donné la mort pour ne pas rentrer chez eux ; ils ont préféré la mort choisie à la mort subie. » Face aux démagogues et inconscients qui n'ont pas encore compris ce qui nous attend, Moix n'oublie pas de mentionner que le réchauffement climatique est aussi en grande partie à l'origine des migrations et exils actuels. Son emballement va provoquer à court-terme des mouvements bien plus conséquents qu'aujourd'hui : « D'ici trente ans, monsieur le Président, deux cent cinquante millions d'exilés auront quitté leur contrée pour des raisons climatiques. [...] Le réchauffement climatique va exacerber et multiplier les dangers, produisant à l'infini de la mort et de la souffrance. [...] Les frontières seront redessinées, renégociées non par les décisions des hommes mais par les caprices de la nature. Les typhons prendront la place des dictateurs. » Yann Moix fait dans Dehors un état des lieux sur la crise migratoire actuelle. Il s'adresse avec ferveur à Emmanuel Macron, garant des valeurs républicaines de liberté, égalité et fraternité, pour l'interpeller sur le manque de compassion de la France envers les exilés et lui démontrer l'absurdité des situations quotidiennes vécues par ces hommes, femmes et enfants qui meurent à petit feu. Un livre poignant, courageux, essentiel et sans concession avec Emmanuel Macron : « Parce que la première grande crise du 21e siècle, vous l'aurez ratée ; vous vous rendez coupable, non seulement d'amateurisme, mais de non-assistance à personne en danger. » Notre président de la République, ostensiblement attaché aux lettres, restera-t-il indifférent au cri de l'un des plus grands écrivains contemporains de son pays ? [Critique publiée le 19/04/19] ![]() O R L É A N S Yann Moix - 2019 Grasset - 262 pages 19/20 Roman d'humiliation ![]() Né en 1968, le futur écrivain a grandi à Orléans. Et cette période clé de la vie a été terriblement malheureuse pour le petit garçon qu'il était. Le livre permet de comprendre bien des choses sur le personnage qu'il est aujourd'hui devenu, si décrié par certains, si adulé par d'autres, car il se met à nu dans ce texte sincère et très soigné sur le plan littéraire. Certains passages laissent sans voix et sont révoltants. Comment peut-on faire autant de mal à un être sans défense, comment peut-on écraser à ce point son fils ? La violence faite aux enfants est malheureusement commune et c'est parfois dans les familles les plus lisses en apparence qu'elle se déchaîne avec le plus de force. L'épigraphe qui ouvre le récit annonce la couleur en reprenant les mots du grand Victor Hugo dans L'homme qui rit : « Ce qui est fait contre un enfant est fait contre Dieu. » Le livre, à sa sortie, a évidemment fait du bruit. L'affaire est sortie du cadre purement littéraire lorsque le père de Yann Moix, José Moix, a contrebalancé les accusations portées contre lui et sa femme, que le frère est allé dans le sens du père tandis que la grand-mère prenait la défense de l'écrivain. L'une des questions que chaque lecteur d'Orléans se posera inévitablement est la véracité du propos. Tout est-il exact, un peu déformé ou carrément inventé ? Qui ment dans l'affaire, le père ou le fils ? Chacun gardera ses secrets et jamais la réponse ne sera définitive. Mais à mon avis se tient là un faux débat. Outre le fait qu'à titre personnel je pense Yann Moix vraiment sincère et honnête, la question de la part de fiction - en supposant qu'il y en ait une - dans la biographie ne doit pas nuire à l'appréciation de ce beau texte. Peu importe finalement car cette histoire serait purement inventée qu'elle n'en serait pas moins tragique et intense. Mais encore une fois, la réalité peut dépasser la fiction et les lignes écrites ici en témoignent selon moi. Rédiger la chronique d'un livre de Moix n'est jamais simple. Il y a tant de choses à dire sur le plan et sur la forme. Plutôt que de paraphraser, je suis bien souvent obligé de citer de nombreux extraits qui se suffisent à eux-mêmes. Car c'est lire Yann Moix qu'il faut faire pour se délecter du nectar du fruit qu'il nous offre et se débarrasser des scories de toutes ces rumeurs et autres scandales qui donnent une image biaisée du bonhomme. Alors, allons-y, laissons le Maître parler à travers quelques extraits... Au sujet de sa mère, digne de Folcoche, il rapporte : « La méchanceté foisonnait en elle. "Jamais tu n'aurais dû naître. Jamais ! Tu comprends, petit enculé ? Est-ce que tu comprends, dis ?" » Quant à son père, le tableau est encore pire. Réveillant son géniteur à cause de ses cauchemars nocturnes, le petit Yann alors en CE1 est envoyé en pleine nuit dans la forêt. Voici la suite : « Je tombai dans un fossé rempli de ronces, d'orties et de gadoue pétrifiée. Je perdis un chausson et une épine me transperça la plante du pied. Le moteur rugit, puis je vis la voiture disparaître dans l'horizon noir. » Le cauchemar est quotidien, la maison devient un lieu de souffrance absolue. Alors en sixième, il se souvient : « La grande spécialité de mon père était d'utiliser, pour me frapper, une rallonge électrique. Telle était sa trouvaille. Il s'en allait la chercher dans le petit placard maudit où elle dormait, la faisait virevolter dans les airs à la façon d'un lasso, et m'immolait de toutes ses forces - parfois, l'embout, formé d'une prise électrique dotée de deux tubulures métalliques, venait me fracasser les os. » En cinquième, parce qu'il sent le tabac en rentrant à la maison après y avoir goûté avec quelques copains, sa mère lui demande de s'agenouiller dans le salon les mains sur la tête. Le criminel est alors puni par le père en restant enfermé dans la cave durant un week-end entier avec pour seul repas un paquet de Gauloises : « Pendant tout un week-end, je dus uriner dans un saut de plage que je vidais dans l'évier ; dégoûté à l'avance par le partage de ma cellule avec mes propres excréments, je me retins de déféquer jusqu'au retour de mes géniteurs, le dimanche au soir. Je n'avais pas la plus petite miette à manger ; quand la faim me déchirait le ventre, je buvais comme un fou, jusqu'à ce que l'eau fût en moi semblable, par son poids, à la sensation d'un bifteck. » À l'école aussi, les heures sont pénibles. Les tables de multiplication demeurent un mauvais souvenir de CE2. L'enfant, seul face à tous ses échecs, doit composer avec ce monde et se fait à l'idée qu'il n'arrivera jamais à rien : « L'échec, l'erreur, la nullité, l'imposture, le ratage, c'était moi - j'avais trouvé ma place au milieu des foules humaines. » Les copains sont absents et les encouragements de l'ordre de l'illusion : « Jamais je n'eus le moindre camarade ; jamais, non plus, le moindre représentant de l'Éducation nationale ne m'avait prodigué, ni ne me prodiguerait, le plus petit encouragement, le plus infime compliment. » L'image du raté qui finit apprenti lui est renvoyée. Mais voici comment il rend honneur aux métiers manuels qui aujourd'hui encore sont volontiers dénigrés : « Il ne fût venu à l'idée de personne, au sein de la cellule familiale, que l'artisan, en contact perpétuel avec les choses, connecté à leur matière, à leur acier, à leur bois, exerçât la plus haute activité de l'homme. Tous, comparés à celui qui usine, qui découpe, qui produit des copeaux, qui fait jaillir des étincelles, nous sommes des barbares, des prétentieux et des aveugles. Je rêvais d'être boucher. » Pour survivre, et le mot est juste, Yann Moix se raccroche à des mondes intérieurs, des amis de papier. Il décide de consacrer sa vie à la bande dessinée car il adore le graphisme et possède de réels dons. Mais il trouve son véritable refuge dans la littérature et se met à dévorer les écrits d'André Gide durant son année de CM1 ! Il raconte : « Je pris la décision irrémédiable de me quitter moi-même, d'abandonner mes vêtements, et jusqu'à mon corps, jusqu'à mon existence, pour ne plus me coucher et ne me lever que dans les livres. À table, dans la voiture, au lit, dans le salon, chez les gens : tremblant, chancelant, absorbé par les romans que partout j'emporterais. » Chaque classe fait l'objet d'un chapitre et Moix de continuer à égrener les humiliations parentales qu'il subit encore au collège puis au lycée... Son père, totalement fou, balance par la fenêtre les livres et les dessins de son fils. En véritable rescapé de cet autodafé - le paternel ira jusqu'à utiliser le feu - le « grantécrivain » comme dirait Dominique Noguez savoure aujourd'hui non sans émotion et avec humilité le privilège simple de pouvoir aligner les livres chez lui sans attirer une quelconque foudre : « Devant moi, écrivant ces misérables lignes, je peux contempler, avec l'enivrante liberté de pouvoir les ouvrir à tout moment, les uvres à peu près complètes de Jean-Paul Sartre, rescapées des années, des pères, des pneus imbéciles. » Ses passions le sauvent : « Celui qui n'est point passionné est un homme mort. » Insatiable, il découvre les textes de Péguy - « il est resté pour moi le plus grand » - puis de Gide, Céline et Proust. À propos de son maître absolu, il écrit : « Solide comme un bronze, fragile comme un enfant, Péguy ressemble à l'idée que je me fais de moi : injuste, irascible, caractériel, mais attachant, touchant - enfantin. » Voilà exactement la personnalité de Moix décrite en quelques mots. Il est en effet caractériel, tête à claques pour certains, mais il est sensible, passionné et fragile également. Tout ce qu'il a écrit le prouve. Écrire c'est se mettre à nu. Un écrivain ne triche pas. Contrairement aux plateaux de télévision, où il s'amuse à être agaçant pour le plaisir de l'audimat, ses livres révèlent sa vraie nature avec beaucoup d'acuité. D'autant plus qu'ils posent les idées de façon précise, claire, construite et argumentée. Quant à la langue, peu d'écrivains contemporains arrivent à son niveau... Son panthéon personnel s'enrichit encore avec l'astrophysique et le jazz. Il aime observer le ciel et, victime de la pollution lumineuse, dénonce ce qu'il appelle un sacrilège. Pour apprendre à reconnaître les étoiles, il n'a pas le choix, il va devoir se plonger dans les mathématiques et s'accrocher car cela ne constitue pas sa matière favorite : « Je me répétais que, sans le support des équations, des fonctions et des espaces vectoriels, je ne saurais jamais me repérer parmi les galaxies. Fred Hoyle, Richard Feynman, Jean-Claude Pecker, Evry Schatzman avaient, en leur temps, été des cadors en mathématiques ; il me faudrait par conséquent en passer par là. » Le jazz éveille d'autres sens. Évidemment, pour son père, ce style musical n'est que « beuglement de jeune veau, hurlement de coyote ou couinement de cochon en passe d'être égorgé ». Le jeune Moix voit au contraire une subtile délicatesse dans les compositions du pianiste Bill Evans qu'il adule. Il écrit magnifiquement les choses à ce sujet : « Evans paraissait si fragile, si éphémère, si bancal et vacillant, qu'une rayure sur mon 33 tours eût certainement pu le tuer. » Après le lycée, il entame des études scientifiques. Son père veut la voie royale pour son fils. Il enchaîne donc les classes de Mathématiques Supérieures et Mathématiques Spéciales jusqu'à saturer et faire une dépression nerveuse. Le simple fait d'en parler à la maison conduit son géniteur à lui fracasser la tête contre la baie vitrée du salon et à lui mettre un coup de pied dans les côtes... La violence gratuite et brute, tant physique que morale est à son paroxysme. Cet événement marque un tournant, le dépassement d'un point de non-retour. Le jeune homme renverse alors tout ce qu'il peut dans la maison, perdant toute peur d'exprimer sa colère même s'il doit mourir sous les coups de ses parents : « Mon père sentit que ç'avait été la fois de trop. J'étais prêt à mourir, cette fois, pour défendre mon intégrité. Les coups, les mathématiques : c'était terminé pour moi ; j'en avais trop ingéré. Je saturais. » C'est précisément là que le lecteur va à nouveau comprendre, avec plus de lucidité que jamais, les raisons qui expliquent le comportement de cet homme qui aurait pu devenir totalement fou : « Il m'apparut que l'humanité se montrait trop étroite, trop sérieuse, trop grave ; qu'il fallait, dans l'existence que je décidai de commencer sur-le-champ et qui serait la mienne si je me donnais le droit, le courage et la liberté de la vivre, ne jamais subir les règles des autres. [...] Plus jamais on ne me forcerait à trafiquer ma nature, à la faire ployer, jusqu'à s'humilier, pour qu'elle se configure selon le goût, la morale ou l'intérêt d'autrui. [...] Nul, jamais, ne pourrait plus m'infliger ce que je refusais de tout mon être. Quiconque m'éloignerait de mes penchants, de mes impulsions intimes, de ma personnalité profonde, représenterait désormais un ennemi que je n'aurais aucun scrupule à éliminer. Ma patience était dépassée ; je naissais avec vingt ans de retard. » Les livres ont certainement sauvé l'enfant et l'adolescent de l'enfer. Moix est devenu dingue de littérature et lui rend finalement un bel hommage dans ce récit bouleversant. Lire et écrire sont depuis des années ses passions absolues. Toujours, il a tissé sa voie en se confrontant à plus de difficultés. La découverte de la philosophie et, à travers elle, la compréhension de textes arides et de concepts complexes lui ont arraché des larmes d'émotion et de satisfaction. Pour fuir la triste réalité il s'est mis à aller de l'avant, tel un alpiniste fasciné par l'Himalaya, et a gravi seul les difficiles échelons qui lui permettent aujourd'hui d'écrire des textes chaque fois fascinants. « Je possédais, en livre de poche, l'Ulysse de Joyce dont la difficulté, doublée d'une typographie de mouche, me ravissait. Je rêvais de laisser derrière moi, dans la nuit des siècles, un parpaing littéraire incandescent, savant, opaque, impénétrable, à la limite de la lisibilité, qui forcerait le respect des humains jusqu'à la mort de l'univers. Il était hors de question de produire plusieurs tomes, façon Zola, Romains, Proust, mais de construire un monument unique et surépais, saisissable avec une seule main. Il s'agissait d'inventer un monde burlesque. » Pour les connaisseurs, ce « parpaing » à venir est certainement le prodigieux Naissance publié en 2013 et mettant en scène un personnage totalement farfelu et inoubliable par son caractère burlesque prénommé Marc-Astolphe Oh. Orléans entame l'autobiographie d'un écrivain qui sort des cases, qui surprend sans cesse en n'hésitant pas à clamer son amour pour la philosophie et les bandes dessinées Spirou, à considérer Michel Polnareff comme un Dieu tout en écrivant à côté de longues pages sur le compositeur Conlon Nancarrow que seuls quelques férus de musique classique connaissent, à juxtaposer dans une même phrase le théorème de Thalès et les « seins dodus et frais » d'une certaine Sylvaine dont il tombe éperdument amoureux en cinquième. À mêler le populaire et le savant, à focaliser autant sur le général que le détail, à réconcilier au-delà des chapelles qui divisent et découpent injustement la culture. Le récit permet de comprendre le personnage, ses états d'âme, ses coups de colère, ses provocations qui ne s'arrêteront pas, ses positions tranchées, ... Moix n'a pas fini de faire parler de lui et, malgré une uvre déjà prolifique, ne semble être qu'au début de sa production littéraire. En mai 2021, il a ainsi annoncé vouloir sortir une série de 40 romans sur les dix prochaines années. Définitivement excessif comme les personnages de ses histoires et génial ! [Critique publiée le 20/06/21] ![]() L E S P R O I E S Annick Cojean - 2012 Grasset - 327 pages 18/20 Témoignage effarant sur Kadhafi ![]() Voilà ce que l'on peut lire dans les dernières pages du bouleversant récit de Soraya. Et cela n'est qu'une bien piètre illustration du drame vécu par cette jeune femme. Tout le monde le savait plus ou moins. Le grand public, bien sûr, mais aussi et surtout les grands dirigeants et hauts dignitaires de ce monde. Mais en réalité on se taisait, on feignait l'ignorance, on courbait l'échine devant son uniforme de pacotille et surtout son argent qui coulait à flot. Mouammar Kadhafi, le soi-disant « Guide » qui a régné sur la Libye pendant plus de quatre décennies, était malade et fou. Soraya a vécu dans son intimité et a osé raconter son quotidien dans l'antre du monstre. En 2004, à Syrte, l'école de Soraya reçoit en grande pompe Kadhafi. Celui qui détient l'autorité absolue en Libye et qui est présent partout sur les affiches et à la télévision est accueilli comme un prince dans cet établissement scolaire de sa ville natale. Soraya, fille d'une famille modeste, est choisie à sa grande surprise pour offrir des fleurs et des cadeaux au dictateur. Le soir même elle est enlevée par la garde rapprochée de Kadhafi qui l'a choisie pour satisfaire ses besoins au sein du harem qui le suit en permanence. Le cauchemar débute alors et durera six ans. Éloignée brutalement de sa famille, cette fille qui n'est encore qu'une enfant et qui ne connaît rien aux relations amoureuses est directement plongée dans l'intimité de Kadhafi. Et ce dernier ne fait pas dans la dentelle... Lui qui donne l'image d'un grand religieux, respectueux du Coran, frappe Soraya, la viole, la fait boire et la drogue. Même au milieu de la nuit, ne pouvant calmer sa libido excessive, il réveille Soraya qui doit chanter, se déshabiller devant lui en dansant et répondre à toutes ses attentes sexuelles. Il ne l'appelle jamais par son prénom mais par des insultes peu reluisantes. La jeune fille, qui ne reçoit plus aucune éducation scolaire, découvre l'envers du décor libyen. Elle doit ainsi accompagner le dictateur durant tous ses déplacements en Afrique et jouer la comédie en revêtant une tenue militaire lors des sorties officielles pour donner l'image d'une femme faisant partie de sa garde rapprochée. En coulisse, Kadhafi « consomme » les filles comme des Kleenex en ne prêtant aucune attention à leurs souffrances physiques et psychologiques. Mabrouka, une femme entièrement à son service, est chargée de gérer son harem et renouveler les effectifs de filles qu'il repère au gré de ses déplacements. Celui qui se présentait comme le meilleur défenseur de l'islam violait donc toutes les règles qu'il prônait. Soraya ne l'a jamais vu prier lorsqu'il était seul. Il faisait son numéro uniquement dans les lieux publics comme les stades qu'il remplissait en donnant l'image du maître de l'univers à une foule fascinée. Le livre est composé de deux parties. La première, très impressionnante, est la retranscription par la journaliste Annick Cojean des paroles de Soraya. La seconde est constituée d'une enquête approfondie sur les murs de Kadhafi, ses complices et l'ensemble du système qu'il avait mis en place. Annick Cojean, bretonne, est grand reporter au journal Le Monde depuis 1981. Elle a livré de nombreux reportages de grande qualité sur divers sujets de société. La souffrance des femmes dans le monde est l'un de ses sujets de prédilection. Après avoir présenté le documentaire Empreintes sur France 5, elle poursuit aujourd'hui par Duels qui dresse chaque semaine les portraits de deux grandes personnalités rivales. En 2014, elle a longuement enquêté sur le régime de Bachar el-Assad et l'utilisation du viol comme véritable arme dans le conflit syrien. Les proies est un livre édifiant. Je l'ai lu à deux reprises. Dès la lecture du récit de Soraya, le lecteur est happé par sa terrible histoire. Le rythme d'écriture adopté par Annick Cojean est fluide et parfaitement lisible. Je ne peux que souligner la qualité de son travail au niveau de la forme. Mais l'intérêt majeur réside bien évidemment dans le fond avec ces révélations incroyables au sujet de Kadhafi. J'ai encore en mémoire sa visite au président français Sarkozy en 2007 qui le reçoit en grande pompe et lui déroule le tapis rouge. Le libyen débarque sur le tarmac avec ses « amazones » dont il abusera peut-être le soir même au sein de sa tente plantée dans les jardins de l'hôtel Marigny... Tout cela est à peine croyable. Il n'y a pas de mots pour décrire les crimes commis par ce personnage. Annick Cojean a lancé un pavé dans la mare avec ce témoignage qui a été traduit dans une vingtaine de langues dont l'arabe. Les proies, très diffusé en Libye, a contribué à ouvrir officiellement le débat sur le statut des femmes violées. [Critique publiée le 19/11/16] ![]() M É M O I R E S D ' U N E F E M M E D E M É N A G E Isaure (en collaboration avec Bertrand Ferrier) - 2012 Grasset - 216 pages 6/20 Lecture ennuyeuse ![]() Ce récit autobiographique commence par nous décrire son parcours pour récolter des heures de ménage et prendre contact avec des locataires désireux d'avoir un intérieur propre et rangé. Chaque chapitre nous ouvre ensuite les portes d'une nouvelle habitation et nous présente les expériences d'Isaure qui démarre dans cette activité. Le roman est écrit sur un ton mordant lorsque la jeune femme évoque le cadre de vie de ses nouveaux « patrons ». Isaure montre ainsi sa forte personnalité à travers un rejet de la médiocrité ambiante dans laquelle baigne notre société. Malheureusement, ce style sarcastique perdure au fil des pages. Le texte, qui aurait pu constituer une véritable reconnaissance du statut de femme de ménage, demeure une critique virulente des « bobos » de Paris et sa banlieue. L'auteur ne semble pouvoir supporter leur mode de vie, leurs goûts, ... Quant aux autres qui ne font pas partie du style bourgeois-bohème, leur sort n'est guère mieux : ils se trompent dans la couleur de leurs rideaux, ne savent pas ranger leurs livres, décorent leur intérieur avec mauvais goût. Pour le lecteur courageux, il faut ainsi se coltiner de longues et ennuyeuses descriptions d'habitations sales, moches, mal entretenues avec un ton moqueur, noir, pessimiste. Attention au côté déprimant de ce texte ! Ce qui aurait pu être une chronique sociale objective traitant de ce métier de l'ombre après immersion de son auteur n'est qu'un livre fade et sans intérêt. Isaure cite même les chanteurs Bruel et Goldman et dit aimer les centres commerciaux Leclerc. Le lecteur pourrait aussi trouver de la médiocrité dans ces références, n'est-ce pas ? En revanche, il faut noter les réflexions intéressantes développées dans le dernier chapitre. Isaure prône une vie minimaliste en stipulant que désormais la possession matérielle l'intéresse moins car elle conduit souvent au mal-être. Les deux cents pages précédentes auraient dû être de cet acabit là aussi. Louangé sur différents plateaux de télévision, Mémoires d'une femme de ménage a connu un joli succès en librairie. Pour ma part, je me demande comment l'éditeur Grasset accepte de publier ce genre de récit qui est d'une platitude désolante... Même pris au second degré. [Critique publiée le 18/07/13] ![]() T R A I T É D ' A T H É O L O G I E Michel Onfray - 2005 Grasset - 282 pages 17/20 Uppercut sur les trois monothéismes ! ![]() Plus profondément, le philosophe démonte les trois grands monothéismes que sont judaïsme, christianisme et islam, et milite avec vigueur pour une laïcité post-chrétienne. Par exemple, concernant la date originelle de la naissance du mythe, il est impossible de la trouver en remontant aux sources mêmes des textes sacrés du christianisme. Seule certitude : la Bible actuelle est le fruit de textes souvent remaniés, recopiés par les moines au fil des siècles avec de nombreuses déformations volontaires ou non et interprétations subjectives. Au final, « on obtient un corpus considérable de textes contradictoires ». D'où, une facilité déconcertante pour tout justifier au nom de l'Église, le pire comme le meilleur ! Michel Onfray dénonce également avec ironie les histoires à dormir debout sur lesquelles est fondée notre culture religieuse actuelle. Eve sortant de la côte d'Adam en est une illustration hallucinante ! Pour les autres livres saints, la Torah et le Coran, une lecture raisonnée du texte intégral révèle quantité d'invraisemblances et d'incohérences. Et Michel Onfray de questionner ainsi : « qui a lu, vraiment, in extenso, le livre de sa religion ? Lequel, l'ayant lu, a fait fonctionner sa raison, sa mémoire, son intelligence, son esprit critique sur le détail et l'ensemble de sa lecture ? » Car pour l'intellectuel normand, la religion est l'inverse même de la philosophie : « La construction de leur religion, la connaissance des débats et controverses, les invitations à réfléchir, analyser, critiquer, les confrontations d'informations contradictoires, les débats polémiques brillent par leur absence dans la communauté où triomphent plutôt le psittacisme et le recyclage des fables à l'aide d'une mécanique bien huilée qui répète mais n'innove pas, qui sollicite la mémoire et non l'intelligence. Psalmodier, réciter, répéter n'est pas penser. Prier non plus. Loin de là. » Le livre, toujours solidement argumenté, montre la nature commune aux trois religions monothéistes : la valorisation de l'au-delà doublée d'une haine de la vie. Être croyant, c'est vivre non pas au présent mais en permanence dans l'expectative de gagner sa place au paradis. La vie ici-bas est donc inintéressante et l'hédonisme cher à l'auteur en devient un vice terrible. De même, le corps est sans cesse combattu, surtout celui de la femme en dehors de son rôle de mère ou d'épouse : « l'épouse et la mère tuent la femme, ce sur quoi comptent les rabbins, les prêtres et les imams pour la tranquillité du mâle. » La chair, le sang et la libido des femmes sont des symboles d'impureté et l'Ange, être asexué et « anticorps archétypal », est l'être idéal pour les instances religieuses. L'Islam, en particulier, nie la femme qui doit donc cacher son corps mais « se soumettre à tous les désirs sexuels de son mari - qui laboure sa femme à volonté, comme sa terre ! ». Michel Onfray construit également son argumentaire en s'appuyant beaucoup sur les grands événements tragiques de l'histoire. Les chapitres intitulés « Hitler aime le Vatican » et « Le Vatican aime Adolf Hitler » sont on ne peut plus clairs quant aux liens étroits qui unissaient l'Église catholique et le nazisme. Les deux courants étaient implicitement unis autour d'ennemis communs, les juifs et communistes, « assimilés la plupart du temps dans le fourre-tout conceptuel du judéo-bolchevisme ». Et que dire des nombreuses destructions de civilisations commises par l'Église catholique ? 1492 reste la date clé, celle qui symbolise la découverte du Nouveau Monde, mais celle aussi qui signe la mort annoncée des civilisations indo-américaines : « des repris de justice, des malfrats, des hommes de main, des mercenaires » débarquaient des caravelles pour piller, détruire, violer, brûler des peuplades primitives. Ils étaient suivis par les prêtres venus « prêcher l'amour du prochain, le pardon des péchés, la douceur des vertus évangéliques et autres joyeusetés bibliques ». Quel peuple était le plus sauvage ? Ceux que l'on appelait « sauvages » justement ou les chrétiens qui ont également fait généreusement don d'une maladie nommée syphilis ? N'oublions pas non plus Galilée qui, en 1633, a été obligé d'abjurer la théorie de Copernic qu'il avait pourtant étayée grâce à ses observations montrant que notre système planétaire était héliocentrique et non géocentrique. Il faudra attendre 1992 pour que l'Église catholique reconnaisse sa faute ! Enfin, un autre grand scandale bien plus récent est celui du Rwanda, pays très chrétien. En 1994, un million de Tutsis ont été massacrés par les Hutus en trois mois. Les génocidaires ont été « soutenu, défendu, couvert par l'institution catholique sur place et par le souverain pontife lui-même ». Concluons par cet extrait qui rappelle au bon sens : « Si l'existence de Dieu, indépendamment de sa forme juive, chrétienne ou musulmane, prémunissait un tant soit peu de la haine, du mensonge, du viol, du pillage, de l'immoralité, de la concussion, du parjure, de la violence, du mépris, de la méchanceté, du crime, de la corruption, de la rouerie, du faux témoignage, de la dépravation, de la pédophilie, de l'infanticide, de la crapulerie, de la perversion, on aurait vu non pas les athées - puisqu'ils sont intrinsèquement vicieux... -, mais les rabbins, les prêtres, les papes, les évêques, les pasteurs, les imams, et avec eux leurs fidèles, tous leurs fidèles - et ça fait du monde... - pratiquer le bien, exceller dans la vertu, montrer l'exemple et prouver aux pervers sans Dieu que la moralité se trouve de leur côté : qu'ils respectent scrupuleusement le décalogue et obéissent à l'invite de sourates choisies, donc ne mentent ni ne pillent, ne volent ni ne violent, ne font de faux témoignage ni ne tuent - encore moins ne fomentent des attentats terroristes à Manhattan, des expéditions punitives dans la bande de Gaza ou ne couvrent les agissements de leurs prêtres pédophiles. On verrait dès lors les fidèles convertir autour d'eux par leurs comportements radieux, exemplaires ! Au lieu de cela... Qu'on cesse donc d'associer le mal sur la planète et l'athéisme ! L'existence de Dieu, me semble-t-il, a bien plus généré en son nom de batailles, de massacres, de conflits et de guerres dans l'histoire que de paix, de sérénité, d'amour du prochain, de pardon des péchés ou de tolérance. » Le traité d'athéologie a connu un énorme succès à sa parution et jeté un pavé dans la mare des trois grandes religions solidement ancrées dans la culture mondiale. À ce jour, judaïsme, islam et christianisme constituent les fondements de nos sociétés. Les attentats du 11 septembre 2001, entre autres, ont montré que l'interprétation du Coran pouvait revêtir des formes diamétralement opposées. Le traité de Michel Onfray est donc intéressant à parcourir car il offre une lecture critique de notre héritage culturel religieux ; il rend par ailleurs ses lettres de noblesse au courant athéiste qui se veut une réponse moderne à une ère chrétienne devenue obsolète et en contradiction avec elle-même. L'essai est certes un peu difficile à appréhender dans les premières pages, mais, une fois l'enjeu du projet athéiste compris, les arguments pertinents fusent de toute part rendant le rythme de lecture plutôt agréable. Sauf erreur de ma part, je n'ai par contre pas relevé le rôle positif qu'a joué l'Église catholique dans le renversement de la dictature des Somoza à la fin des années 70 au Nicaragua. En effet, dès le début de la révolution sandiniste, une grande partie du pouvoir religieux a soutenu le peuple dans sa lutte contre le pouvoir en place. La bande dessinée Muchacho, un chef-d'uvre pictural par Emmanuel Lepage, retrace d'ailleurs ce combat qui a permis en 1979 aux nicaraguayens de mettre Daniel Ortega à la tête de l'État. Malheureusement, au début des années 80, l'Église catholique changera de position et deviendra la principale force d'opposition au mouvement sandiniste... Qui est Michel Onfray ? Né en 1959 dans l'Orne, ce docteur en philosophie a, à ce jour, publié une cinquantaine d'ouvrages. Ses principaux sujets de prédilection tournent autour de la philosophie, la religion, le bonheur, le corps, ... En 2002, le philosophe normand a lancé une université populaire à Caen. Suite au résultat impressionnant du Front National au premier tour des élections présidentielles de cette même année, Onfray a voulu offrir une éducation gratuite aux personnes souhaitant élargir leur esprit critique et plus largement enseigner la philosophie et l'histoire en s'appuyant directement sur les écrits des grands penseurs. Précisons enfin que la ville de Caen a été choisie avec l'objectif de décentraliser la vie culturelle et prouver qu'en province peuvent se tenir des manifestations aussi inédites et importantes que dans la capitale. Régulièrement présent dans les médias, Onfray fait partie des intellectuels français en vogue et ses cours et conférences passionnent les foules dans tout le pays et au-delà. [Critique publiée le 15/02/13] ![]() 1 0 0 E X P R E S S I O N S À S A U V E R Bernard Pivot - 2008 Albin Michel - 146 pages 17/20 En route, mauvaise troupe ! ![]() Chantre de la critique littéraire et membre de l'Académie Goncourt, ce pétillant journaliste a toujours eu à cur de démontrer la richesse de notre langue et de faire l'apologie de son usage. Pour autant, précisons que cet excellent chroniqueur, que j'ai eu la chance d'avoir pour président de jury en 2006, ne cultive pas sans cesse une vision passéiste du français et, au contraire, prend du goût à en suivre les nouveaux modes d'utilisation ; son compte très actif sur la plate-forme de micro-blogging Twitter en est notamment la preuve quotidienne. Il recense ici des expressions peu usitées aujourd'hui mais qui, pour certaines, rappellent des souvenirs ou situations propres à chacun. Avec toujours beaucoup d'humour et de malice, l'auteur s'amuse à en saisir l'origine, à illustrer son propos par tel ou tel extrait littéraire et, enfin, à préciser les variantes possibles. Le lecteur est invité à surprendre ses futurs auditeurs en employant justement quelques-unes des expressions listées. Cela ne peut qu'enrichir considérablement l'expression orale ou bien écrite. Quelques exemples : « Fagoté comme l'as de pique » : mal habillé. « Tailler une bavette » : bavarder. « Face de carême » : mine sombre, maigre et austère. « S'en tamponner le coquillard » : marquer de l'indifférence pour quelque chose. « Laisser pisser le mérinos » : laisser courir. Ou encore : « Sentir le fagot, avoir les grelots, avoir un buf sur la langue, maigre comme un coup de trique, et patati et patata ! » [Critique publiée le 15/02/13] ![]() L E S B R E T O N N I S M E S Hervé Lossec - 2010 Skol Vreizh - 102 pages 19/20 Breton et fier de l'être ![]() Né en 1947 à Lesneven, Hervé Lossec est léonard et bretonnant de langue maternelle. À partir des années 40, une transition brutale s'est effectuée dans la vie sociale bretonne avec le rejet massif du breton par la République française qui ne voulait promouvoir qu'une seule langue : le français. À l'école et l'Église, deux lieux fondamentaux à l'époque, la langue régionale est devenue interdite. Dans le milieu rural, cependant, la mutation linguistique a pris plus de temps et l'auteur a ainsi parlé exclusivement breton jusqu'à ses cinq ans. Ce n'est que bien plus tard, en étudiant à nouveau sa langue maternelle, que l'écrivain a décelé les liens profonds qui l'unissaient avec le français. « Quand vous vous intéressez aux bretonnismes, vous vous exposez au risque d'en voir partout et ce très rapidement » annonce-t-il. Les bretonnants, bien sûr, intercalent une quantité phénoménale de mots bretons dans leur usage du français ; mais, plus étonnant encore, beaucoup de nos compatriotes qui ne connaissent aucun mot de breton utilisent des tournures ou formules pourtant issues de cette langue ! Ceux qui vivent ou ont vécu en Basse-Bretagne (à l'ouest de la frontière linguistique Saint-Brieuc/Vannes) apprendront énormément à travers ce petit précis. Pour ma part, les quelques mots ci-dessous que j'entends depuis mon plus jeune âge ont enfin trouvé une orthographe et une signification académiques. « A-dreuz » = A l'envers. « Distribilh » = En désordre, inachevé. « Forzh penaos » = N'importe comment. « Louzoù » = Médicament. « Lichouz » = Gourmand (qui aime les « lichouseries »). « Faire du reuz » = Faire du bruit, du buzz (comme c'est la mode !). « Cuche » = Queue de cheval. « Droche » = Ecervelé, ridicule. « Grignous » = Pleurnichard. « Restachoù » = Restes (dans un plat). « Startijenn » = Entrain, tonus. « Strouilhon » = Sale, désordonné. « Tagnous » = Grincheux, teigneux. « Justik » = Tout juste. « Moutik » = Mignon. « Drolik » = Bizarre. « Pikez » = Chipie, coquine. « Riboul » = Passage étroit. « Bloñser » = Meurtrir (un fruit « bloñsé »). « Lonker » = Avaler comme un glouton. « Spontus » = Epouvantable, formidable (suivant le contexte). « Euc'h ! » = Beurk ! Pouah ! « Ma ! » = Ca alors ! C'est pas vrai ! (exprime l'étonnement). « Mar plij ! » = S'il vous plaît ! (dans le sens de « chapeau ! »). « Tos-tos » = Auto-tamponneuses (origine germanique à la base, puis passage par le breton avant d'être francisé avec le verbe « tosser » utilisé dans le milieu maritime lorsqu'un bateau cogne le quai par exemple). « Attraper son pegement » = Se faire remettre en place. « Partir en pilhoù » = Partir en chiffons, en loques. « Etre dans le lagenn » = Etre dans le bourbier, les choses n'avancent pas. « Avoir des pikouz dans les yeux = Avoir des crottes dans le coin des yeux. Quelques exemples d'expressions qui sont typiquement issues du breton : « Attention de tomber » = Attention à ne pas tomber. « Casser la soif » = Assouvir la soif. « Nous voilà propres » = Nous voilà dans de beaux draps. « Ruser ses pieds » = Traîner ses pieds sur le sol. « C'est pas tout » = Bon, je retourne à mes affaires (employé pour mettre fin à une conversation). « Faire de l'essence » = S'approvisionner en essence. Pour conclure, citons les chiffres éloquents fournis par l'auteur et eux-mêmes issus d'une étude de l'Unesco sur le bilinguisme : « 72% de la population mondiale utilisent deux langues dans la vie quotidienne. 68 millions d'Européens utilisent tous les jours une autre langue que la langue officielle de leur propre État. Seuls deux pays européens ne reconnaissent pas les langues dites "minoritaires" : la Grèce et la France. » L'auteur termine par une liste de verbes, de prépositions, de façons de conjuguer qui sont parfaitement compréhensibles en Bretagne mais non conformes à la langue de Molière. Enfin, saluons la simplicité et la pédagogie de Hervé Lossec dans ce petit livre coloré et agréable à lire. Et comme il le dit fièrement : « N'hésitons donc pas à colorer de bretonnismes notre parler courant pour affirmer notre identité à l'époque de la mondialisation galopante. Employer des bretonnismes [...] n'est pas du tout incompatible avec la maîtrise du français académique. » [Critique publiée le 09/07/11] ![]() M O N U T O P I E Albert Jacquard - 2006 Stock - 194 pages 18/20 La vision d'un sage ![]() L'utopie du grand généticien est un vivier d'idées pour expérimenter de nouvelles formes d'organisations humaines. Nos dirigeants, animés par l'action dans le court terme, ont-ils même conscience des clés proposées ici ? L'auteur commence par tracer son parcours avec une enfance enfermée dans les livres et un passage par Polytechnique où, travestit en soldat dit-il, il n'a jamais « rencontré » les enseignants et les élèves qui l'entouraient. À trente-neuf ans, il décide de suivre des cours de génétique à l'université Paris-VI et découvre une discipline en plein essor : la génétique des populations. Sa carrière d'enseignant lui a ensuite montré à quel point le système éducatif français était étriqué dans ses convictions. Car l'homme est convaincu de la place de l'enseignement dans la résolution des maux de ce monde : « C'est à l'école que se joue l'avenir; c'est donc autour de l'école qu'il faut tenter d'articuler un projet. » Se plaçant en total désaccord avec l'esprit de compétition qui règne dans les classes, Jacquard fait l'éloge de la lenteur et revendique la place que devrait avoir l'école dans la construction sociale d'un individu : « La lenteur dans la compréhension est donc plutôt un signe favorable. Quand il s'agit d'assimiler des idées nouvelles, la vitesse est inquiétante car elle peut être synonyme de superficialité. » L'école est « là pour aider l'enfant à devenir lui-même, un lui-même qui n'est pas défini à l'avance, qu'il ne faut pas faire entrer dans le moule proposé dans la famille ». Outre l'éducation, ce grand humaniste aborde dans de nombreux autres chapitres ses sujets de prédilection. L'histoire de la vie en est un. Savez-vous par exemple que l'homme possède cent milliards de neurones ? Que le bébé naissait prématurément car la grande dimension de son cerveau ne lui permettrait plus de passer par le bassin de sa mère si celui-ci continuait à se développer dans le ventre ? Voilà pourquoi nos enfants ont tant besoin de nous les premières années avant de gagner en autonomie. Encore un chiffre vertigineux : les connexions entre les neurones du cerveau se font les quinze premières années au rythme de... Deux millions de synapses par seconde !! Quant au développement du langage chez l'homme au cours de l'évolution, il est la conséquence d'une malformation naturelle qui affecte la position du larynx. Chez les primates, cet organe est situé haut derrière la gorge et leur permet de boire et respirer simultanément. L'homme ne possède pas cette capacité mais peut en échange, avec un larynx situé plus bas et qui continue de descendre jusqu'à la puberté, moduler de façon très fine les sons. Le chapitre sur le temps est passionnant. Albert Jacquard rappelle les fondements de la théorie de la relativité qui explique que le temps est une notion arbitraire dont l'écoulement varie en fonction du référentiel où il est mesuré. Par exemple, le temps s'écoule moins vite pour celui qui voyage dans un train que pour celui qui reste sur le quai. La différence est évidemment imperceptible tant elle est minuscule. À l'échelle d'une vie, le référentiel de temps peut trouver son origine à notre naissance. Équivalent à un big-bang personnel, qui est capable de se souvenir de cet instant initial qui a vu se rencontrer les gamètes de nos parents ? L'éternité est-elle à espérer devant nous ou n'est-elle tout simplement pas derrière nous ? Ainsi, selon Jacquard, nous connaissons l'éternité : elle nous sépare de notre conception. Concernant notre société de l'image, le généticien se montre inquiet quant à son impact sur les jeunes. Notre système nerveux central n'est pas adapté au déluge d'images quotidiennes qui nous envahissent. Toutes ces formes et ces couleurs qui sont d'ailleurs souvent loin d'être un complément indispensable à la compréhension du message agressent notre cerveau. Ainsi, l'image, écrit-il, « désarçonne notre capacité de réaction, fascine notre regard, envahit nos neurones et leurs connexions, et structure sans nous, ou même malgré nous, notre cerveau ». Albert Jacquard reprend bien évidemment les propos choquants du PDG de TF1 qui indiquait clairement son objectif en 2004 : décerveler les téléspectateurs. L'essai rappelle que son combat quotidien l'a aussi engagé dans de nombreuses luttes sociales. Le droit de propriété qui s'étale sur des générations est pour lui une aberration. Ainsi, sans produire de richesse, des héritiers bénéficient des efforts de leurs ascendants parfois lointains. La richesse entraînant la richesse par un processus d'accumulation, les inégalités ne peuvent qu'augmenter... Des systèmes politiques ont pourtant mis en place des solutions : chez les juifs par exemple, tous les cinquante ans, les biens accumulés par héritage sont « remis en jeu ». Enfin, sa position contre la folie du nucléaire est à nouveau fermement martelée. L'équilibre de la terreur auquel jouent les grandes puissances mondiales l'inquiète terriblement. Jacquard rappelle notamment l'épisode des drames vécus à Hiroshima et Nagasaki lorsque le président américain Truman a voulu écraser le Japon. Et tout cela au nom de Dieu qu'en tant que chrétien il remerciait le lendemain... [Critique publiée le 16/12/10] ![]() J A C Q U E S B R E L François Gorin - 2002 Librio - 86 pages 9/20 Un ton beaucoup trop subjectif ![]() L'auteur relate ainsi son enfance ennuyeuse dans la bourgeoisie belge, ses premiers cabarets à Paris, son premier contrat et la montée vers la gloire. Il poursuit par son incursion mitigée dans le cinéma et termine par sa passion pour la voile, l'aviation et son installation en Polynésie. Malheureusement, le ton trop subjectif pris par l'auteur est vite énervant. François Gorin se permet de donner son avis sur beaucoup de choses et nous fait presque culpabiliser d'aimer certaines chansons de Jacques Brel. Il se la joue intello et nous indique ce qui est bien et ce qui est raté. Mais peut-on donner un avis aussi arbitraire sur un art comme la chanson ? Chacun, selon sa propre sensibilité, se fera son opinion sur une uvre et c'est le propre de l'art justement de faire naître une multitude de sentiments du dégoût jusqu'au culte. Mais non, ici, telle chanson est puérile, telle autre est un bijou. L'album de reprise en 1972 est peu intéressant (pour ma part, je l'ai acheté car justement il me semblait important à écouter) ; mais l'auteur avoue quand même y attacher une importance sentimentale car il l'écoutait souvent dans la voiture de son père. Preuve est faite que chacun a son vécu et que celui-ci est directement lié au ressenti face à une ballade de Jacques Brel ! Bref, un livre qui est loin d'être indispensable. Dommage... [Critique publiée le 19/05/08] ![]() B R E L : L E L I V R E D U S O U V E N I R Martin Monestier - 1978 Sand - 282 pages 16/20 Une biographie sympathique du grand Jacques ![]() Au sommet de la gloire, connu dans le monde entier, Jacques Brel a décidé de tout arrêter par peur de ne plus être vrai comme à ses débuts, par peur de devoir tricher... Loin de toute l'agitation médiatique, il partit à bord de son voilier à destination des îles Marquises. Là, il vécut avec sa nouvelle femme dans une toute petite maison modeste, profita de son temps libre pour lire énormément et aller à la rencontre des autochtones. Il s'acheta également un avion pour assurer la liaison avec d'autres îles de l'archipel et développer ainsi les conditions de vie des habitants de ces terres oubliées du Pacifique. En 1978, Jacques Brel fera un retour furtif à Paris pour y enregistrer son ultime disque. Le livre raconte l'enjeu extraordinaire dont ces nouvelles chansons ont fait l'objet. L'auteur nous propose également la retranscription des échanges radiophoniques entre le chanteur et Jacques Chancel, enregistrés en 1973 dans la célèbre émission Radioscopie. Évidemment, la version écrite manque de dynamisme et de mouvement, la voix chaude et rassurante de Jacques Brel étant si agréable à entendre. ![]() L A M A I S O N D E S M A R É E S Kenneth White - 2005 Albin Michel - 282 pages 18/20 Images du Trégor par le poète écossais ![]() Depuis 1983, il s'est installé à Trébeurden sur la côte nord de la Bretagne. Avec sa femme, il s'est aménagé son « atelier atlantique » comme il l'appelle ; une vieille longère entièrement rénovée sur les hauteurs de Trébeurden, au milieu de la campagne et face à la mer. Alors forcément, lorsqu'il écrit un livre sur son nouveau domaine, tout lannionnais qui se respecte se doit de l'acheter... Et quel plaisir de découvrir ce personnage, poète, écrivain, philosophe, contemplateur de la nature. C'est un bouquin facile d'accès qui parle de choses simples, de plaisirs et de coups de gueule parfois. Mais derrière cette apparente simplicité se nichent des pistes de réflexion plus complexes sur le but de l'homme dans la vie, la voie à emprunter vers une certaine sérénité. Tout cela reste bien sûr très subjectif mais Kenneth White, lui, semble mener son propre chemin à travers les textes (les siens mais aussi ceux des autres) et les longues marches au contact de la nature. Il nous raconte des anecdotes croustillantes sur sa relation avec elle. Ainsi, cette sorte de rituel qu'il honore régulièrement sur le sentier entre Trébeurden et Beg-Léguer, au « bosquet des Cinq Pins ». Ce lieu lui inspire un sentiment de méditation musicale. Il aime s'allonger le dos contre un tronc au soleil, puis poser ses mains sur l'écorce rugueuse des pins et il finit toujours en enlaçant le dernier dans ses bras. L'homme sait garder le ton de l'humour tout au long du livre, qualifiant cette dernière pratique de « vraiment ridicule ». Mais les lecteurs qui comprennent ce lien charnel avec les éléments naturels seront sensibles à ce besoin. Connaissant parfaitement tous les lieux qu'il décrit, j'ai « bu » ce livre comme un cocktail de fruits frais. Le bar de l'Ouest, à Lannion, et les perruches bruyantes de la cheminée. La Micheline entre Lannion et Plouaret puis le train à compartiments entre Rennes et Brest. La poésie qui se dégage de Brest, cette ville magique du bout du monde. Morlaix, blottie sous son aqueduc. Paimpol et ses histoires de pêcheurs d'Islande qui rôdent encore dans chaque ruelle sombre. Tréguier et sa cathédrale face à la statue de l'écrivain Ernest Renan. Huelgoat, où l'on retrouvera un beau jour de 1919 l'écrivain Victor Segalen, mort, un exemplaire de Hamlet à la main. Bref, un essai bien écrit, qui ramène aux choses fondamentales de l'existence (Kenneth White aime la pluie et les promenades par mauvais temps, ça rassure), qui fait rêver aussi par cet homme se nourrissant de livres toute l'année, qui a parfois besoin d'une grande solitude, et qui partage une relation quasi amoureuse avec la terre. White conclut son livre par cette image toute puissante : « Je préfère ne pas parler du paradis [...] mais ce que je peux dire, c'est que ces journées passées à Ouessant resteront dans mon esprit comme des pages de soleil, de terre, de mer et de vent dans une bible de la biosphère. » [Critique publiée le 27/10/07] ![]() T C H E R N O B Y L : A P R È S L ' A P O C A L Y P S E Philippe Coumarianos - 2000 J'ai Lu - 158 pages 17/20 Effrayant mais bien réel ![]() C'est tout simplement terrifiant. L'explosion du réacteur de Tchernobyl reste l'une des plus grandes catastrophes humaines aux côtés des guerres. Cet essai est aussi une critique du bloc soviétique communiste des années 80 qui cachait tout, minimisait les problèmes et niait l'homme en tant qu'individu. C'est la Suède qui détecta un taux de radioactivité anormalement élevé sur son territoire et alerta l'opinion internationale de la gravité du problème. Les russes ont commencé par refusé l'aide américaine en prétextant que tout « allait » bien. L'URSS ne pouvait accepter d'être inférieure à une quelconque autre nation. Elle envoya en réalité des centaines de milliers de « liquidateurs » éteindre le cur du réacteur. Beaucoup moururent ou souffrent aujourd'hui de multiples affections invalidantes. Les témoignages publiés dans ce livre sont choquants : ils décrivent l'effet des radiations sur le corps humain, de la peau légèrement brunie jusqu'à la mort dans une atroce souffrance. L'Ukraine, La Biélorussie et la Russie continuent aujourd'hui de payer un lourd tribut : des milliers de personnes souffrent en silence et aucun responsable n'a jamais vraiment été identifié... Tchernobyl reste encore un problème complexe. Ainsi, le premier sarcophage construit à la hâte menace de s'écrouler et la construction d'un nouveau, faute de crédits (un milliard de dollars sont nécessaires), s'éternise. Enfin, ce livre pose sans complexe le débat autour du nucléaire. Même si les technologies aujourd'hui utilisées en France sont différentes de celle de Tchernobyl, sommes-nous vraiment en mesure de contrôler une centrale nucléaire pendant toute sa durée de vie ? N'est-ce pas une cible rêvée pour les terroristes ? Quelles solutions pour les déchets radioactifs ? Comment assurer le démantèlement à la fin de l'exploitation ? Des questions dont les réponses sont inconnues et qui pourtant n'empêchent pas le développement croissant du parc nucléaire dans beaucoup de pays ! Avant la catastrophe de Tchernobyl, les plus grands scientifiques russes affirmaient qu'un accident était absolument impossible. Il a pourtant eu lieu et les conséquences sont désastreuses. ![]() N O U V E A U T O U R D U M O N D E D ' U N É C O L O G I S T E Jean-Marie Pelt - 2005 Fayard - 273 pages 17/20 La vision d'un botaniste sur l'état de notre planète à travers des exemples bien choisis ![]() S'appuyant sur des exemples bien précis, il nous montre à quel point l'action de l'homme sur les équilibres naturels a une action néfaste. Le voyage commence par Tenerife, cette île des Canaries qui représente, d'après l'auteur, une Terre miniature par la diversité de sa flore et de ses paysages. Selon lui, un visiteur pressé sur notre planète pourrait se contenter de visiter Tenerife ! La lecture de ce livre nous apprend également la différence entre la forêt et la prairie, deux types d'écosystème que l'homme a su adapter pour obtenir une rentabilité maximale à ses besoins. Après un panorama de quelques catastrophes écologiques et la preuve de la responsabilité de l'homme dans leur déclenchement (exemple de l'île d'Haïti où le défrichement des terres a provoqué de terribles inondations), Jean-Marie Pelt nous invite au Bhoutan, ce petit pays coincé entre l'Inde et la Chine. Contrairement à ses deux voisins tournés vers le « modèle » américain, le Bhoutan privilégie le bien-être de ses habitants en tentant d'augmenter le « Bonheur National Brut » et non le « Produit National Brut » ! S'appuyant sur la religion du bouddhisme, ce petit pays riche d'un environnement naturel extraordinaire fait du développement durable une priorité quotidienne et devrait devenir le modèle de tous les pays riches. ![]() L E S C H E M I N S D E T R A V E R S E Nicolas Hulot - 1989 JC Lattès - 261 pages 16/20 Où Nicolas Hulot raconte les drames de sa jeunesse ![]() Fils d'une famille bourgeoise, Nicolas a perdu son père (d'un cancer) pendant son adolescence. À dix-huit ans, le soir du réveillon de Noël, il découvrira son frère, mort par suicide, enroulé dans un tapis dans la cave sombre de l'immeuble. Et, alors qu'il était tout jeune trentenaire, il verra partir sa mère elle aussi d'un cancer. Beaucoup de tragédies qui lui ouvriront les yeux sur la nécessité de vivre. Une volonté également de retrouver un peu les traces de son père, ancien chercheur d'or et ami du célèbre « Papillon ». Un désir fort de couper les ponts avec la famille de sa mère qu'il surnomme les « Loden-Lacoste », constituée de personnages aimant l'argent, la gloire, le paraître. Nicolas Hulot nous raconte ainsi ses premiers pas dans le monde du journalisme en tant que photo reporter pour l'agence de presse Sipa. Puis, viennent la découverte de l'Afrique Australe, les premiers grands voyages qui vont devenir une drogue, les défis sportifs qu'il fera vivre en direct sur l'antenne de France Inter, le Paris-Dakar, le ralliement du Pôle Nord en ULM avec le parrainage de Paul-Emile Victor, ... ![]() É T A T S D ' Â M E Nicolas Hulot - 1991 Le Livre de Poche - 412 pages 17/20 Voyage d'un bout à l'autre de la planète ![]() Sa vie aventureuse nous fait vite rêver mais l'homme sait rester humble et garder un il critique sur ses rencontres et ses expériences. Comme toujours de sa part, un livre très prenant... ![]() Q U E S T I O N S D E N A T U R E Nicolas Hulot - 1995 Pocket - 273 pages 16/20 Sages réflexions sur notre planète ![]() Les livres de Nicolas Hulot comportent souvent de petites citations qui font réfléchir. Ainsi, sur la frustration que l'homme rencontre à tout vouloir connaître, Paul-Emile Victor aimait dire : « La connaissance, quelques lacunes dans l'ignorance... » Ou bien encore, ces mots prononcés par le chef sioux Flying Hawk : « L'homme blanc construit une grande maison, qui coûte beaucoup d'argent, ressemble à une grande cage, ne laisse pas entrer le soleil et ne peut être déplacée ; elle est toujours malsaine. Les Indiens et les animaux savent mieux vivre que l'homme blanc ; personne ne peut être en bonne santé sans avoir en permanence de l'air frais, du soleil, de la bonne eau. Si le Grand Esprit avait voulu que les hommes restassent dans un endroit, il aurait fait le monde immobile ; L'homme blanc n'obéit pas au Grand Esprit. Voilà pourquoi les Indiens ne peuvent être d'accord avec lui. » Le baroudeur Hulot justifie aussi son aversion pour la chasse lorsqu'elle est source de plaisir : « Trop de regards animaux se sont reflétés dans mes propres yeux et ont imprégné à jamais mes pensées pour que je reste étranger à leur sort. » ![]() À M E S R I S Q U E S E T P L A I S I R S Nicolas Hulot - 1998 Plon - 243 pages 17/20 Les coulisses des années Ushuaïa ![]() Il nous parle également de l'époque de la création de sa Fondation. Chirac, qui, à sa grande surprise, l'appelle un beau jour souhaitant le rencontrer. Ou bien encore son entretien avec Rocard (qui avait reconduit le traité de l'Antarctique dont tout le monde se fichait) qui allie selon lui « la simplicité, l'humilité et l'intelligence ». Il aborde aussi une question épineuse pour beaucoup de ses détracteurs : les soutiens de sa Fondation que sont les grands groupes Rhône-Poulenc, L'Oréal, EDF, ... Selon lui, il faut choisir la voie diplomatique car ces industriels ne sont-ils pas « les mieux placés pour trouver des solutions aux problèmes qu'ils ont générés » ? Le livre se termine par l'évocation, sur plusieurs chapitres, de la formidable aventure Okavango. Le but recherché était, après avoir survolé la planète dans l'émission phare précédente, de se consacrer à un continent précis et d'approfondir sa découverte ainsi que, pour Nicolas Hulot, de se construire enfin une vie plus sédentaire. Un livre croustillant pour les inconditionnels de l'écologiste. [Critique publiée le 14/10/07] ![]() P O U R Q U E L A T E R R E R E S T E H U M A I N E Nicolas Hulot / Robert Barbault / Dominique Bourg - 1999 Seuil - 171 pages 16/20 Petit précis d'écologie ![]() On y apprend par exemple que les forêts tropicales occupent actuellement 7% de la surface des terres et rassemblent à elles seules la moitié de la diversité génétique ! Les auteurs abordent également le sujet des OGM et montrent les limites actuelles de cette forme d'agriculture agressive envers la culture biologique par exemple. C'est l'un des exemples où le principe de précaution n'est pas appliqué. ![]() G R A I N E S D E P O S S I B L E S Nicolas Hulot / Pierre Rabhi - 2005 Calmann Lévy - 283 pages 18/20 Un dialogue qui donne espoir ![]() Issus d'univers totalement différents et ayant suivi des parcours à l'opposé l'un de l'autre, les deux hommes se rejoignent pourtant sur leur façon d'appréhender la vie aujourd'hui. Leur longue discussion s'articule en différents chapitres qui abordent autant de thèmes variés avec un accent particulier apporté tout de même aux sujets de l'agriculture, de l'Afrique et de la consommation. Pierre Rabhi n'a de cesse de défendre le métier de paysan au sens le plus noble du terme : l'amour de la terre nourricière, le respect des cycles de la vie, l'éloge de la lenteur. L'agriculture intensive telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui par beaucoup va à l'encontre de cette sensibilité et met carrément en danger la vie de l'homme. En 1962 déjà, une scientifique américaine mandatée par le gouvernement Kennedy, dénonçait les risques énormes liés à l'utilisation massive du DDT (un pesticide). Aujourd'hui, les conséquences dites « CMR » (cancérogènes, mutagènes et repro-toxiques) de notre mode d'alimentation sont de plus en plus visibles malgré les illères des grands dirigeants. Actuellement, sur cent mille molécules chimiques commercialisées, cinq mille sont évaluées sur le plan toxicologique et environ une centaine le sont sur leurs conséquences à provoquer des cancers. Dans quasiment tous les cas, seule la toxicité immédiate est étudiée. Sur le sujet de la consommation, les deux auteurs fustigent le rôle de la publicité qui joue sur la frustration de l'être humain en le maintenant en permanence dans l'illusion du manque au sein même de l'abondance de biens. Ainsi, aujourd'hui, 80% des produits vendus sont jetés après une seule utilisation. Évidemment tout est lié et des études ont montré qu'il était possible de réduire par quatre ou cinq la consommation d'énergie simplement en consommant mieux nos produits et en organisant de nouvelles filières, moins gourmandes sur les plans écologique et énergétique. Hulot et Rabhi nous invitent aussi à repenser notre alimentation par ce constat simple : un buf doit manger dix kilogrammes de céréales pour produire un kilogramme de viande. Parallèlement, c'est plus de la moitié des surfaces agricoles dans le monde qui sont mises à profit pour produire des céréales à destination du bétail. Connaissant le problème de la faim dans certains pays, manger de la viande dans nos pays riches devient un luxe plus qu'une nécessité. Cet essai répond à de nombreuses questions toutes plus passionnantes les unes que les autres. Ainsi, doit-on s'inquiéter de la disparition annoncée des éléphants au Congo et au Gabon ? Evidemment, car ceux-ci jouent un rôle primordial dans la dispersion des graines des principaux arbres de la forêt tropicale. Et maintenir en vie la forêt, c'est maintenir en vie l'homme qui en dépend. Toutes les espèces animales, végétales et même minérales ont leur place dans l'écosystème planétaire. Jouer avec leur existence comme le fait souvent l'homme de façon brutale amènera des menaces fatales. En 1997, Nature a démontré que la valeur économique des services écologiques rendus par l'environnement était largement supérieure à la valeur de l'ensemble de l'économie humaine. Concernant la religion, l'Église est la grande absente de ce combat. Depuis St François d'Assise, aucun message n'a été lancé pour favoriser la protection de l'environnement. Dans les Evangiles, aucun précepte formel n'est évoqué contre la cruauté envers les animaux. Pire, ils auraient même été créés pour l'utilité ou le plaisir de l'homme. Notre retard écologique est certainement lié en partie à cet héritage de concepts religieux ambigus. Enfin, la trajectoire dramatique de l'Afrique est évoquée. Ce continent, dépositaire de techniques agricoles ancestrales, a subi de plein fouet les effets nocifs du colonialisme. Les notions d'argent, de commerce et de rendement ont été apportées par des agronomes qui ont rendu dépendants les paysans africains aux engrais et pesticides. Distribués gratuitement au début au sein de coopératives, ces produits sont rapidement devenus payants. Pour de pauvres cultivateurs africains, une avance sur récolte a été nécessaire pour payer ces nouveaux frais. Cela a signé le début d'un long processus d'endettement avec des produits aux prix indexés sur le cours du dollar américain. L'autre erreur des États colonisateurs a été de découper de manière arbitraire le continent qui s'était naturellement organisé en strates horizontales selon les différents biotopes liés aux zones climatiques. Des pays, comme le Soudan par exemple, ont été organisés dans le sens vertical semant une confusion culturelle et sociale au sein des ethnies réparties différemment depuis des millénaires. Les guerres civiles actuelles sont les conséquences de ces découpages. Il faut lire ce livre car il donne espoir et montre qu'une résistance s'organise dans notre société folle qui ne raisonne plus qu'en termes de profit et de croissance. La nature humaine utilisera-t-elle ses meilleurs atouts pour redonner un sens à nos vies d'occidentaux déphasés ? [Critique publiée le 04/11/09] ![]() P L U S H A U T Q U E M E S R Ê V E S Nicolas Hulot - 2013 Calmann Lévy - 326 pages 18/20 Un homme engagé sur le défi majeur qui se pose aujourd'hui ![]() Voulant faire part de son expérience particulière dans ce monde à part et souhaitant à nouveau marteler ses convictions, il nous livre un texte passionnant découpé en trois grandes parties. La première concerne la politique, la seconde l'extraordinaire aventure télévisuelle des émissions Ushuaïa et enfin la troisième relate son combat au sein de sa Fondation pour la Nature et l'Homme. Dès la course à la présidentielle de 2007, Hulot menace déjà de se présenter face à l'immobilité des candidats et des partis au sujet de l'écologie. En effet, l'avenir de la planète n'est quasiment pas abordé alors qu'il s'agit pourtant d'un sujet absolument essentiel et majeur. Afin de sensibiliser les postulants à la question, il leur fait signer le Pacte écologique. Seul le Front National n'appose pas sa signature pour la simple et bonne raison que Nicolas Hulot ne souhaite pas discuter avec ce parti d'extrême-droite. Devant la popularité de l'animateur d'Ushuaïa auprès du public et donc des électeurs, chaque candidat essaye de s'afficher avec lui autant que possible. Ainsi, Nicolas Sarkozy souhaite rencontrer l'instigateur du Pacte écologique chez lui à Saint-Lunaire. Ce dernier refuse, brandissant son indépendance totale, ce qui conduit le futur président à modifier à la dernière minute son programme pour finalement visiter le CROSS Corsen de Plouarzel dans le Nord-Finistère. C'est à cette occasion qu'il dira la fameuse phrase : « Je vais être au milieu de dix connards en train de regarder une carte ! » En 2007, à titre personnel l'écologiste vote pour Jean-Luc Mélenchon qui est le seul candidat à proposer une transition écologique majeure dans son programme. Cinq années plus tard, en 2012, Nicolas Hulot décide de se lancer dans l'aventure de la présidentielle. Il commence par participer aux primaires du parti EELV. Le livre revient longuement sur cette incursion dans le monde de la politique. Eva Joly remporte finalement les primaires après d'âpres combats au sein du parti. L'animateur, quant à lui, quitte l'univers de la politique après cette déconvenue et surtout la découverte des coups bas et petites guerres intestines au sein d'une même famille politique. Alors que ce parti défend une cause plus que noble touchant à l'avenir de l'espèce humaine sur la planète, les caciques et adhérents du parti ne sont pas capables d'avoir une vision commune sur le futur même de leur formation... Comme bien souvent en politique, chacun pense à son statut, sa nomination ici ou là, ses indemnités. Bref, même des élèves de maternelle ne sont pas aussi calculateurs. Dégoûté par son essai infructueux, Nicolas Hulot reprend alors avec plaisir le goût de l'indépendance et de la liberté la plus totale. Quelques anecdotes politiques croustillantes viennent émailler la lecture de ces chroniques. Le créateur d'Ushuaïa se sent plus à l'aise avec les requins blancs de l'Afrique du Sud qu'avec ceux qui louvoient dans les cénacles des assemblées ou les palais ministériels. Nicolas Sarkozy, par exemple, l'a à plusieurs reprises reçu à l'Elysée après son élection en 2007. Chaque entrevue démarrait par une longue autosatisfaction du chef d'État où il tentait de démontrer à quel point il était devenu indispensable pour résoudre les problèmes du monde. Il poursuivait par une critique de différentes personnalités avant de finalement écouter son interlocuteur. Jacques Chirac, que Hulot a également souvent côtoyé, ne critiquait pas ses amis ou ennemis politiques et restait ainsi bien plus courtois et apaisé. Quant à François Mitterrand, il a toujours snobé l'écologiste... En politique, Hulot apprécie entre autres Michel Rocard - interlocuteur majeur dans la mise en place du protocole qui a permis de sanctuariser l'Antarctique en 1991 - ou Michel Barnier. Kouchner, enfin, n'a jamais compris réellement le lien indicible qui fait que les guerres ont souvent pour origine première des changements climatiques (c'est le cas du Darfour par exemple). Le célèbre journaliste revient dans la seconde partie du livre sur son histoire personnelle et les drames qui ont frappé sa famille. Aucun secret n'est ici révélé puisque ces événements ont déjà été amplement abordés dans ses précédents ouvrages : la découverte, un soir de Noël, de son frère qui s'est suicidé dans la cave, les problèmes d'alcool du père et le courage de la mère qui a toujours fait face malgré la difficulté. Il relate ensuite son ascension dans l'univers du journalisme après quelques mois en médecine, un choix qui s'avéra bien trop sage pour lui qui voulait rompre avec le conformisme de la famille. Sans connaissance technique ni géopolitique, il se lance ainsi dans l'aventure du reportage avec un petit appareil photo. La guerre en Rhodésie et un tremblement de terre au Guatemala sont ses premiers grands sujets pour la prestigieuse agence Sipa. Il se consacre ensuite aux défis sportifs en se mettant lui-même en scène dans une émission en direct sur France Inter durant dix ans. Une part de chance, quelques bonnes rencontres et une prise de risque suffisante lui ont permis de construire une carrière exceptionnelle. Il fait en effet aujourd'hui partie des très rares personnes à avoir vu autant de merveilles sur notre planète... Sa volonté de faire partager tous ces trésors est née de sa prise de conscience de la fragilité de la Terre. Pour Nicolas Hulot, montrer la beauté du monde est un moyen de sensibiliser le plus grand nombre à sa préservation. Ses émissions les plus célèbres restent Ushuaïa et Ushuaïa Nature . Le lecteur plonge avec plaisir dans les coulisses de ces productions incroyables qui restent aujourd'hui des références en matière télévisuelle. Ainsi, derrière la caméra, il y a d'autres aventures que le téléspectateur ne voit pas toujours à l'écran. En amont des images finales présentées, certains animaux sont par exemple difficiles à rencontrer. C'est le cas des narvals qui sont extrêmement bien cachés dans les mers froides de l'Arctique, ce qui contribue au mystère entourant ces animaux munis d'une impressionnante dent pouvant atteindre trois mètres... Croiser une loutre géante n'est pas une mince affaire non plus et la chance a souvent souri à Nicolas Hulot pour fixer sur pellicule de si grands moments. Mais l'une de ses plus grandes émotions demeure sa rencontre nez à nez avec une baleine à bosse, raison pour laquelle il arbore depuis une nageoire dorsale en guise de pendentif. Quant au grand requin blanc d'Afrique du Sud, le lecteur ne peut que rester pantois devant les détails de ses nombreuses plongées avec un tel mastodonte. Ses premières rencontres se firent à l'abri dans une cage de protection. Plus tard, avec son ami biologiste et photographe Laurent Ballesta, Nicolas Hulot plongera sans cage lors de la migration des sardines au large de l'Afrique où un immense festin réunit une multitude d'animaux : les fous de bassan qui plongent comme des torpilles, les baleines, les requins blancs, les requins-bouledogues et autres espèces qui sont pris d'une frénésie indescriptible devant ce garde-manger inespéré. Sous l'eau, relate l'aventurier, il faut toujours se positionner face au requin, le regarder dans les yeux et rester très calme dans les mouvements. La remontée est le moment le plus délicat car les battements de jambes sont un signal stimulant pour le requin. Voilà pourquoi les attaques concernent toujours les nageurs ou surfeurs et non les plongeurs. Bon à savoir : le requin blanc, lorsqu'il charge, sort sa seconde rangée de dents internes et ses yeux se révulsent ! Au fil des pages, Hulot nous parle aussi de ses compagnons d'aventure : Philippe de Dieuleveult par exemple (je me rappelle l'avoir vu petit atterrir au Guilvinec avec son hélicoptère dans le cadre de son émission culte La Chasse aux trésors), avec qui il devait normalement descendre le fleuve Zaïre en pirogue ce fameux 6 août 1985, date à laquelle lui et ses co-équipiers ont disparu. Gérard Feldzer est aussi de la partie. Les deux hommes ont très souvent testé toutes sortes d'engins volants ensemble. Sur un vol commercial piloté par Gérard sur lequel se trouvait par hasard Nicolas, ils ont même été les victimes directes d'une violente prise d'otage par un homme qui avait pris d'assaut le cockpit ! De nombreuses fois, l'animateur a vraiment failli perdre la vie. En Russie ou en Afrique, lui et son équipe ont souvent volé à bord de coucous très douteux. Bien que l'équipe d'Ushuaïa ne lésinait pas sur la sécurité, elle devait parfois faire confiance à la logistique mise en place par les autorités locales pour les besoins des tournages... Privilège suprême, Nicolas Hulot a aussi eu la chance de rencontrer son héros : Nelson Mandela, chantre de la lutte contre l'Apartheid. Il a croisé Madiba à deux reprises grâce à Jacques Chirac et a d'ailleurs prénommé son fils Nelson en hommage. La dernière partie du livre relate le combat qu'a mené Nicolas Hulot en tant qu'ambassadeur pour l'environnement auprès du Président Hollande entre 2012 et 2016. Depuis son cocon familial, constitué de femme et enfants et situé à Saint-Lunaire en Ille-et-Vilaine, l'écologiste a parcouru non plus forêts et océans mais bureaux, hôtels, salles de conférences pour alerter et chercher les modèles qui marchent (comme celui du Costa Rica par exemple). Il milite également activement à travers sa fondation et ne cesse de dénoncer avec fermeté l'ultra-libéralisme des sociétés modernes et la nécessité immédiate de changer nos modèles occidentaux en profondeur. À ceux qui pensent qu'il se fatigue peut-être pour rien, il ne peut se résigner à sombrer dans le fatalisme et rester les bras croisés en se demandant de quelle planète disposeront nos enfants. En accord avec la philosophie de Pierre Rabhi, il joue son rôle de colibri ! La tournure générale que prennent les choses depuis plusieurs années pousse au pessimisme. Au sujet du climat par exemple, il est devenu inconcevable de penser que des individus se rangent encore dans le camp des climato-sceptiques ! La crise migratoire européenne de 2015 trouve en partie ses racines dans le réchauffement climatique qui a poussé des populations paysannes à rejoindre les villes syriennes. Cette première grande vague de réfugiés donne malheureusement un avant-goût des événements à venir. Chaque geste compte et des millions de changements de comportement peuvent avoir un impact considérable. Il ne faut donc pas se résigner et faire au moins sa part... [Critique publiée le 19/11/16] ![]() V I C T O I R E S U R L ' E X C I S I O N Hubert Prolongeau - 2006 Albin Michel - 233 pages 16/20 Enquête sur un sujet tabou ![]() L'auteur dresse le tableau d'une situation terrible qui est encore malheureusement bien présente dans certains pays : aujourd'hui, quatre femmes par minute sont excisées, cent trente millions sont mutilées dans le monde, 97% des égyptiennes passent par cette douloureuse intervention. Tradition séculaire sur le continent africain, cette opération, parfois réalisée avec un tesson de bouteille dès le plus jeune âge, touche indifféremment les pays de religion musulmane ou chrétienne comme l'Ethiopie. Hubert Prolongeau soulève également le débat du choc des cultures et pose le problème de l'ingérence : doit-on essayer de faire appliquer un universalisme des droits de l'homme ou doit-on respecter le particularisme des cultures régionales ? Toujours est-il qu'outre cette question, le médecin humanitaire, lui, aide ces femmes en souffrance et leur ouvre une vie meilleure. Ce titre a obtenu le prix Essai France Télévisions 2006 remis par vingt-quatre jurés, dont Makibook, sous la présidence de Bernard Pivot. ![]() N È G R E J E S U I S , N È G R E J E R E S T E R A I Aimé Césaire - 2005 Albin Michel - 148 pages 14/20 Un chaud plaidoyer pour la fierté de ses origines ![]() Associé à la « loi de départementalisation » (1946) qui a transformé les colonies de la Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion en Départements d'Outre-Mer (DOM), Aimé Césaire est devenu le porte-parole de la négritude dans le monde. Il soulève le problème de l'esclavagisme, des plantations, du travail forcé organisés à grande échelle par les européens aux XVIIe et XVIIIe siècles. À ses yeux, la France aura une dette à vie envers son peuple. Il s'inquiète également du devoir de mémoire et de la question noire qui, à travers la traite et l'esclavage, occupe une position marginale dans le récit national des Antilles. Fier de son identité, Césaire dénonce le poids du statut de colonisé et fait remarquer la riche culture de son pays comme la langue créole par exemple. La deuxième partie du livre est une analyse du post-colonialisme écrite par Vergès. Son jargon d'historienne rend la lecture laborieuse et contraste fortement avec les paroles claires du poète. ![]() L ' Â M E S E U L E Hervé Vilard - 2006 Fayard - 385 pages 11/20 La mode des biographies continue... ![]() Placé dans une famille paysanne ou dans un milieu bourgeois, il sera finalement et miraculeusement recueilli par Daniel Cordier qui sera son mentor et lui ouvrira les portes d'une carrière dans le show-biz. Son histoire rocambolesque nous dévoile son intimité, ses frasques et ses succès. Sa passion pour Dalida, sa rencontre autour d'un saucisson avec La Callas, sa fréquentation de Malraux sont autant d'anecdotes sympathiques à lire. Sa vision presque surnaturelle de Jacques Brel sur scène reste un beau souvenir : « A l'Olympia, j'ai vu un dieu moitié démon, cracher et se battre à mains nues [...]. Au pied du micro, sa transpiration forme une flaque traversée par son ombre. Il vide ses poumons dans l'humanité. Je n'en ai pas dormi de la nuit. » ![]() L ' A C C E N T U N E L A N G U E F A N T Ô M E Alain Fleischer - 2005 Seuil - 170 pages 14/20 Réflexions accessibles sur un sujet pointu ![]() Alain Fleischer nous invite à nous interroger sur le pouvoir de l'accent, ses modes d'apparition, sa nature infinie. Autour des concepts de langue première et langue seconde, il ouvre une problématique à un concept plutôt complexe. Son enfance dans un milieu riche en diverses langues étrangères l'a fortement sensibilisé à cette question. Il nous explique le côté chewing-gum de l'anglais qui supplante l'idée reçue selon laquelle son universalité dépendrait uniquement de la puissance économique des États-Unis. Une étude précise de l'accent dans le cinéma (impact des vo, vf, doublages) vient clore le livre. On découvre entre autres que le doublage en français des péripéties de Laurel & Hardy a apporté un enrichissement sur le plan comique. ![]() L A D E R N I È R E F E M M E Jean-Paul Enthoven - 2006 Grasset - 221 pages 17/20 Une écriture belle comme de la dentelle ![]() C'est le genre de phrases qui ponctuent ce livre. Chacune a, dirait-on, été ciselée dans de la dentelle. Enthoven manie avec dextérité notre langue. Il s'amuse, pour mieux comprendre nos contemporaines, à brosser le portrait de huit femmes célèbres et disparues depuis bien longtemps déjà. On plonge ainsi dans les vies étonnantes et souvent dépravées de Zelda Fitzgerald, Françoise Sagan ou encore Nancy Cunard. L'auteur sait observer les travers de l'âme humaine et se tord également l'esprit en tant qu'homme si proche et si loin à la fois de la sensibilité féminine. Il nous fait regretter de ne pas avoir connu l'actrice Françoise Dorléac et jalouse terriblement ses amants : « Ils avaient, ils ont, le prestige des héros qui, ayant su se faire aimer ou désirer par une créature céleste, ont connu des plaisirs inaccessibles aux humaines ordinaires. » À la fin de ces évocations, le lecteur termine l'ouvrage par une femme bien présente : l'italienne Flaminia. Enthoven se plaît à cultiver le mystère autour de cette sublime créature. Il parvient à nous faire imaginer une rencontre plus que sensuelle uniquement à travers de fines suggestions. S'imaginant entre l'amant et le mari de cette femme, il écrit : « On est troisième larron comme Louis Jourdan était french lover dans les vieux films américains. » ![]() P R I X L I T T É R A I R E Prix Littéraire France Télévisions 2006 ![]() ![]() 21 janvier 2006 : suite à l'appel lancé par Bernard Pivot, envoi d'une lettre de motivation pour faire partie du jury qui décernera le prix Littéraire France Télévisions 2006. Deux catégories sont représentées par cette récompense : l'Essai et le Roman. Vingt-cinq membres vont être choisis pour chaque catégorie sur plus de deux mille candidatures. 10 février 2006 : promu juré pour la catégorie Essai et convoqué le 17 mars au Salon du Livre à Paris, j'ai cinq semaines pour lire les cinq uvres nominées. 17 mars 2006 : jour de l'ouverture du Salon du Livre. La délibération s'y déroule de 10h à 12h. Elle est présidée par Bernard Pivot. Sont également présents les animateurs Olivier Barrot, Frédéric Ferney, Geneviève Moll, Jean-Jacques Peyraud, Philippe Lefait, Monique Atlan et Daniel Picouly. Les jurés prennent tour à tour la parole pour défendre leur livre préféré. Un premier tour de vote est organisé. Le livre de Hervé Vilard, L'âme seule, est immédiatement éliminé. Entre chaque tour, les jurés débattent pour faire l'éloge d'un essai encore en course ou critiquer le choix des autres. Les animateurs n'ont pas le droit d'intervenir, ils sont là en tant qu'observateurs uniquement. Seuls les jurés peuvent prendre la parole. Après les éliminations successives de Nègre je suis, nègre je resterai puis de L'Accent une langue fantôme, les deux livres en tête sont La dernière femme et Victoire sur l'excision. Ce dernier aura le prix. Durant la semaine suivante, un clip TV est diffusé sur toutes les chaînes du groupe France Télévisions plusieurs fois par jour. Il fait la promotion du livre lauréat et montre quelques images des jurés qui délibèrent. ![]() Dernière mise à jour : 10/03/23 [ - Site internet personnel de critiques littéraires par Makibook. Mise à jour régulière au gré des nouvelles lectures ] Pour toute information : contact [at] hardinski.net ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |